CES VIEILLARDS QUI REFUSENT TOUJOURS LE SEVRAGE…
Soixante ans après les indépendances, il est tout simplement inacceptable que nos chefs d’Etat tètent encore au sein (maternel !) de la France. Cet allaitement que réclament encore nos dirigeants est indécent et immoral
Pourquoi diable nos dirigeants refusent-ils de grandir ? De se comporter enfin comme de adultes responsables ? De prendre en main les destins de leurs peuples ? Qu’est-ce qui explique qu’ils ne veuillent toujours pas s’affranchir de leur servitude vis-à-vis de la France ?
Alors que la plupart de nos pays vont commencer à célébrer dans quelques semaines le soixantième anniversaire de leur accession à la souveraineté internationale, il est plus que dommage que les questions ci-dessus puissent encore continuer à être posées. Nos dirigeants politiques, présidents de la République en tête — et même ceux d’entre eux nés après les indépendances hélas ! — se comportent toujours comme ces esclaves qui, bien qu’affranchis et libérés de leurs chaînes, sont obligés de revenir dans la maison de leur maître car, n’ayant jamais joui de leur liberté, ne savent pas quoi en faire. Et qui, donc, préfèrent leur servitude à leur état d’hommes libres !
C’est exactement le cas de nos dirigeants. Depuis 1960, nos pays sont dans leur grande majorité « indépendants » mais refusent, hélas, d’assumer ce statut. Prenons deux domaines essentiels à l’exercice de toute souveraineté que sont la défense et la monnaie. Six décennies après la fin officielle de la colonisation, nos Etats s’abritent toujours sous le parapluie militaire de la France. Laquelle maintient un peu partout sur le continent ses bases et se charge de nous défendre contre les menaces extérieures.
La « menace » soviétique jusqu’en 1989, date de la chute du Mur de Berlin et de l’effondrement de l’URSS, puis ou concomitamment la « menace » libyenne pour ce qui est du Tchad, la « menace » algérienne lorsque des « Jaguars » français s’envolaient de la base de Dakar pour aller bombarder des colonnes du Front Polisario — c’était l’époque où le président Senghor disait joliment que « je n’ai pas le complexe du « Jaguar » ! — et puis, de nos jours, la « menace » djihadiste !
A croire que la France a toujours besoin d’agiter une « menace » réelle ou illusoire pour maintenir sa présence militaire et apeurer nos dirigeants !.
La France dont chaque nouveau président, sitôt installé, jure croix-de-bois croix de-fer si je mens que j’aille en enfer, que la « Françafrique », c’est fini, les interventions militaires en Afrique également, avant de se lancer à son tour dans sa petite guerre africaine ! Citons la guerre giscardienne contre les « rebelles » du Katanga lorsque les paras français ont « sauté » sur Kolwezi, une ville minière évidemment, la guerre mitterrandienne contre la Libye, la guerre ivoirienne de Jacques Chirac, celle libyenne encore — au cours de laquelle le Guide Mouammar Kadhafi a été tué ! — mais de Nicolas Sarkozy cette fois-ci, celle malienne « Serval » de Français Hollande, et l’actuelle « Barkhane » du petit Emmanuel Macron ! Décompte non exhaustif, bien sûr, puisqu’on en oublie incontestablement. Plutôt que de développer de véritables armées nationales professionnelles bien formées, entraînées, convenablement équipées et aptes à accomplir leur mission de défense de l’intégrité de nos territoires, nos présidents ont laissé se développer de armées de soudards et de parade, plus douées à organiser des coups d’Etat et à réprimer les populations qu’elles sont censées défendre qu’à sanctuariser les frontières nationales contre toutes formes de menaces. Le tout avec la bénédiction de la France, bien sûr, qui avait tout intérêt à la déconfiture de ces armées pour rendre plus indispensable la présence de ses troupes.
De ce point de vue, dans un domaine aussi essentiel de la souveraineté, la faillite de nos chefs d’Etat est plus que patente : criminelle. On retiendra juste que 60 ans après nos « indépendances », les Africains de l’Ouest sont toujours incapables de se défendre contre les menaces qu’ils auront identifiées et en sont réduits à quémander le parapluie sécuritaire de la France. Aujourd’hui, contre des terroristes en motos « Djakarta » ! Lesquels infligent des raclées mémorables à nos troupes qui battent en retraite face à leur avancée ! Dans ces conditions, évidemment, le président Macron peut se permettre d’admonester nos chefs d’Etat et de les convoquer pour qu’ils viennent s’expliquer devant lui à Pau sur le « sentiment anti-français » supposé de leurs peuples. Au rapport, chefs d’Etat du « G5 Sahel » !
Abracadabra, que le CFA devienne ECO !
L’autre domaine essentiel de souveraineté dans lequel nos dirigeants refusent de s’assumer c’est, bien sûr, celui de la monnaie. Depuis nos indépendances nominales, ils ont peur de battre leur propre monnaie et de couper le cordon ombilical qui les lie à l’ancien colonisateur. Soixante ans après, il a fallu la permission de la France et la « décision » du président Macron de réformer le « CFA » pour que nos chefs d’Etat osent enfin changer le nom de cette monnaie et l’appeler « ECO » ! Dire qu’il y a quelques semaines à peine, nos présidents, en tête desquels Alassane Dramane Ouattara et Macky Sall, plus zélés gardes chiourmes de l’ordre français sur le continent, ces présidents, donc, assuraient que le CFA était une excellente monnaie. Et que, par conséquent, ils ne voyaient aucune nécessité à faire bouger les lignes ou introduire des changements dans son fonctionnement. Ce au moment où les peuples africains, les jeunesses, les activistes, d’importants pans de la Société civile et des économistes de renom, réclamaient à cor et à cris l’abandon pur et simple du CFA. Et brusquement, ces mêmes présidents, mais aussi les fonctionnaires de la BCEAO dont on se demande s’ils ne se croiraient pas en DOM-TOM !, deviennent « graves » — comme disait Hugo — s’enhardissent et décident non seulement, donc, de débaptiser le CFA qui va s’appeler ECO, mais encore de rapatrier les réserves de change qu’ils avaient l’obligation de loger au Trésor français.
Du moins 50 % de ces réserves. Dire que lorsque le président Abdoulaye Wade avait réclamé le rapatriement de ces réserves, ses autres collègues de l’UEMOA lui avaient volé dans les plumes ! Pour en revenir à la « décision » macronienne, surtout, on nous jure la main sur le cœur que, désormais, il n’y aura plus de représentants de la France au sein de nos instances monétaires. Ah bon, parce qu’ils y étaient et y jouaient un rôle ? Je me rappelle encore cette sortie de ce jeunot, directeur de l’Agence nationale de la BCEAO, Al Amine Lô je crois, qui soutenait crânement que la France n’avait pas son mot à dire dans notre politique monétaire, laquelle selon lui était gérée toute seule et comme un grande par la Banque centrale commune aux huit pays de l’UEMOA. Dans un éditorial que j’avais fait pour lui rabattre le caquet, je lui demandais comment se faisait-il, dans ce cas, qu’un petit ministre français — M. Michel Roussin, inculpé plus tard pour corruption — puisse se permettre de convoquer à Dakar, en 1994, 16 chefs d’Etat africains pour leur annoncer la « décision » (décidément !) de la France balladurienne de « dévaluer » le CFA ! Vingt-trois ans après, c’est un jeune et prétentieux chef d’Etat français qui, sur les rives de la lagune Ebrié, annonce sa « décision » de réformer notre monnaie !
Des réformes cosmétiques, en réalité, puisque l’objectif stratégique, ce que souhaitent les peuples africains, c’est une monnaie commune aux 16 pays de la CEDEAO. Comme des enfants ou d’innocentes proies qu’il conviendrait de défendre face à l’ « ogre » nigérian qui risquerait de les dévorer, la France a donc tranché : l’ECO s’arrêtera aux huit pays de l’UEMOA. Un point, un trait. L’histoire se répète : dans les années 90, pour torpiller l’envol de la CEDEAO bien partie pour mettre en œuvre le Plan d’Action de Lagos, la France avait déjà trouvé une idée de génie : créer l’UEMOA qui regrouperait ses néo-colonies. De la même manière, l’ECO Canadian dry tue dans l’œuf la future monnaie commune de la CEDEAO ! Ce alors qu’une opportunité unique était offerte à nos pays de se raccrocher à la locomotive de la première économie du continent, celle du Nigeria. Et d’y retrouver un wagon comme le Ghana, autre solide économie de notre sous-région.
Bonneteau monétaire
Oh certes, on nous prédit le pire, un chaos, un scénario à la zimbabwéenne avec une inflation à des milliers pour cent, une monnaie de singe et tous les scénarios cauchemardesques imaginables si nous refusons cette garantie que, fort obligeamment, la France veut encore continuer à accorder à notre monnaie. Et que nos dirigeants, Ouattara et Sall en tête, la supplient à genoux de continuer à nous accorder.
En même temps, bien sûr, que la parité fixe vis-à-vis de l’Euro ! Autrement dit, et comme l’illustre si pertinemment l’activiste ivoiro-suisse Nathalie Yamb, Macron peint un vélo en bleu et nous dit qu’il s’agit d’une bicyclette ! Un tour de passe-passe qui ne trompe personne, bien sûr, sauf nos dirigeants qui font semblant de croire à la prestidigitation. « Abracadabra, que le CFA soit désormais un ECO », a dit le petit magicien Macron et nos chefs d’Etat ont applaudi à tout rompre ! Plus exactement, il s’est agi d’un numéro de bonneteau, ce « niéti khob » ou « bi gagne bi perte » dans lequel on s’est tous laissé prendre ! A tous les coups, nos présidents tiraient la mauvaise carte, ils le savaient mais ont tenté de nous faire croire le contraire. Encore une fois, les activistes ont raison car il serait dommage de se contenter de cette illusion d’optique. La « garantie » monétaire de la France doit sauter et nos dirigeants doivent être contraints de couper ce honteux cordon ombilical qui les lie encore à la puissance de second ordre qu’est devenue la France. Soixante ans après les indépendances, il est tout simplement inacceptable que nos chefs d’Etat tètent encore au sein (maternel !) de la France. Cet allaitement que réclament encore nos dirigeants est indécent et immoral. Quant on est un jeune homme, à dix-huit ans, on doit se résoudre à quitter le toit familial pour apprendre à être responsable, à gérer sa vie. Hélas, nos dirigeants, six décennies après les « indépendances » octroyées de1960, s’accrochent toujours à l’allaitement de Marianne…
PS : L’économie du Nigeria s’est-elle effondrée parce que la monnaie de ce pays n’est pas « garantie » par la France ou la Grande-Bretagne ? Celles du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de la Mauritanie, de l’Afrique du Sud, du Ghana etc. pour ne citer que ces quelques pays africains ontelle piqué du nez ou plongé dans le marasme parce qu’elles n’ont as eu la « garantie » d’une puissance européenne ? Mais pourquoi diable nous dit-on qu’hors la garantie de la France ce serait le déluge pour les pays de l’UEMOA ? Les banquiers centraux de la BCEAO seraient-ils incapables congénitalement de mener une politique monétaire sans les instructions de la France ? Seraient-ils dénués de la rigueur et de la technicité que suppose la gestion d’une monnaie ? Ou bien alors seraient-ils tout simplement des hommes liges, pour ne pas dire des agents de l’ancien colonisateur ? Qu’est-ce qui explique donc leur réticence, qui confine à l’obsession, à s’affranchir et à couper le cordon ombilical avec lui ? Pour le reste, qu’on ne vienne surtout pas nous parler de « sentiment antifrançais » car c’est un faux débat puisque s’il y a bien un continent qui représente l’avenir de la langue française —et donc de l’élargissement de l’influence culturelle mais aussi économique de la France —, c’est bien l’Afrique. Qui est aussi le dernier continent où le Vatican et aussi les églises évangéliques recrutent ! Simplement, ce que réclament les Africains, c’est des relations de partenariat et non plus de servitude vis-à-vis de la France. Des relations de respect et non plus de mépris. Des relations égalitaires et non plus du cheval et du cavalier, avec eux dans le rôle de la monture. Anti-Français ? Non ! Anti-Une certaine France dominatrice et colonisatrice, raciste et arrogante ? Oui ! Mille fois Oui !