DIATTA, LE BONHEUR CHOISIT LES BELLES PERSONNES
Il est juste que la nation porte le deuil d’un de ses fils méritants - Son existence est en définitive une bénédiction et une grâce par son exemplarité - Elle vaut pour le présent immédiat et pour les temps à venir
Par où commencer et comment le dire lorsqu’on se sent concerné par les effets de ce que le poète Hölderlin qualifie de « grande roue du deuil qui tourne dans le monde ». La mort de Bruno Diatta, mon ami, mon frère, ne signifie pas seulement la disparition d’un homme d’exception.
Si sa mort polarise tant d’unanimisme compassionnel c’est qu’elle installe dans les consciences l’idée clairement perceptible que Bruno figurait parmi les membres éligibles et rares de la noblesse d’Etat. Il en incarnait avec éclat et calme, avec autorité et bienveillance, avec pondération et équilibre, la permanence, l’impartialité et la fonction instrumentale qui est la sienne. Dans les temps qui sont ceux d’aujourd’hui traversés par d’impétueux courants qui laissent libre cours à la déconstruction des valeurs de référence, au dépérissement du normatif en général, au délitement des symboles, la désignation de
Bruno Diatta comme un des sièges de la liturgie républicaine peut faire sens et elle fait sens, et rassurer ainsi pour l’avenir. On ne fréquente pas Léopold Sédar Senghor impunément en termes d’organisation et de méthode mais surtout sur la perception de l’Etat, de son rôle et de ses finalités ultimes. Comme un certain nombre d’autres, il a appris de Senghor que l’Etat était en définitive comme l’affirme avec justesse Jaurès, « une transcendance perpétuelle ». Donc j’ai connu Bruno il y a longtemps. Nous habitions à l’époque à la cité Bouquerau chez nos parents respectifs. La qualité de nos liens était telle que cette proximité de voisinage avait fini par prendre les couleurs de l’apparentement, ce qui est courant comme on le sait dans nos traditions sénégalaises.
Nous fûmes dans notre prime jeunesse sous le joug de ces grandes figures tutélaires que je veux évoquer avec émotion et qui ont noms Babacar Ba, Edouard Diatta, Amadou Karim Gaye, Alioune Sène pour qui, aucune foi, aucune volonté, aucune intelligence ne vaut dans le cadre d’une République si elle n’est investie par la mystique de l’Etat. En nous souvenant de Bruno Diatta, je ne puis m’empêcher de l’imaginer lisant Anatole France, et s’attardant sur le propos suivant : « C’est en croyant aux roses qu’on les fait éclore. » Cet optimisme de la volonté est profondément représentative de ce qu’il était et qui explique en vérité le secret de sa longévité à un poste de responsabilité aussi sensible, aussi central et subtil comme jamais. Et puis comment ne pas noter dans le feu de l’action le paradoxe frappant de cette image d’un personnage si frêle, si méthodique, passionné par son office mais si indifférent aux feux de la rampe et à l’ivresse qu’ils induisent.
Comme le Général Wane, ancien aide de Camp du Président Diouf lui aussi disparu, il avait coutume de m’interpeller chaque fois que nous partagions des moments d’intimité du sobriquet « Marechal Diagna », connaissant mon addiction pour la société militaire. C’était amical et affectueux. A l’image de la France de l’ancien régime ou existaient la noblesse de robe par opposition à la noblesse d’Epée, je redis ma conviction que mon ami Bruno relève depuis toujours et pour l’éternité de ce que j’appelle la Noblesse d’Etat. Il faut se réjouir que l’Etat, par son chef le Président Sall ait pris toutes les diligences pour honorer un de ses grands serviteurs.
Il est juste que la nation porte le deuil d’un de ses fils méritants. Son existence est en définitive une bénédiction et une grâce par son exemplarité. Elle vaut pour le présent immédiat et pour les temps à venir. Je suis très triste.