AQUACULTURE AU SENEGAL
Deux contraintes majeures, l’alimentation et la production d’alevins, continuent de plomber le décollage de ce sous-secteur de croissance
Depuis 20 ans, les ministres en charge du développement de l’aquaculture au Sénégal évoquent deux contraintes majeures qui plombent le développement de cette activité. L’aliment importé est coûteux et la production d’alevins insuffisante. Aucune solution ne nous est proposée et pourtant le Sénégal dispose de toutes les potentialités pour lever ces deux contraintes. Concernant l’aliment, tous les intrants sont disponibles au Sénégal. Plus particulièrement, la farine de poisson qui joue un rôle central et déterminant en aquaculture et qui rend onéreux le coût de l’aliment importé de pays exportateurs, dépendant de cette même farine de poisson. Concernant les alevins, ils peuvent être produits par intégration dans les systèmes d’irrigation de la vallée du fleuve sénégal et du bassin de l’Anambé. En effet, l’Etat du Sénégal a prévu dans ces deux bassins de porter les superficies aménagées irriguées à 130 mille 720 ha pour le riz (115 mille 720 ha dans la vallée et 15 mille ha dans le bassin de l’Anambé) et la plupart des sites dans ces deux régions peuvent servir de réceptacles à des géniteurs de tilapias pour la production en masse d’alevins.
Stratégie proposée pour lever la contrainte «aliment»
La disponibilité en farine de poisson et sous-produits de l’agriculture est un avantage certain pour développer ce nouveau sous-secteur d’aquaculture au Sénégal. Mais l’absence de coordination et une organisation professionnelle au niveau de chaque maillon de la filière constituent un blocage à son développement. Comment surmonter ces obstacles ? La stratégie proposée est de : Recenser, identifier et mobiliser toutes les ressources potentielles valorisables non exploitées jusqu’à présent au sein même de chaque zone aquacole cible. Chercher à substituer en partie les intrants coûteux par les produits équivalents locaux pour alléger le coût de production des aliments. Pour les farines de poisson, les usines à Dakar ne doivent pas être les seuls fournisseurs de cette matière première. D’autres sources d’approvisionnement à caractère artisanal pourraient fournir des farines de poisson de qualité. Et parmi elles, on peut dénombrer deux filières non exploitées de fabrication possible, les déchets de poissons frais et les déchets des poissons transformés.
La première filière qui est jusqu’à présent non exploitée pourrait bien fournir des farines de poisson de qualité et créer de nouvelles activités rémunératrices. C’est à partir de déchets issus de nettoyage des poissons frais dans les marchés centraux aux poissons (Dakar, Kaolack, Tambacounda, Mbour, St-Louis etc.). Dans le marché central aux poissons de Kaolack, mis en service depuis le 5 novembre 2003, les effluents provenant des eaux de lavage et de rinçage journaliers (150 m3/jour) sont prétraités par lagunage avant d’être rejetés dans la nature. Les déchets issus des restes de transformation des poissons frais sont mis en conserve ou transformés (boyaux, têtes, arêtes, écailles…), puis ramassés et déposés dans deux remorques d’un m3 de volume chacune. Le Service de pêche, responsable du fonctionnement du marché, nous a indiqué qu’environ deux tonnes de déchets sont jetées journellement depuis l’ouverture de ce marché. Or ces produits peuvent être récupérés pour être transformés en farines de poisson.
Pour se faire, on peut imaginer la création d’une petite unité artisanale de transformation de farine de poisson, une entreprise de taille modeste dont la gestion peut être confiée à un groupement de femmes. Le processus de transformation est relativement simple pour être exécutable et ne nécessite guère une longue formation particulière. Ce processus de transformation peut être décrit en 5 phases : ramassage (il est déjà fait au marché), transport, salage (le sel est abondant à Kaolack), séchage (le solaire s’y prête), le broyage et la mise en sacs (qui nécessite un petit investissement - achat d’un broyeur). Pour une à deux tonnes de déchets frais par jour, on peut produire 300 à 400 kg de farine de poisson par jour prête à l’emploi, comme intrant dans l’alimentation pour poisson.
Subséquemment, selon un prix de vente de 200 F Cfa/kg, un chiffre d’affaires de 80 mille F Cfa/jour peut être tiré de cette vente, soit mensuellement un bénéfice net à l’entreprise aux alentours d’1 million F Cfa. Cet exemple du marché aux poissons de Kaolack est transposable, toutes choses égales par ailleurs, aux marchés de Dakar, St-Louis, Tambacounda, etc. Il existe une autre source d’approvisionnement en farine de poisson artisanale qui peut être trouvée au niveau des points de fumage le long des côtes, à proximité des lieux de débarquement des pêches artisanales. Ce sont des grands centres d’activités où les femmes transformatrices occupent toute la filière. Dans chaque centre de fumage, on peut constater qu’il existe beaucoup de déchets constitués de poissons fumés, séchés, mais cassés ou trop cuits, non présentables à la vente. Ces sous-produits sont jetés et souvent non valorisés. Sur certains points de fumage comme par exemple à St Louis, il existe des femmes qui collectent ces sous-produits pour les vendre aux éleveurs de poulets.
Dans les Niayes, on signale l’usage de ces déchets comme engrais dans les cultures maraîchères. Une fois broyées et proprement mises en sac, ces farines de poisson pourront être valorisées dans l’alimentation des poissons. L’organisation consiste à dynamiser un réseau de ramassage et de collecte (groupement de femmes). Pour le moment, il est difficile d’estimer la potentialité de cette matière première procurée par ce biais informel. Mais si on se base sur le niveau de débarquement des pêches artisanales (290 mille tonnes) et en considérant 2% de déchets frais, on aurait à terme en poids sec sous forme de farine de poissons, aux alentours de 1 500 tonnes, une quantité non négligeable à faire valoriser via l’aquaculture.
Stratégie proposée pour lever la contrainte «production d’alevins»
En aquaculture, la production des alevins «pré-grossis», destinés à être élevés, est une première étape importante qui doit assurer à la fois sur le plan quantité et qualité la phase de production finale, «grossissement» proprement dite. Pour le tilapia (oreocromis niloticus), l’obtention des reproductions en écloserie semble facile au premier abord, mais cette facilité apparente cache une grande complexité. Ici, nous avons opté pour un système d’alevinage en rizière par des groupements de femmes. Deux raisons nous ont amenés à choisir ce système de production. La première, c’est la simplicité de cette technique de production en masse d’alevins, contrairement à la production d’alevins en écloserie qui nécessite des tâches minutieuses et précises et qui requièrent un certain professionnalisme (reconnaissance des géniteurs, mise en couple, sexage hormonal des alevins, etc.).
La deuxième raison, c’est que la production d’alevins dans les rizières a déjà fait ses preuves ailleurs en milieu rural, et cette technique est adaptée au contexte du système de production dans la vallée du fleuve et en Casamance. En effet, son intégration dans le système d’irrigation permettra de réduire considérablement les coûts de production (aménagement des étangs d’alevinage, alimentation des géniteurs et gestion technique et financière de l’exploitation). Par ailleurs, sur la base d’une production en masse d’alevins en rizière de 200 à 300 mille alevins/ha (plus performante donc qu’en écloserie), 1 000 ha produiront 200 à 300 millions d’alevins en quantité et en qualité largement suffisantes pour couvrir les besoins de l’aquaculture au Sénégal.