DES CHIFFRES ET DES LETTRES
Jeudi dernier, devant les parlementaires, le gouvernement de Mouhamad M. Dionne a répondu aux questions orales des députés. Exercice intéressant, retransmis en direct sur les ondes des radios – en tout cas sur la Rfm où je l’ai suivi en partie. Et c’est comme s’il avait été écrit que c’est sur la question de cette députée, relative aux remises et autres libéralités fiscales, que j’allais tomber ! Cette affaire qui avait été mise sur la place publique par un des deux syndicats d’inspecteurs des Impôts, comme le coup de Jarnac du siècle infligé à notre économie, s’était naturellement invitée au tout prochain face à-face entre le gouvernement et l’Assemblée nationale. La députée Awa Guèye interpella donc le Premier ministre sur le pourquoi des «50 milliards» de renonciations fiscales «en faveur de certaines entreprises », pour l’année 2015. Et le chef du gouvernement invita le ministre de l’Economie et des Finances à y répondre
Amadou Ba y alla de ses chiffres -nous en parlons en premier parce qu’en la matière ceux-là ont une importance, sinon centrale, réelle. D’emblée, il dit ignorer ce chiffre de 50 milliards, reconnaissant que l’Etat avait procédé à des renonciations fiscales pour 11 milliards, en donnant les raisons, dont celle, parfois, de sauver carrément «des entreprises en difficultés». Auparavant, le ministre avait de façon très précise, didactique même, expliqué que cela était pratique courante à travers le monde, et pour diverses raisons. Et Que d’ailleurs, au Sénégal, ce qui n’est pas le cas partout, la renonciation est encadrée par la loi. On pourrait dire, aujourd’hui, si on a bien compris le ministre, que la renonciation fiscale est un instrument de régulation économique, sociale et même politique –je parle de la grande politique qui consiste à maintenir les grands équilibres essentiels à un système. Je crois d’ailleurs que sa sortie fut tellement pertinente, qu’elle mit fin au débat, en tout cas tel qu’il avait été engagé par ce syndicat. Car, depuis, plus rien. Mais une dernière chose, quoique peutêtre anecdotique, me paraît intéressante pour conclure. Le communiqué du syndicat des Impôts et Domaines, qui avait fait si grand bruit, avait pointé la presse comme étant parmi les entités ayant bénéficié de ce Casse du siècle (50 milliards, quand-même !). S’il avait fait si grand bruit, c’est aussi parce que la presse sénégalaise est bien vivante, dynamique, et ne se laisse pas… amadouer par quelque faveur fiscale de l’Etat au point de ne pas amplifier les griefs de ses fonctionnaires. Or, parmi les journaux et radios ayant donné corps à ce «buzz», au point qu’il atteigne les bancs de l’Assemblée, beaucoup auraient mis la clé sous le paillasson s’ils n’avaient bénéficié de renonciations fiscales successives. Ha, ha !!!
On aimerait bien pouvoir ainsi rire gentiment de certains protagonistes d’un débat, lui, en cours, quand il prendra fin, dans un peu moins d’un mois en principe : La question des réformes déposées pour avis auprès du Conseil constitutionnel par le président de la République, déplorablement ramené à la réduction du mandat présidentiel et, malheureusement, pour l’essentiel de la classe politique, à la réduction du présent mandat du M. Macky Sall. Elle est devenue si confuse, rendue opaque par les passions politiques dans lesquelles on l’emballe. Ainsi est créé un embrouillamini juridico-politicomoralisante complètement désarmant pour l’honnête homme sénégalais qui ne demande qu’une chose, d’abord : comprendre.
Ensuite, peut-être seulement d’ailleurs, prendre position dans ce qui apparaît comme la première préoccupation de la classe politique, avec ses snipers recrutés chez les «spécialistes du droit constitutionnel », pourtant. Or, à son stade actuel c’est impossible de se faire une opinion, une bonne fois pour toutes, car tous les jours, on note que les «spécialistes du droit constitutionnel» ne sont pas d’accord sur ce que le Président Sall devra faire de l’avis sollicité du Conseil. Le Président doit-il, peut-il, le jeter à la poubelle et faire comme il veut ? Il s’en trouve qui disent «oui», véhémentement ! D’autres disent «non», tout aussi véhémentement.
Le Président est-il tenu par l’avis du Conseil, et donc ne peut pas prendre de décision le contrariant ? Il y en a qui disent «Oui», d’autres «Non», chacun avec véhémence. Je doute qu’ils s’entendront sur ce point dans moins d’un mois, et que n’importe lequel des deux camps retranchés supporterait, vu la passion qui les anime, qu’on lui ricane au nez parce que les faits lui auront donné tort. Mais enfin, le président Abdou Diouf aimait à le rappeler, et aujourd’hui qu’il semble frappé de sagesse, ça prend plus de relief : «Le pire n’est jamais sûr». Accrochons-nous donc à cela. Il y a une vingtaine d’années, déjà, quand, dans les colonnes du «Matin», nous nous étonnions que des choses, apparemment simples à cerner, étaient comme à plaisir compliquées par les «spécialistes du droit», et que nous nous en offusquions dans nos éditoriaux, arguments de bon sens à l’appui, le regretté Babacar Kébé, magistrat alors, de la vielle école, se plaisait à m’appeler pour comme on dit de nos jours, me «recadrer» : « Pape Samba Kane, me disait-il alors, j’aime bien ton syllogisme- là, mais le droit, ce n’est pas de la logique».
Bien sûr, j’ai eu du mal à admettre, et encore aujourd’hui, que la logique ne pusse s’appliquer à une matière aussi centrale dans l’organisation de notre «commun vouloir de vie commune ». Vingt ans durant, et chaque fois que d’occasion, j’ai essayé de raisonner «en droit», pour le peu que j’en savais. Ceci expliquant cela, sûrement ? Mais non, justement. Voici que les lettres, c’est-à-dire, le savoir en rapport avec la langue, vient à mon secours, par la voix d’un lettré peu ordinaire, un homme politique de chez nous qui a des lettres, qui sait ce que les mots valent et veulent dire, c’est Ousmane Tanor Dieng. Si ce qu’il a dit, repris à la une du «Quotidien», et de quelques autres journaux, lundi 25, ne réglait pas cette guerre de tranchées «Le Président est tenu ! Le Président n’est pas tenu», rien ne la réglera plus. OTD a dit : «Le Président doit respecter l’avis du Conseil constitutionnel ». Il n’a pas dit «est tenu de…». Respecter est un mot d’usage tellement courant, peut-être galvaudé ! Nous sommes donc allés voir le dictionnaire : «Respect… «Respectabilité… «Respectable… Ah ! «Respecter… Ce «verbe transitif» écrit le Dictionnaire universel (2dition de 2008) y est défini ainsi : «1 Eprouver du respect pour (qqn). 2 Observer (une prescription, une interdiction, un ensemble d’usages ou de règles) [ex] respecter la loi, les règlements, enfin, et c’est nous qui soulignons : «Ne pas porter atteinte à (qqch)».
Qui devrait porter atteinte au Conseil constitutionnel ? Personne, le président de la République en tête ! Alors, ne le lui demandons, pas quelque «spécialiste du droit» soyons-nous ! Ça serait logique, si on les respectait, lui et le Conseil constitutionnel