COMMENT CÉLÉBRER LES HÉROS?
Est-ce raisonnable de passer par pertes et profits les coups bas assénés à Sidy Lamine Niasse vers la fin de sa vie et laisser se mêler au chœur des pleureurs, les voix hypocrites de ses meurtriers virtuels ?
Rebelotte. Après la salle du conseil des ministres dénommée Bruno Diatta, dans le feu de l’émotion, à la mort du mythique chef du protocole d’Etat, ou le Pont dit de l’Emergence renommé pont Aliou Sow dans la ferveur des éloges après son décès, voici donc, à nouveau, qu’emotifs, les Sénégalais, politiciens en tête, hurlent que la Maison de la presse doit impérativement porter le nom de Sidy Lamine Niasse, patron décédé il y a deux jours, du groupe de presse Walfadjri.
Qui devrait s’y opposer ? Personne, tant le défunt a été un grand acteur de la presse et de la démocratie dans notre pays. Même si de son vivant il ne comptait pas que des alliés et que le pouvoir en place s’époumonait pour “réduire à sa plus simple expression” son groupe de presse, l’étouffer et en finir avec cette voix, l’une des rares, restée libre et critique à son égard.
En ces moments de récupération générale, certaines questions doivent, dès lors, être froidement posées :
-qu’est-ce qui a tué Sidy Lamine Niasse, sa mort enlevant une grosse épine du pied d’un pouvoir claudiquant à quelques mois d’une incertaine élection présidentielle ?
- est-ce raisonnable de passer par pertes et profits les coups bas qui lui ont été assénés vers la fin de sa vie et laisser se mêler au chœur des pleureurs les voix hypocrites de ses meurtriers virtuels ?
- pourquoi doit-on suivre l’émotivité des politiciens, pouvoir en tête, n’ayant en tête autre chose que de baptiser par son nom la maison de la presse ?
- sommes-nous dans un nouveau moment de tâtonnement émotif ?
- pourquoi célébrer les héros quand ils ne sont plus que des zéros, morts ?
- l’inéquite doit-elle être de mise même devant la mort ?
Tout remarquables qu’ont pu être la vie et la contribution de Sidy Lamine Niasse à la presse et plus largement à la démocratie, cela justifie t’il que, les yeux fermés, on n’en oublie que d’autres morts avant lui méritaient d’être les parrains ou marraines de la maison de la presse. Citons, pele-mêle, Mame Less Dia, Bara Diouf, Gabriel Jacques Gomis, Ben Bass Diagne, Tidiane Hanne (promotion des langues nationales), Ibrahima Fall de Sud, Alpha Sall, Saliou Traore, pour ne citer que quelques ténors de la presse et du progrès de la démocratie chez nous...Saisir les pairs pour une reconnaissance juste serait mieux que de céder au populisme ambiant qui fait prendre des décisions à seule fin de marquer des points, quitte a le faire sur la dépouille des morts. Tous s’y mettent comme pour rattraper leur culpabilité.
C’est comme si, à court d’idées, agissant sous le coup de l’irrationnel, du tâtonnement et de l’émotivité, nos politiciens, suivis par un peuple manipulable et sentimental, crédule, dans les moments où la grande faucheuse a fait son œuvre, ont tendance à se tourner vers la plus simple des solutions -et ainsi vouloir l’imposer.
Outre qu’il serait plus normal qu’une instance etatique chargée d’honorer les dignes fils de ce pays s’y prenne plus tôt et tienne compte de tous les paramètres pour ne léser personne, il est grand temps de célébrer les héros de ce pays de manière plus structurée, équitable. Le minimum est de ne pas les martyriser de leur vivant pour venir ensuite verser, hypocritement, des larmes de crocodiles à leur mort, en leur donnant des titres qui fleurent bon l’enterrement de première classe. Sans craindre de négliger le mérite d’autres compatriotes aussi, sinon plus, méritants que l’homme ou la femme que, par souci de faire oublier ce qui l’a tourmenté au point d’en mourrir, on a décidé d’installer au pinacle. Pour de la...récupération politicienne voire populaire ?
Question : dans le cas de Sidy pourquoi lui attribuer le nom de la Maison de la presse et non donner son nom à la rue qui passe devant son groupe de presse ?
Voyez comment l’Amérique en donnant récemmentt le nom de la rue qui passe devant l’ambassade de l’Arabie saoudite à Jamal Kashoggi a, par ce rappel permanent, brillamment planté une dague dans le cœur de ses assassins et de leurs commanditaires a Riyadh ?
Un autre exemple : à New York, après la mort de Peter Jennings, grand présentateur du journal télévisé de la chaîne ABC, c’est la rue adjacente au siège de l’organe de presse où il servait la messe du soir qui a été donné à son nom.
Soyons moins émotifs. Célébrons nos héros avec serenite pour pérenniser leurs vies. Et, surtout, dans le flot des hommages, posons les questions qui fâchent, les bonnes questions.
Pourquoi et de quoi Sidy Lamine Niasse est mort. Qu’est-ce ou qui la tué ?
Sa mort est trop parfaite et timely pour ne pas déclencher des grincements de dents et des froncements de sourcils...
Nous devons des réponses précises à Sidy, sans tarder, une fois que, surmontant les bisbilles autour de son lieu d’inhumation, son corps aura été enterré.
Outre tombe, le teigneux journaliste qu’il a été aimerait savoir. Les larmes ne suffisent pas...Et ce n’est pas verser dans le complotisme que de soulever certaines questions au lieu de laisser la gouvernance par l’émotion nous priver de la sobriété nécessaire pour savoir ce qui s’est passé. C’est en effet trop commode de voir disparaître ce boulet dont le rôle ne pouvait être plus décisif qu’à l’occasion de ce que l’on peut qualifier d’élection structurante !
Encore un effort, mes compatriotes: nous avons un droit de savoir qui s’exerce en toutes circonstances sauf à vouloir amputer davantage notre corpus démocratique...
Pardonnez mes questionnements en ces heures lourdes d’une si grosse perte humaine.
Repose en paix Sidy !
PS: Y a eu Norbert Zongo au Burkina. Jamal Kashoggi pour l’Arabie Saoudite. Le Sénégal risque t’il avec Sidy Lamine Niasse d’avoir son propre martyr de la presse ? De quoi est-il mort ?