CHASSES COLLECTIVES D'ÉTRANGERS EN ALLEMAGNE : C’EST REPARTI ?
On croyait l’Allemagne immunisée à jamais contre cette forme de violence raciste et xénophobe, et la voilà qui renaît de ses cendres

Les images qui ont fait le tour du monde et qui montrent les foules qui, à Chemnitz en Saxe, se livrent à de véritables « chasses collectives aux migrants », prêtes à lyncher tout étranger à portée de main, réveillent de douloureux souvenirs et évoquent un passé peu glorieux pour l’Allemagne. Ce ne sont plus quelques skinheads cagoulés, quelques hooligans excités qui défilent dans les rues des villes allemandes pour stigmatiser tous ceux qui n’ont ni leur couleur de peau ni leurs croyances, ce sont désormais des milliers d’hommes et de femmes, pas forcément jeunes ou marginaux, pour la plupart issus de la société civile, qui exhalent leur haine, brandissent quelquefois l’immonde croix gammée, font le salut hitlérien ou chantent les couplets interdits de l’hymne allemand. Tout cela face à une police dont le comportement est souvent pour le moins complaisant…
On croyait l’Allemagne immunisée à jamais contre cette forme de violence raciste et xénophobe, et la voilà qui renait de ses cendres. Le premier paradoxe c’est que c’est sur le territoire de l’ex RDA qu’elle prospère, alors que c’est une région qui compte relativement peu d’immigrés et qu’elle est elle-même terre d’émigration puisque deux millions de ses habitants l’ont abandonnée pour s’installer dans les landers de l’ouest de l’Allemagne, plus riches et plus généreux. Autre paradoxe, c’est un territoire dont les populations ont le plus bénéficié de la générosité de leurs concitoyens, et des Européens en général, au cours des vingt dernières années .Depuis la réunification du pays elles ont reçu, estime-t-on, plus de 1500 milliards d’euros d’aide publique, mais c’est toute l’Europe qui s’est engagée dans « un payement collectif sacrificiel » pour leur « remise au niveau » et leur réintégration dans leur nouvelle nation.
Malgré ces sacrifices le réveil du populisme et de l’extrême droite se répand comme une trainée de poudre dans tout l’est de l’Allemagne et gagne d’autres contrées, voire d’autres états européens. C’est à Dresde qu’est né le mouvement PEGIDA ouvertement et exclusivement anti-islamiste et qui a désormais des succursales en Autriche, en Suisse, en Norvège et même en France. Le parti d’extrême droite AFD est devenu la première force politique de la Saxe et son leader n’a même pas besoin de tenir meeting pour propager ses convictions, c’est par Facebook qu’il a traité les étrangers de « bétail » et de « bâtards ». Angela Merkel, chef pourtant d’un parti de centre droit, est seule à fustiger « la haine dans la rue » contre les extrémistes de droite mais aussi contre les extrémistes de gauche qui, tous font front commun contre l’immigration ! La Chancelière vacille au moment même où toute l’Union Européenne est en pleine confusion sur le sort à réserver aux migrants venus du sud ou de l’est.
L’Europe n’est pas seulement en train de trahir les idéaux d’humanisme dont elle se faisait le chantre et dont elle prétendait détenir le carnet de santé, elle est aussi en train de perdre la mémoire. Elle oublie que de toute l’histoire des hommes elle est le continent qui s’est le plus servi des autres, celui qui a tiré sa richesse de l’exploitation du reste du monde, vers lequel elle a déversé son excédent de population et dont elle s’est servie pour reconstituer son patrimoine agricole. Les dirigeants italiens actuels sont la parfaite illustration de cette amnésie. L’Italie a été pendant un siècle la première terre d’émigration européenne et le pourvoyeur de main d’œuvre de ses voisins européens, dont la France, et du continent américain puisque le Brésil et l’Argentine, notamment, comptent plusieurs dizaines de millions de citoyens d’origine italienne. Au total on estime à 500 millions le nombre de personnes éparpillées à travers le monde qui ont peu ou prou du sang italien et à huit millions celui d’Italiens qui ont quitté leur pays pour fuir la misère entre 1909 et 1914 !
Les Italiens ont subi un ostracisme comparable à celui que vivent aujourd’hui les émigrés africains et l’italophobie a connu de beaux jours en France, où on les traitait de « Ritals » ou aux Etats-Unis où les anarchistes Sacco et Vanzetti ont été exécutés sans preuves en partie parce qu’ils étaient italiens. Tout cela aurait dû rendre les dirigeants italiens plus sensibles au drame des migrants qui frappent à leurs portes…
La vindicte lancée contre les migrants n’est cependant que l’un des aspects de la banalisation de certaines formes d’intolérance et de la montée du « Trumpisme » qui gagne un grand nombre de pays du Nord. Aujourd’hui, dans le monde dit occidental et en Europe tout particulièrement, si l’antisémitisme est un crime sévèrement réprimé, le racisme anti noir, la xénophobie à l’encontre des peuples de ce qu’on appelait autrefois le Tiers Monde, l’anti-islamisme ne sont que des peccadilles à peine sanctionnées par les Juges. Tous les jours sur des stades européens, en Serbie ou en Italie par exemple, des footballeurs africains sont traités de singes, en France une ministre de la justice, noire, a été accueillie par de jeunes enfants porteurs de bananes, aliment de prédilection des chimpanzés comme tout le monde le sait, et toutes ces provocations n’ont guère ému grand monde. Une athlète italienne a reçu à l’œil un projectile qui a failli la rendre borgne, mais elle aussi avait le tort d’être d’origine africaine. Un jeune homme de 24 ans a subi des violences exercées à son encontre par des gendarmes et qui lui ont couté la vie, mais à ce jour aucun de ses présumés meurtriers n’a été placé dans les mains de la justice, sans doute parce que s’il est de nationalité française, il avait le tort de s’appeler Traoré. Au Danemark on organise un concours de caricatures de Mohamed, ce n’est pas un acte dirigé contre les jihadistes, qui ne respectent pas les préceptes du Prophète, mais une insulte au milliard d’hommes et de femmes qui se réclament de l’Islam !
On a longtemps cru que toutes ces dérives étaient le fait de minorités incultes qui n’avaient aucune chance d’exercer des responsabilités gouvernementales. Ce n’est plus vrai puisque des extrémistes sont aux commandes en Italie ou en Hongrie. En France le chef d’un grand parti qui, sous des noms divers, a dirigé ce pays pendant les deux tiers du temps qu’a duré la cinquième République, se fait le porte-parole de cet extrémisme en affirmant que les migrants étaient une menace pour « la civilisation européenne ».
Bref, nous sommes devenus les nouveaux Attila de l’Europe, mais pouvons-nous encore traiter en amis ceux qui nous considèrent comme un fléau ?