COMMENT VAINCRE LE TERRORISME
Il ne s’agit plus d’une guerre conventionnelle entre avions, chars de combat et bataillons, mais celle d’un groupe de personnes endoctrinées, fanatisées qui attaquent les institutions par surprise
Dans ce nouvel éclairage, le Général Mamadou Mansour Seck, ancien Chef d’Etat major général des armées (CEMGA) du Sénégal, ancien ambassadeur du Sénégal à Washington, au moment des attentats du World Trade Center, poursuit la réflexion sur le terrorisme qu'il avait entamée dans nos colonnes (voir Sud Quotidien, numéros 5881 et 5882, des mardi 4 et mercredi 5 décembre 2012) pour mieux faire comprendre à nos lecteurs, aux autorités, les enjeux et différentes autres mesures à prendre pour vaincre l’un des fléaux du 21ème siècle. Il demeure persuadé que le terrorisme peut être vaincu.
Jusqu’ici, les terroristes ont utilisé la surprise pour s’attaquer aux Etats et autres institutions. Les Chinois ont défini, il y a bien longtemps le terrorisme en disant: «C’est tuer UN et terroriser 10.000»
Il se trouve que l’effet des médias modernes tels que la télévision, l’internet dont les réseaux sociaux et le téléphone portable, fait que l’audiovisuel combinant l’image en temps réel et l’information immédiate, produit un impact multiplicateur sur le nombre de terrorisés. Au lieu de 10.000, ils peuvent être plus d’un milliard de témoins de l’image qui peut faire le tour du monde en quelques secondes ou minutes. Ils peuvent ainsi voir et entendre tout ce qui se passe en matière de catastrophes ou de crimes sur toute notre planète.
L'utilisation de l’arme de la surprise chez les terroristes, consiste ainsi à frapper en un moment et en un lieu où on ne les attend pas.
Un Directeur des enseignanats de CIA, en parlant devant le congrès américain après l’attentat du 11 septembre 2001 disait: «les terroristes se sont comportés comme tout le monde et se confondent dans la masse de la population sans se faire remarquer jusqu’au moment où ils commettent leurs crimes. Et c’est seulement par la suite que nous essayons de les identifier.»
Guerre asymétrique
Qui peut imaginer à l’avance que le pays le plus puissant du monde, militairement et économiquement, pouvait être déstabilisé pendant plusieurs semaines par un groupe d’une vingtaine d’individus ? Ils ont attaqué le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington, deux symboles de la puissance américaine. Pendant ces jours, les passagers ne prenaient plus l’avion qui est de loin le plus grand moyen de transport des Américains, le téléphone était inutile parce que saturé.
C’est d’ailleurs pourquoi on parle de guerre asymétrique. En effet, il ne s’agit plus d’une guerre conventionnelle entre avions, chars de combat et bataillons de chaque côté, mais celle d’un groupe de quelques dizaines de personnes endoctrinées, fanatisées qui attaquent les institutions par surprise.
Ils emploient des femmes et des enfants portant des ceintures d’explosifs pour tuer des personnes en regroupement comme dans les marchés et les mosquées. En effet, ils savent que les forces de sécurité se méfient naturellement moins des femmes et des enfants que des hommes adultes.
Un terroriste passager d’un avion avait introduit un explosif dans ses chaussures pour faire sauter l’aéronef. Certains terroristes se sont déguisés en femmes avec la Burqua pour éviter les contrôles. D’autres ont porté l’uniforme de l’armée pour tromper et tuer des innocents.
Cette arme de la surprise peut être combattue de plusieurs manières.
Agir en amont
Depuis une quinzaine d’années les forces de sécurités et les services de renseignements se sont modernisés et sont mieux outillés pour anticiper et éviter certains attentats. Des mesures de sécurité ont été prises dans les aéroports, dans les avions et aux frontières. L’électronique permet de connaitre, avec l’image et les empreintes digitales, l’identité des passagers avant vol. Tout objet tranchant ou tout liquide est interdit aux passagers. Les bagages à mains sont soumis au scanner. Les caméras de surveillance filment les activités des lieux publics. Les téléphones portables permettent aux citoyens de filmer toute scène particulière et de mettre ce «témoignage» à la disposition des services de sécurité. Les ordinateurs de la NSA (National security Agency) disposent d’un algorithme pouvant traquer des suspects en portant des données de leurs téléphones portables. Les drones (avion sans pilote) peuvent traquer les chefs terroristes jusque dans les montagnes de l’Afghanistan.
Il est pratiquement impossible aux chefs de guerre de communiquer avec leurs troupes par téléphone ou autres moyens de communication. Car, tout signal électromagnétique est détectable et peut même permettre de «géolocaliser» le lieu d’émission. Ce moyen de renseignement est appelé ELINT (Electromagnétique Intelligence). Une mesure qui pourrait être fatale aux terroristes serait la prévention par l’éducation et l’information de la population sur leurs différentes manifestations.
Dans les pays qui ont déjà subi des attaques terroristes, les populations ont non seulement acquis des réflexes d’autodéfense et d’information des services de sécurité à la place de la peur, mais elles acceptent une certaine limitation de leurs libertés pour faciliter leur combat contre ce mal. C’est le cas des Etats-Unis, de la France de l’Angleterre et d’Israël.
La récente maitrise d’un terroriste qui se préparait à commettre un attentat dans un train par des passagers en France est un cas encourageant. Il y a quelques années un Nigérian a dénoncé son propre fils qui planifiait de faire exploser un avion en vol, ce qui a sauvé des vies humaines.
Une autre opportunité d’exploiter une vulnérabilité des terroristes, c’est qu’ils ont commencé à occuper des espaces importants et ambitionnent même d’établir des Etats comme l’a exprimé Abou Bakr Al Bagdadi, le chef de l’Etat islamique entre l’Iraq et la Syrie. C’est également la prétention du chef Abubacar Shekau de Boko Haram au Nigéria et dans les pays voisins.
Pourtant, Al Qu’aida n'a jamais voulu établir un Etat à la différence de l’Etat islamique certainement pour tenir compte de sa vulnérabilité.
Une autre «faiblesse» des terroristes est de vouloir mener des combats en unités militaires importantes comme ils l’ont fait au Nord du Mali, en Iraq et en Syrie ; c’est-a-dire d’essayer de mener un combat conventionnel. Ce qui n’est pas leur fort.
Dans ces cas, ils n’ont plus la surprise comme arme et sont plus facilement détectés avant toute attaque. Il leur sera alors plus difficile d’utiliser la tactique du «hit and run» (frapper et fuir) plus facile pour de petits groupes.
C’est quand ils quittent leur statut de petits groupes faciles à dissimuler et en mobilité permanente qu’ils exposent plus facilement.
S’il est difficile de prévoir les attentats suicides, en revanche, il faut constater que ces candidats aux suicides sont le produit de leur environnement social. Ils peuvent être frustrés par le chômage par exemple et être victimes de lavage de cerveau.
Dans ce combat, il ne faut évidemment pas négliger les problèmes sociaux tels que la pauvreté, le chômage des jeunes, la répartition inégale des richesses, la corruption, l’absence de l’Etat dans certaines parties du pays (Nord Mali, Nord-Est du Nigéria). Ces sujets de mécontentement sont exploités par des terroristes.
Les Américains reconnaissent d’ailleurs que l’une des failles qui a facilité les attentats de septembre 2001 provient de leur mauvais réseau de renseignements humains (HUMINT, Human Intelligence), c’est-à-dire leur méconnaissance de l’environnement social et culturel et des sujets de mécontentement et de frustration des populations. Les 3000 jeunes européens volontaires terroristes pour aller faire la guerre du Jihad en Syrie, en Iraq et en Afghanistan sont tous fichés pour être contrôlés dès leur retour en Europe.
Deux suspects de l’attentat contre l’avion B747 de la Panam qui a explosé au-dessus de Lockerbie le 21 décembre 1988 avec 270 morts viennent d’être arrêtés par la police. Ce qui veut dire que tous ceux qui ont collaboré avec les terroristes mèneront désormais une vie de traqués.
Les activités des ONG religieuses dans nos banlieues et nos villages doivent être contrôlées de jour et de nuit dans notre pays à 95% musulman. Les contenus des sermons des imams doivent être analysés. (*)
Le terrorisme ne connaissant pas de frontière, seule une mutualisation des services de renseignements et de sécurité à l’échelle mondiale peut combattre ce mal avec efficience. Même la nation la plus puissante au monde ne peut gagner seule cette guerre.
En Afrique, nos services de sécurité doivent se moderniser, maitriser les technologies de l’information et de la communication, surveiller les réseaux sociaux de l’internet ; et disposer d’unités d’élites discrètes bien entrainées, bien armées et bien renseignées (type GIGN ou NAVY SEALS qui ont tué Ben Laden au Pakistan en 2011).
La décision récente du Nigéria et du Niger de créer des comités de vigilance permettra de faire participer les populations à la recherche du renseignement.
Le Comité Intergouvernemental des services de sécurité Africains (CISSA) qui est censé coordonner le renseignement et le combat contre le terrorisme au niveau de l’Union africaine n’est malheureusement pas encore opérationnel. Il s’agit pourtant d’une urgence. Les résultats de toutes les opérations antiterroristes, qu’elles soient des réussites ou des échecs devraient être partagés par les services de sécurité. De même que celles qui ont permis d’éviter des actes terroristes.
En effet, l’attentat contre l’hebdomadaire Charlie-Hebdo au début de cette année à Paris, les opérations Serval au Mali en 2003 et Geronimo à Abbottābād au Pakistan en 2011 pour tuer Ben Laden, les attentats de septembre 2001, entre autres, devraient faire école. Les circonstances, avant, pendant et après l’événement, devraient être étudiées avec minutie par les forces de sécurité pour en tirer des leçons.
Lutter contre la drogue et l'argent sale...
Il faut évidemment compléter ces mesures par le renforcement de la lutte contre les narco-trafiquants, le contrôle des transferts d’argent (pôle de GIABA, groupe Intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent), la surveillance de nos frontières trop poreuses. L’efficience relative que nous avons obtenue récemment en fermant nos frontières pour éviter la propagation de la maladie Ebola venant des pays voisins peut être réorientée et optimisée pour un contrôle plus serré de nos frontières.
La récente décision américaine de développer des drones (avions sans pilote) au Nord Cameroun permettra de renforcer radicalement les moyens de renseignements sur Boko Haram dans la zone du Lac Tchad commune au Niger, au Nigéria, au Cameroun et au Tchad. C’est cependant dommage que cette décision soit prise aussi tard et qu’elle n’ait pas été concrétisée plus tôt et au Nord du Nigéria.
Enfin, nos érudits en Islam devraient s’exprimer plus ouvertement sur la signification de l’Islam, cette religion de paix et du Jihad. L’interprétation radicale de la charia que les Jihadistes utilisent comme arme n’a pas été pratiquée par le meilleur des musulmans, c’est-à-dire le prophète Mohamed (PSL). En effet, la Charia a été érigée bien après sa mort.
Dans les années 1990, les Salafistes algériens ont choisi le saint mois de Ramadan, celui de la tolérance, du pardon et de la générosité pour les musulmans, pour tuer leurs frères et sœurs de la même religion.
Le Turc Gulen donne la signification originale du Jihad qui est la lutte pour défendre l’Islam (petit Jihad) et surtout la lutte contre soi-même pour le perfectionnement moral du musulman contre les tentations charnelles, l’arrogance, et pour la modestie et la générosité (le grand Jihad).
Le renseignement, encore le renseignement
La meilleure arme contre la surprise, c’est bien le renseignement, le renseignement et le renseignement, qui permet, entre autres, la prévention.
En effet, il ne peut y avoir de solution universelle à ces menaces particulières ni de modèle «One size fits all» (une taille pour tout le monde). A chaque menace, il faut adapter une réponse pertinente qui demande de la créativité. Un bon réseau de renseignements partagés et recoupés et surtout par un système combinant les données Humint et Elint, une surveillance permanente par les drones des zones affectées et des réseaux sociaux de l’internet sont des facteurs indéniablement nécessaires à la victoire.
Cette batterie de mesures ne peut prétendre être exclusive. Et ceci ne veut pas dire non plus que le terrorisme est déjà vaincu. Il reste encore dangereux et même mortel. Toutefois, si tous les pays comprennent enfin qu’il s’agit d’une guerre globale sans frontières et qu’elle doit être menée ensemble, à l’échelle mondiale, par les Etats et leurs peuples et pas seulement par les forces de sécurité, alors seulement les terroristes ne trouveront plus d’espace pour leurs activités criminelles. Il n’y a plus de place désormais à la «guerre des polices».
Mais attention à la routine. La sentinelle ne doit pas dormir, ni même bailler.