COVID ET PLANS D’EMERGENCE EN AFRIQUE
Cette pandémie a généré partout une baisse globale des ressources publiques internes mais également la baisse des flux financiers extérieurs se rapportant aux emprunts et aux investissements
Covid et plans d’émergence en Afrique
La Covid-19 est une maladie infectieuse provoquée par le coronavirus SARS-CoV-2 qui serait apparue en 2019 en Chine et s’est propagée dans le monde. Elle a entraîné une récession économique mondiale dans un contexte d’interdépendance des économies, et bloqué la libre circulation des hommes et des biens. Cette pandémie a généré partout une baisse globale des ressources publiques internes mais également la baisse des flux financiers extérieurs se rapportant aux emprunts et aux investissements. Ces ressources publiques en baisse au plan interne ont été sollicitées pour venir en soutien aux populations et aux entreprises frappées par la crise sanitaire et ses effets. La pandémie a ainsi nécessité la programmation et l’exécution de dépenses publiques incompressibles de soutien aux populations pour préservation de leur santé, et aux entreprises en difficulté « quoi qu’il puisse en coûter ». Elle a donc mis les Etats du monde dans des situations de déséquilibre financier et de dérèglement macro-économique dans le souci du maintien de l’existant humain et la préservation des acquis économiques essentiels.
Les Etats-Unis injectent 5000 milliards de francs dans leur économie !
Un plan de riposte et de relance de 1900 milliards de dollars. Cet apport «d’argent frais» faisait déjà suite à un plan de dopage de la croissance de l’économie américaine avec l’injection de 2200 milliards de dollars en mars 2020, puis 900 milliards de dollars, soit près de 5 000 milliards de dollars entre 2020 et 2021. Ces injonctions de fonds ont été financées par un déficit budgétaire de l’ordre de 18 % du produit intérieur brut du pays, égalant le déficit généré par les dépenses publiques de reconstruction « post » seconde guerre mondiale. A titre comparatif, les 1900 milliards de dollars du plan de sauvetage du président Joe Biden (American Rescue Plan Act) correspondent au PIB de l’Italie, soit toute la richesse accumulée en un an de ce pays, 3ème économie d’Europe. De cette injection de fonds est attendue non seulement la reprise de la consommation des ménages américains et de l’emploi, mais encore des effets induits sur la relance de la production européenne exportatrice vers les USA.
750 milliards d’euros pour sauver l’économie du Vieux continent !
En Europe, un plan de relance d’environ 750 milliards d’euros a été programmé, accompagné de politiques budgétaires de soutien en interne (creusement des déficits budgétaires : la France est à plus de 7% contre 3% autorisés dans la zone euro) et d’appuis multiformes des institutions financières nationales et européennes pour assurer la reprise économique. Avec toutes ces mesures fortes, l’OCDE table sur une croissance de l’activité économique mondiale de 5,8 % en 2021, après une contraction de 3,5 % en 2020. La relance de la consommation des ménages, donc de la production américaine, la réouverture progressive des frontières ainsi que les espoirs placés dans les bons résultats de la vaccination collective, expliqueraient cet optimisme pour la reprise économique attendue dès cette année 2021.
Le bilan sanitaire et économique et la riposte de l’Afrique
Au stade d’aujourd’hui, le Covid 19 ferait bien moins de victimes en Afrique qu’ailleurs dans le monde. Au 25 mai 2021, selon le Centre Africain pour le Contrôle et la Prévention des Maladies, en Afrique il y a eu 4 768 416 cas cumulés et un total de 128 718 morts. A titre comparatif, la France totalise à la même période 5,7 millions de cas et 100 000 décès. L’Inde enregistre présentement près de 28 millions de cas pour 336 000 décès, et le Brésil 16 millions de cas pour 465 mille décès. Au-delà de la question de l’efficacité des mesures prises, la thèse du Dr Massamba Diop selon laquelle les populations africaines auraient développé une sorte d’immunisation contre le virus au fil du temps n’est pas dénuée de sens. Dans notre continent, la riposte entamée à compter de mars/avril 2020 s’est traduite au plan sanitaire par une fermeture des frontières et des mesures de repli. Les Etats ont dû prendre des mesures drastiques pour sauver des vies. Ces mesures ont essentiellement consisté en l’aménagement de centres de quarantaine pour les cas diagnostiqués, l’auto-isolement des personnes exposées et des mesures de confinement des populations (distanciation physique, port de masques etc.).
Au plan économique, cette situation pandémique intervient dans une période de croissance soutenue des grands agrégats, et la désignation de l’Afrique comme le continent de l’avenir économique du monde. Nous avons les taux de croissance les plus élevés au monde : exemple de la Côte d’Ivoire citée comme ayant l’un plus forts taux de croissance au monde. Le choc du confinement mondial a été rudement ressenti par les principales économies africaines, largement dépendantes de l’exportation des matières premières. Des pays pétroliers comme le Nigéria, l’Angola et la Guinée Equatoriale ont subi la crise de plein fouet. Des pays comme l’Egypte ont exceptionnellement pu maintenir une croissance positive (3,5 %) grâce à la taille de leur marché intérieur et aux réponses monétaire et budgétaire apportées pour contenir les effets de la pandémie.
Les Etats dépendant de l’exportation de matières premières extractives, comme en Afrique de l’Est ou dans le Golfe de Guinée, ont su résister. Au niveau de l’UEMOA, 5 284,93 milliards de FCFA ont été débloqués pour couvrir temporairement les besoins sociaux des ménages (paiement de factures d’électricité, eau, loyers, etc.) et les besoins financiers à court terme des entreprises (différés de paiement d’impôts, facilités douanières, appuis forfaitaires en fonds de roulement), avec comme contrepartie leur engagement à préserver des emplois. Au plan international, la relance africaine escompte près de 100 milliards de dollars annoncés en DTS, dont 33 milliards de dollars au titre des avoirs du continent au FMI, et le reliquat sous forme de redistribution de DTS des pays avancés en sa faveur, ainsi que des effacements de dettes antérieures sollicités. Au Sénégal, au-delà des mesures sanitaires comme le confinement dont la durée et les horaires avaient fini par désorganiser le secteur informel (principal pourvoyeur d’emplois et de revenus), les secteurs d’activité les plus touchés sont l’hôtellerie, le transport aérien, la restauration, l’art, la culture et l’artisanat. Les autres secteurs, à savoir des services comme les exportations, ont faiblement subi les effets du repli économique mondial. Le Sénégal a bénéficié d’un soutien financier de 1 000 milliards de FCFA de l’UEMOA, dont 854 milliards prévus pour soutenir l’économie, logés dans un Fonds dédié aux actions de riposte contre la Covid 19, et gérés dans le cadre du programme de résilience économique et sociale (PRES). A la date du 31 mars 2021, selon le compte rendu des autorités de contrôle de l’utilisation des fonds, 690 milliards auraient été dépensés.
Pour l’avenir
Il faut convenir que la riposte africaine a manqué de promptitude et de vigueur, mais surtout elle est en retrait par rapport aux besoins de relance de l’économie et des besoins micro-économiques des entreprises. Il faut espérer que la progression du Covid 19 soit enrayée par la vaccination et que de nouveaux « variants » ne nécessitent pas à leur tour de nouvelles mesures sanitaires de confinement dont l’effet serait de faire perdurer la récession économique. Les plans d’émergence ont fait l’objet de pauses avec des programmes transitoires comme le Plan de Résilience Economique du Sénégal lui-même intermédiaire du PAP 2A qui est le plan de la phase 2 du PSE.
A notre sens la leçon de cette crise est que « Tout » devra être repensé.
L’émergence en solo n’est pas porteuse de transformation structurelle de nos économies, au regard de la taille de nos marchés et des capacités de production et de consommation qu’elle induit. Tous nos pays se sont dotés de programmes d’émergence « chronogrammés ».
Les émergences du Sénégal et du Cameroun sont prévues pour 2035, celles du Gabon pour 2025, alors que la Côte d’Ivoire le serait déjà depuis 2020. Toutes ces programmes d’émergence distincts sont déclinés dans un contexte aujourd’hui reconnu de politique monétaire répressive ne trouvant pas les canaux efficaces de financement de nos économies dont les taux de croissance sont pourtant les plus forts au monde. Ces taux de croissance forts, au-delà des secteurs traditionnels, sont essentiellement portés par des politiques de grands travaux de type keynésiens, à savoir la construction d’infrastructures de routes et de transports financés sur endettement extérieur. Il ne peut y avoir d’émergence sans transformation structurelle de nos économies qui sont les réservoirs à matières premières des pays « avancés ».
L’exemple du Ghana et de la Côte d’Ivoire, les plus grands producteurs mondiaux de cacao, est parlant. La Côte d’Ivoire se distingue par l’un des taux de croissance économique les plus dynamiques au monde, de 6 à 11 % entre 2012 et 2019. L’économie ivoirienne est portée par le cacao qui représente 15 % de son PIB, avec une production de 2 millions de tonnes en 2020, soit plus de 40 % de la production mondiale. Selon la Banque mondiale, cette culture représente près de 40 % de recettes d’exportation et fait vivre 5 à 6 millions d’Ivoiriens, soit un cinquième de la population du pays. Elle est suivie par le Ghana qui est le deuxième producteur mondial avec plus de 20 %. Ces deux plus grands producteurs mondiaux d’un produit agricole phare à forte demande ne parviennent pas cependant à influencer les prix de cette production, historiquement bas et insuffisants pour faire vivre les petits planteurs qui le produisent. Les prix du cacao ne sont pas fixés ni influencés par les pays producteurs, à l’instar du pétrole avec l’OPEP, mais par les spéculateurs des bourses financières de Londres et New York, complètement déconnectés de l’économie réelle, et qui traitent (en achat et vente) près de 30 fois la production mondiale de cacao.
Les planteurs de Côte d’Ivoire et du Ghana perçoivent environ 6 % des 100 milliards de dollars par an que représente le marché mondial du cacao et du chocolat, et la moitié d’entre eux vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque Mondiale. La Côte d’Ivoire a toutefois mis en place des solutions de stockage et de transformation en interne de la matière première dont le terme est fixé à 2025, avec des partenaires techniques et financiers chinois. La crise sanitaire a remis en perspective des enjeux de long terme que les pays d’Afrique doivent prendre en considération et en compte dans leurs programmes de développement à long terme. Le développement des marchés sous régionaux (ZLECAF, CEDEAO) est d’une urgente nécessité pour faire bénéficier à nos entreprises de marchés plus larges, encourager la complémentarité de nos économies par la diversification et la transformation industrielle de nos produits, promouvoir la création de PME, créer un espace commun dans lequel nous pourrions nous replier lorsque des chocs exogènes de cette nature surviennent. Dans cette configuration, les budgets communautaires, les institutions financières et marchés financiers régionaux devraient valablement se substituer au système actuel d’endettement solitaire et permanent, ponctué de demandes cycliques d’effacement de dettes.