DÉMOCRATIE EN AFRIQUE, UN TEL MIRAGE
Les Africains devraient se demander s’ils n’ont pas manqué de lucidité en imaginant, au sortir des décennies de parti unique et de régimes autocratiques, qu’ils pouvaient, juste en changeant de Constitution, se retrouver, comme par miracle, en démocratie
Et si ce que d’aucuns décrivent comme des reculs de la démocratie n’était que le début d’une terrible désillusion ? Un rappel à l’ordre, pour prendre conscience de l’erreur collective qui a consisté pour les peuples africains à croire, au tournant des années 1990, qu’à partir des partis uniques et autres régimes autocratiques alors en place, l’on pouvait basculer, du jour au lendemain, sans aucun effort, aucune préparation sérieuse, même pas une journée de réelle initiation, dans ce que l’Afrique continue d’appeler pompeusement la démocratie ? Trente longues années à se prendre pour ce que l’on n’est pas.
À force de reporter sans cesse sa décision sur la situation politique au Tchad, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine n’est-il pas en train d’accréditer l’idée selon laquelle l’Organisation serait embarrassée, gênée, voire divisée sur l’attitude à tenir face à une succession que l’on dit dynastique ?
Bien sûr que l’Union Africaine est embarrassée ! Et c’est même un classique que de la voir si peu audible, face à une situation de ce type. Mais, dans cette Afrique centrale, où la règle est de ne s’étonner ni des présidences à vie, ni des successions dynastiques, l’embarras, devant ce qu’il faut bien appeler un coup d’État, vient de ce que tous se demandent si, au lieu d’appliquer ses propres règles, l’UA ne serait pas mieux avisée de prendre en compte les services rendus par le Tchad, et ceux que l’Afrique en attend peut-être encore.
Sauf que tout traitement de faveur pour les héritiers du maréchal Déby pourrait inciter ceux des Tchadiens qui croient encore à la démocratie à vouloir se rendre justice eux-mêmes. Avec ce que cela préfigurerait de troubles et de morts, au regard de la brutalité dont s’est déjà montré capable ce nouveau pouvoir.
Prendre en compte les services rendus ne relève-t-il pas du réalisme, après tout ?
Peut-être. Mais le réalisme qui pousse à ruser et à tricher avec ses propres principes nous ramène à la façon dont l’Afrique se définit elle-même par rapport à l’État de droit et à la démocratie. Ce sont des fautes morales à répétition. Et nul n’oblige l’Afrique à prétendre vivre en démocratie. Peut-être que les Africains devraient se demander s’ils n’ont pas, collectivement, manqué de lucidité, en imaginant, au sortir de trois décennies de parti unique et de régimes plus ou moins autocratiques, qu’ils pouvaient, juste en changeant de loi fondamentale, se retrouver, comme par miracle, en démocratie. L’Afrique n’aurait-elle pas dû aborder le tournant des années 90 comme le début d’un apprentissage, au lieu de s’imaginer être passée, comme par enchantement, en classe supérieure ?