DÉMOCRATIE SOUS TUTELLE
Comment, pour l’opposition, transformer les ambassades occidentales en murs des lamentations et pour le pouvoir, être convaincu que son maintien se joue à Paris, et se scandaliser que les Européens prennent des libertés avec notre souveraineté ?
Je m’étonne de l’étonnement suscité par la sortie des observateurs de l’Union européenne demandant à l’Etat du Sénégal de supprimer le parrainage dans les «plus brefs délais». On dit en droit que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. La classe politique sénégalaise aime se prévaloir de sa propre turpitude. Comment veut-on, quand on est dans l’opposition, transformer les salons des ambassades des pays occidentaux en murs des lamentations et quand on est au pouvoir, être convaincu que son maintien se joue en grande partie à Paris ou à Washington, et se scandaliser que les Européens prennent des libertés avec notre souveraineté.
Si le Sénégal avait tenu son rang démocratique, notre pays aurait dépassé largement cette phase primaire de la démocratie où l’on nous envoie des observateurs pour veiller sur nos élections. L’alternance étant devenue la respiration naturelle de notre démocratie, organiser des élections devrait être une banalité pour nous. Sur le plan administratif et organisationnel, la dernière Présidentielle montre que l’organisation d’élections est devenue une banalité, mais c’est le manque de confiance entre acteurs politiques et notre propension à toujours revenir sur les règles, avec les abus de majorité, les dérives de l’Etat légal, qui font que notre pays est encore sous tutelle électorale. Du discours de la Baule à la révolution burkinabè qui a viré Compaoré, il est évident que les causes endogènes l’emportent sur le jeu des grandes puissances, mais nos élites politiques trainent encore ce complexe occidental.
Même si les faits prouvent que les populations ont coupé démocratiquement le lien ombilical, les politiques continuent de vivre avec cette idée reçue qui veut que tout se joue en Occident, et l’avantage des idées reçues est qu’on n’a pas besoin de les démontrer. En 2000, les Sénégalais ont élu Wade, même si la France pensait que le Sénégal devait éviter le saut dans l’inconnu avec cet aventurier dangereux, comme parlait Foccart. La révolte populaire du 23 juin a été le début de la fin pour Wade, que les Sénégalais vont congédier démocratiquement. L’Union européenne qui emploie un ton si comminatoire avec nous, use de trésors de diplomatie et de subtilité digne de Talleyrand pour se prononcer sur la situation en Algérie, qui a plus besoin de leçons de démocratie que la plupart des pays au sud du Sahara. Pour l’Algérie, la souveraineté est sacrée et il y a consensus national sur la question. Chez nous, c’est tout le contraire.
Il est de bon aloi quand on est dans l’opposition, de dénigrer le pays à l’étranger pour son agenda personnel et quand on est au pouvoir, d’accorder plus d’importance à l’opinion de l’Occident qu’à celle de son pays. Le reportage de la Bbc qui secoue notre pays en est un bon exemple. Le pouvoir s’est cru devoir mobiliser l’appareil d’Etat pour répondre à un reportage que les Sénégalais ont eu par WhatsApp, parce que c’est la Bbc et non pas Rfm ou Walf Tv, et l’opposition est toute contente de dépeindre notre pays comme la Guinée équatoriale ou le Guatemala. Il y a une constante quand on exporte nos sénégalaiseries à l’étranger, que ce soit Wade qui a va manifester contre Diouf invité à faire un discours au palais Bourbon, ou l’opposition qui traque Macky Sall à Paris en marge du Pse, c’est toujours le sourire narquois des Parisiens face au spectacle des Africains qui refusent le sevrage politique malgré l’indépendance.
Vu notre niveau de démocratie, il est temps qu’on apprenne à régler nos sénégalaiseries électorales entre nous, car comme disent les Britanniques, «Right or wrong my country». Il est impensable qu’un homme politique britannique, français ou américain, dise du mal de son pays à l’étranger. Je n’ai pas encore vu des Indiens ou même des Pakistanais ternir l’image de leur pays pour un gain politique interne. C’est toujours l’inverse. On porte le pays au pinacle à l’extérieur et on le critique à l’intérieur. Au Sénégal, nous devons adopter le même gentleman-agreement car les régimes passent, les hommes politiques passent, mais le Sénégal demeure. Critiquons Diouf, Wade et Macky mais ne réduisons pas l’honneur et la gloire du Sénégal à son Président ou à des combats politiques. Le fait même de penser que le sort de notre pays dépend de l’opinion étrangère ou de d’hommes politiques étrangers et pas des Sénégalais qui élisent, est la preuve d’une servitude volontaire dans laquelle notre élite se complait depuis l’indépendance malgré les alternances de 2000, de 2012 et le désordre régénérateur du 23 juin 2011. Malgré tous ces faits, les idées reçues demeurent.