COVID-19, L’APRÈS TABASKI
Les pouvoirs publics devraient anticiper, alors qu’il est encore temps, sur les grandes manifestations religieuses à venir pour éviter tout rassemblement qui risque de démultiplier les cas positifs et de les disperser dans le pays
La pandémie de la covid-19 continue lentement, mais inexorablement à progresser sur le continent africain. Sur mille (1000) cas testés positifs à la covid-19 dans le monde, cinquante-deux (52) cas sont en Afrique. Sur mille (1000) décès liés à la covid-19 enregistrés dans le monde, trente et un (31) sont en Afrique. Le taux de létalité de la covid-19 en Afrique reste toujours inférieur au taux mondial et s’établit à 2.21 % contre 3.65 % au niveau mondial. La situation de certains pays africains devient, petit à petit, inquiétante. C’est le cas de l’Afrique du Sud, de l’Egypte, du Nigéria, de l’Algérie, etc. Le cas de Madagascar est à surveiller du fait, ces dernières semaines, de l’accélération de la contamination sur la Grande Île, avec 13 643 cas positifs, même si le taux de létalité à 1.2% reste faible et que le taux de guérison à 88% est particulièrement élevé.
Le Sénégal sort de la grande fête musulmane de la Tabaski. Le ministre de la Santé et de l’Action sociale avait demandé, avec insistance, aux populations de fêter la Tabaski en restant sur place, en ne se déplaçant pas pour rejoindre les familles. Beaucoup de spécialistes et de leaders d’opinion avaient jugé qu’il fallait accompagner cette communication de mesures administratives empêchant durant cette période de la Tabaski les déplacements inter-régionaux. Malheureusement de telles décisions ne furent pas prises. Un pays musulman, le Maroc, confina durant la période de Tabaski ses huit (8) villes les plus touchées. J’avais écrit dans ma chronique du samedi 25 juillet 2020 intitulée « Covid19, Tabaski, banalisation et le jour d’après », « au-delà de la sensibilisation, des supplications et des exhortations le seul moyen de prévenir une aggravation de la contamination est d’interdire à temps, au moins durant la période de la Tabaski, le déplacement inter-régional à moins de choisir, durant cette période, le confinement des régions de Dakar, Thiès et Diourbel avec le reste du pays ».
Depuis le retour de la Tabaski, les communiqués quotidiens du ministère de la Santé et de l’Action sociale (MSAS) font apparaître une hausse très sensible des cas communautaires. Certains spécialistes posent le débat autour de la distinction cas importés, cas contacts et cas communautaires dans la terminologie du communiqué du MSAS. Ces spécialistes pensent qu’il faut juste dire cas positifs. Cependant, personnellement, j’adhère, en tant que modélisateur, à cette terminologie qui a l’avantage de la clarté. Elle renseigne de prime abord sur les cas positifs maîtrisés (donc prévisibles) et sur les cas positifs perturbateurs, non maîtrisés donc (imprévisibles) qui indiquent, à la fois, une circulation réelle du virus dans la population sans que la source ne soit déterminée et le degré d’absence de maîtrise de l’évolution de la pandémie dans le pays, dans une grande ville et dans une localité. Pour comprendre ce qui se passe j’ai pris, à titre indicatif et dans une démarche de sensibilisation, la semaine du 25 au 31 juillet 2020 qui se termine le jour de la Tabaski que j’appelle la semaine de la Tabaski. Je compare les données cumulées de cette semaine de la Tabaski à celles de la semaine du 9 au 15 août 2020 que j’appelle la semaine de l’après Tabaski. Vous remarquerez que j’ai laissé huit jours, du 1ier au 8 août 2020, pour le temps d’incubation et de retour à la maison. Cette période peut être largement réduite dans une étude plus fine. Ce tableau résume la situation.
Semaine Semaine Pourcentage
Tabaski après Tabaski
Nombre de Tests 9473 11 344 +19.75 %
Nombre de cas positifs 810 1029 +27.03 %
Nbre de cas communautaires 140 616 +340 %
Nombre de décès 23 22. - 4.34 %
Ce tableau montre clairement que le nombre de cas positifs a augmenté sensiblement de 27,03 % de la semaine de la Tabaski à la semaine après la Tabaski. Cette hausse doit, peut-être, être relativisée car entre les deux semaines le nombre de tests a aussi sensiblement augmenté de 19,75 %. Il est important que le MSAS précise clairement si les tests faits aux voyageurs sont incorporés ou non dans les résultats annoncés quotidiennement. Car si tel était le cas non seulement il n’y aurait pas réellement d’augmentation du nombre de tests initiés par le MSAS mais une réduction drastique ce qui serait alarmant. Dans cette situation, la hausse des cas positifs entre les deux semaines serait largement sous-évaluée. Par contre, le nombre de décès a diminué d’une unité. Le grand changement qualitatif est la répartition des cas dans la nomenclature du MSAS. Le nombre de cas communautaires a implosé entre les deux semaines avec une augmentation de 340 %. J’aurai pu ajouter à cette analyse pédagogique l’analyse de l’évolution de la répartition spatiale des cas positifs qui est, elle aussi, très instructive.
En fait les déplacements des populations de la Tabaski a conduit à une augmentation sensible du nombre de cas positifs, à l’apparition de cas dans de nouvelles localités et à l’aggravation de l’insuffisance de maîtrise de l’évolution de la pandémie dans le pays à travers l’implosion des cas communautaires.
Nous devons tirer des leçons positives des errements de la gestion de la maladie lors des grands déplacements de la Tabaski. Ainsi les pouvoirs publics devraient-ils assumer leur leadership, anticiper, alors qu’il est encore temps, sur les grandes manifestations religieuses à venir pour éviter tout rassemblement qui risque de démultiplier les cas positifs et de les disperser dans le pays. L’arrivée de la pandémie dans les villages sera désastreuse. Déjà, chaque jour, des personnes d'un certain âge nous quittent. Plusieurs personnalités de premier plan au niveau intellectuel, économique, social, politique et religieux sont décédées, frappées par la covid-19. Ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Combien de morts anonymes, combien de morts subits, combien de morts communautaires inconnus du grand public !
L’Arabie Saoudite a donné un exemple à suivre. Elle a organisé, avec succès, un Hadj symbolique, dans le respect des mesures barrières, avec seulement dix mille (10 000) pèlerins. La Communauté chrétienne a pris des mesures strictes en renonçant à tout rassemblement. Certaines autorités religieuses musulmanes, de tout bord, ont déjà annoncé renoncer à certains rassemblements qu’elles avaient l’habitude d’organiser avant la Covid-19. Nous pouvons aller et devons aller dans le bon sens.
L’Islam est une religion de la connaissance. Il n’est pas étonnant que le premier verset du Saint Coran, soit une injonction à apprendre, à connaître, à savoir, un éloge à la conquête de la connaissance. Dès lors, il n’est pas surprenant que les premiers siècles de l’Islam firent progresser la science, créèrent de nouvelles disciplines scientifiques, suscitèrent des inventions de toutes sortes et provoquèrent l’admiration du monde entier.
Il est salutaire que les intellectuels et les sachants (langues nationales, arabe, français, autres) jouent leur rôle. Y renoncer, c’est abandonner la mission la plus noble qui leur est dévolue. Les intellectuels, dans ce pays et en Afrique, ont partout le devoir noble, de dire la science, de partager la technologie, de populariser les connaissances et les savoirs, sans aucune contrainte que celles qu’imposent l’éthique, le respect et la morale.
Unis et engagés, nous vaincrons.