CES INTELLECTUELS QUI SNOBENT LES MÉDIAS
En désertant l’espace médiatique par simple coquetterie ou snobisme, ils ont contribué à corrompre l’espace public en créant un vide favorisant l’invasion massive d’analystes ridicules
Depuis l’avènement de la démocratie moderne, les médias, à travers leurs différents supports d’expression, sont apparus comme l’un des éléments les plus constructifs de toute société qui se veut ouverte. Mais ils n’ont pas toujours bonne presse auprès des intellectuels. Il existe d’éminents intellectuels, des savants illustres et même de grands artistes qui ont une attitude tellement défiante vis-à-vis de la presse qu’ils évitent littéralement la télévision, internet et même les journaux.
Il y en a qui sont vraiment sincères et leur attitude peut s’expliquer par des raisons objectives. Par contre, il y a une certaine distance médiatique qui relève du snobisme ridicule, parfois de la frustration, la peur de se faire contredire et même une fausse idée selon laquelle un intellectuel médiatique se dévalorise. Oui ! Quand il en fait trop.
En effet, il existe partout dans le monde des «intellectuels médiatiques» particulièrement prisés par la presse et dont la parole, loin d’être scientifique, ressemble plutôt à un bavardage continu. Les disciplines qui sont les plus exposées aujourd’hui sont la Sociologie, la Science politique, le Droit et... l’Economie en Europe. Au Sénégal, les économistes ne sont pas très médiatiques. La faute n’est certainement pas aux médias qui ne voient que les mêmes têtes faire le tour des chaînes de télé et de radio pour dire la même chose avec un tel aplomb que les jeunes journalistes qui les interrogent ont peur de les contredire.
Beaucoup ne savent pas qu’on peut mentir sous le couvert de l’autorité scientifique. Si jamais la tendance à contredire les experts en les poussant jusqu’à leurs derniers retranchements devient une attitude journalistique, vous verrez «une révolution» dans les profils qui passent souvent à la télé. Remarquez ! Il n’y a plus de passe d’armes dans les médias. Ce n’est pas aujourd’hui que Monsieur Djibo Leyti Kâ oubliera son fameux passage devant Mohamed Pascal Faye à Sud Fm, un violent duel à fleurets mouchetés qui a fait suspendre momentanément l’émission.
Et ce fameux débat entre le Professeur Malick Ndiaye et le philosophe Massaër Diallo qui a fini par des violentes injures savantes. Le même Massaër que l’on ne voit plus, qui pendant des années venait «analyser» de façon brillante l’actualité politique à l’aide de son savoir philosophique. Le jeune Yoro Dia a eu le courage de contredire Djibril Samb qui s’avisait à dire des choses non fondées sur Honoré De Balzac. Sa querelle radiophonique avec Me Doudou Ndoye qui tentait de le «rabaisser» comme à son habitude est encore fraîche dans les mémoires.
Mais il faut s’armer avant de le faire. Les plus jeunes aujourd’hui ne sont certainement pas au courant de la longue querelle par articles interposés pendant des jours et des jours entre Cheikh Tidiane Gadio et le Professeur Iba Der Thiam. A la fin des années 80, ce sont les Hamady Aly Dieng, Babacar Kanté, feu Mouhamadou Moustapha Kane l’historien et... le ministre Tidiane Sylla qui débattaient à travers «Cosmopolitique» de Daouda Ndiaye.
Tous les intellectuels qui ont déserté l’espace médiatique sous prétexte de retraite ou de distance intellectuelle par simple coquetterie ou snobisme ont contribué par leur attitude à corrompre l’espace public en créant un vide favorisant l’invasion massive d’analystes ridicules qui sont l’objet de moqueries de la part des talentueux humoristes Sylla Mougnal et Tonton Ada, sans parler de Saa Ndiogou. Ils sont suffisamment futés pour deviner que ces analystes disent des banalités. Il ne sera pas facile de les dégager. Ils commencent à s’incruster dans le décor médiatique, finalement ils vont s’enkyster.
Pendant longtemps, ce furent les Massaër Diallo et Mamadou Diouf qui venaient dire des choses très intelligentes à propos du Sénégal. Un écrivain comme Boubacar Boris Diop parle peu (aux médias sénégalais), pourtant des savants comme Jacques Derrida, Régis Debray et ici Hamady Aly Dieng, plus doctes que lui, ne manquaient jamais de venir parler à travers le petit écran. Tout cela est une méprise, un malentendu qui fait accroire à certains intellectuels qu’à force de prendre ses distances on devient plus mystérieux.
Le mystère ne se fabrique pas. Le voile est vite déchiré ! Djibril Samb ne dit plus rien depuis sa fameuse émission avec Daouda Ndiaye «En toute liberté». Mamoussé Diagne qui a vraiment quelque chose à dire est devenu aphone. Aminata Diaw Cissé et la brillante juriste Aminata Cissé Niang laissent parler des féministes ringardes. Qui connaît le brillant juriste Moussa Samb ?
Les sorties médiatiques intelligentes et mesurées de Souleymane Bachir Diagne n’ont en rien enlevé à son prestige intellectuel. Claude Lévy Strauss, qui était dans une indifférence bouddhique et qui ne regardait jamais la télé, nous a malgré tout laissé des vidéos d’un intérêt scientifique remarquable.
Aujourd’hui, même des jeunes chercheurs qui n’ont encore rien découvert, et qui peut-être ne découvriront jamais rien, se permettent de dire «j’évite les médias» ou «je préfère écrire des articles scientifiques».
Pour avancer en grade oui ! Le meilleur écrivain français du 20ème siècle est un chroniqueur, il s’appelle Louis Ferdinand Céline.
Du reste, il y en a qui ont complètement disparu du pays. Il s’agit du très rigoureux économiste François Boye et du juriste internationaliste Tafsir Malick Ndiaye. Même Makhily Gassama, ancien ministre de la Culture et brillant critique littéraire, ne s’exprime pas. Etonnant pour un homme qui a écrit Kuma ! qui signifie «Parle !» en Bambara ou «La parole» si le mot est usité comme substantif. Monsieur Gassama, «ité kuma ?» Parlez messieurs et dames !