DIFFAMATIONS, INJURES ET AUTRES MÉFAIT COMMIS VIA L’INTERNET SOMMES NOUS DÉMUNIS?
L'internet favorise, au Sénégal, la divulgation d’insanités inqualifiables, atteignant, voire, détruisant la vie de personnes, de couples, de familles sous forme de propos diffamatoires, de dénigrement, d’injures, de diffusion d’images répugnantes
L’opinion publique a été choquée par les propos particulièrement outrageants tenus par des femmes et des hommes qui, à travers les réseaux sociaux, se sont attaqués, en des termes défiant toute moralité aussi bien aux plus hautes autorités de notre pays qu’à de paisibles citoyens du seul fait de leur appartenance ethnique, religieuse ou confrérique ou de leur notoriété.
Si ces comportements ont pu être choquants, il apparaît que, quotidiennement, l’internet favorise, au Sénégal, notamment, la divulgation d’insanités inqualifiables, atteignant, voire, détruisant la vie de personnes, de couples, de familles sous forme de propos diffamatoires, de dénigrement, d’injures, de diffusion d’images répugnantes
La finalité est d’une gravité telle que la violation de l’intégrité morale de la collectivité, celle de la dignité de personnes privées, d’hommes et de femmes actifs dans la vie politique, la souillure de la réputation d’opérateurs économiques, d’entreprises, la remise en cause du droit à la propriété, dans le seul but de nuire, sont devenues monnaie courante. Il est établi que les préjudices causés par l’atteinte à l’image d’une entreprise ou à la réputation de ses dirigeants sont beaucoup plus dommageables qu’un incendie détruisant complètement celle-ci. Le phénomène est devenu tellement récurrent qu’on aurait tendance à croire que règne un vide juridique total laissant accroire une impunité de tels méfaits.
Selon l’édition 2016 du Rapport sur le développement dans le monde consacré aux “Dividendes du numérique” de la Banque Mondiale, le Sénégal fait partie des pays d’Afrique qui encouragent le plus l’entreprenariat dans les Technologies de l’Information et de la Communication (Tic). L’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) dénombre entre 12 et 13 millions d’abonnés. L’Internet est certes un outil puissant de communication, il permet la libre expression d’opinions, de savoirs, de connaissances et constitue un carrefour extraordinaire d’échanges sur tous sujets, de brassage culturel, voire d’inclusion.
Dans le même temps, il peut représenter un outil dévastateur de vulgarisation de déclarations abusives, d’incitation à la haine, d’apologie du terrorisme, de la pédophilie, de l’intolérance religieuse et de propagande à l’encontre de tout ce que l’humanité a mis des générations à construire, à savoir, notamment la paix, les droits de la personne, le libre accès au savoir….
Il permet, mieux que ce que les journalistes avaient eu le privilège exclusif de faire jusqu’à son éclosion, à tout un chacun de s’exprimer publiquement, sans aucune déontologie et, par des moyens très variés et très simples, d’atteindre en un seul click toute l’humanité. La question se pose donc légitimement de savoir s’il existe un moyen de se défendre.
Est-ce que le laxisme ambiant constaté dans nos pays n’aurait pas tendance à laisser penser que les réseaux sociaux et l’internet sont une zone de non droit ? Un internaute qui a pour seul dessein d’atteindre l’honneur d’un tiers quelconque au moyen d’une expression injurieuse, dénigrante ou diffamante, d’images dégradantes, postées sur Facebook ou d’un service de messagerie instantanée ou une personne faisant l’apologie du terrorisme peuvent-ils être poursuivis et sanctionnés?
Les faits qui ont heurté la sensibilité des honnêtes citoyens, récemment, ont été commis par des personnes ayant délibérément donné leur identité, assumant pleinement et incontestablement leurs propos malveillants.
Par contre, dans les commentaires libres gracieusement favorisés par les exploitants de sites web, des individus se cachent dans le plus lâche des anonymats pour insulter, attaquer ou dénigrer des citoyens ou véhiculer leurs propagandes et leur haine viscérale contre les croyants, les membres de groupes sociaux particuliers, notamment, s’ils ne le font pas depuis leur compte Facebook ou via Twitter.
Quel que soit le vecteur de communication utilisé, réseaux sociaux, Internet, Facebook ou Twitter, on se trouve devant un dilemme important : y a-t-il communication publique ou privée? La particularité de notre corpus juridique est telle que le caractère public de la communication sera seul à même de définir la nature de l’infraction commise.
Ceci peut représenter une contrainte mais, sous d’autres rapports, constitue un atout formidable pour réprimer de manière plus élargie certaines infractions. En effet, dans le code pénal de la République du Sénégal, les infractions susceptibles d’être considérées comme de la diffamation, de l’injure ou d’apologie d’un crime ou d’un délit sont, au demeurant, classées dans une section dédiée spécifiquement aux « INFRACTIONS COMMISES PAR TOUS MOYENS DE DIFFUSION PUBLIQUE ».
Un tel libellé vient consacrer la préoccupation du Législateur Sénégalais de trouver les voies et moyens de « renforcer la lutte contre le cyberterrorisme ainsi que toute autre forme de délinquance perpétrée par le biais des moyens électroniques….» tel que, clairement, déclaré dans l’exposé des motifs de la Loi 2016-29 du 8 novembre 2016 modifiant la Loi 65-60 du 21 juillet 1965 portant Code Pénal de la République du Sénégal.
La diffamation y est explicitement définie à l’article 258 al. 1 puis à l’art. 261 al. 1 lorsqu’il s’agit de particuliers. Il en est de même de l’injure à l’art. 258 al. 2. Et de celle commise à l’encontre de personnes spécifiques désignées aux articles 259 et 260 du Code pénal. Dans tous les cas de figure, pour qu’elles soient constituées, il faut qu’elles aient été commises par le biais de « moyens de diffusion publique » à savoir : article 248 « …généralement tout procédé technique destiné à atteindre la public ».
Le recours à de tels procédé permet également de punir quiconque aura « fait l’apologie d’un crime ou d’un délit ». Il semble, à la lecture du Code Pénal de la République du Sénégal que nous ne soyons pas totalement démunis pour réprimer ces méfaits.
Est, donc, considéré comme moyen permettant d’atteindre le public art. 431-7 Code Pénal « tout procédé de communication opéré par voie électronique, signaux décrits, images, sons de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée ». La liberté d’expression ainsi permise au moyen de l’internet, des réseaux sociaux trouve donc ses limites dans les dispositions du Code pénal qui sanctionnent la diffamation, l’apologie de crimes et délits et l’injure dès lors que ces infractions sont commises au moyen de supports techniques visant à atteindre le public.
De quoi s’agit-il exactement ? Pour ceux qui ont osé défier publiquement notre conscience collective en s’identifiant explicitement il est incontestable qu’ils ne devraient pas échapper à des poursuites judiciaires et, le cas échéant, à de sévères condamnations. Il n’y a aucune autre hypothèse s’ils ont choisi un site web pour ce faire. Ils ont souhaité la diffusion la plus large possible de leurs propos.
On peut, par contre, se poser la question de savoir s’ils ont oui ou non posté leurs messages dans leur compte Facebook ou par Twitter ou par messagerie instantanée. Twitter est incontestablement un espace public parce qu’il est potentiellement consultable par tout un chacun.
Quiconque peut se permettre de rendre viral le message en le retwittant contribuant ainsi à la densification de la publicité du message diffamatoire ou injurieux. Tous ceux qui auront rendu public un tel message au moyen d’un tel media sont passibles le cas échéant des mêmes sanctions en cas de diffamation, d’injure… Si Twitter est considéré comme un vecteur public incontestablement, qu’en est-il de Facebook ou des systèmes de messagerie instantanée?
Facebook est, à la fois, un espace public et privé. Si le message est placé sur le mur de l’auteur et donc accessible à toute la communauté Facebook, il devient public et devient donc passible des mêmes sanctions s’il véhicule des propos diffamatoires, injurieux ou de nature à semer haine ou propagande de nature délictueuse ou criminelle.
Si l’auteur se cache derrière sa messagerie instantanée mais promeut la diffusion, la plus large possible, via tout réseau utile, le caractère public devient incontestable et tous ceux qui auront contribué à relayer les messages seront passibles des mêmes poursuites.
Quid de ceux qui demeurent dans la lâcheté de l’anonymat le plus total?
Un site web publie des informations. Il peut, également, offrir un forum pour les commenter. Le forum est par définition un espace, public ou privé, de discussions qui doit être animé et contrôlé par un modérateur. La pratique des réseaux sociaux est suffisamment éloquente de la très grande propension des exploitants de site web à garantir une certaine permissivité laissant ainsi libre cours à l’expression des propos les plus malveillants sur des citoyens, des organisations ou des entreprises, si ce n’est la diffusion avec leur consentement ou non d’images dégradantes d’hommes ou de femmes surpris dans leur plus pure intimité.
Au Sénégal, certains exploitants de sites web, certains hébergeurs internet, à savoir, des prestataires ayant pour vocation d’offrir un service de serveurs et de sites web conçus et gérés par des tiers qui consiste à mettre à disposition 24h/24h, 7j/7j (héberger) votre site internet sur un ordinateur sécurisé et connecté à internet ont pris des dispositions pour que tout ne passe pas à travers leurs serveurs ou leurs sites web. Des modérateurs surveillent toutes les saisines émanant d’internautes.
D’autres, par contre, laissent tout passer et poussent le bouchon jusqu’à aller chercher eux-mêmes, des vidéos dans YouTube ou Daily Motion, des messages ou des images sur la page Facebook de tiers pour les diffuser avec ou sans leur consentement.
Lorsqu’on lit ce qui est présenté comme conditions d’utilisation d’un très célèbre site du Sénégal, il y est mentionné que les exploitants ont la possibilité de restreindre l’accès aux auteurs de commentaires répétitifs. Il n’est cependant pas exclu qu’il y ait un modérateur.
Il y a donc, tout lieu d’en déduire que c’est en bonne connaissance de cause que l’administrateur du site laisse libre cours à certaines expressions outrageantes tant et aussi longtemps qu’elles n’ont pas un caractère répétitif.
L’objectif recherché par les exploitants de tels sites consiste uniquement à obtenir le maximum de clicks et d’afficher des statistiques leur permettant, d’une part, de gagner le plus d’argent dans le lucratif commerce des données et, d’autre part, j’allais dire subséquemment, d’attirer, comme tout le monde peut le constater, le maximum d’annonces et de publicités.
L’immoralité ne consiste-t-elle pas à tirer un avantage pécuniaire le plus faible soit-il, ce qui n’est surtout pas le cas, en faisant de son business, la création de «buzz» par la propagation de fausses nouvelles, de fausses allégations, d’insultes les plus outrageantes, la diffusion d’images les plus obscènes, de messages de propagande les plus dangereux pour la jeunesse et à enfermer, ainsi, une certaine catégorie sociale dans le puéril confort d’une ignorance dégradante marquée par l’accès facile au sexe, à l’obscénité la plus vulgaire, à la délation, à la désinformation, la manipulation et tant d’autres méfaits dont la liste est si longue.
Les fournisseurs d’accès Internet (FAI), c’est-à-dire les organisations offrant une connexion à Internet, les hébergeurs de sites Web et les exploitants de réseaux sociaux ont les moyens de mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant de prendre connaissance des abus de l’expression sur leurs réseaux ou leur site internet. Ils sont tenus de respecter le droit de réponse (art. 431-50, CP) sous peine d’une amende.
Un site web peut être doté d’un webmaster (ou administrateur de site) dont la responsabilité est d’assurer la gestion technique du site Internet, sa maintenance en passant par sa mise en place technique et son animation au quotidien, la mise à jour et l’analyse du contenu. Cette fonction peut être externalisée.
Le Code Pénal de la République du Sénégal est riche de dispositions très pertinentes pour réprimer les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication (cf titre IV Code Pénal). En effet, Notre droit positif permet allègrement de sanctionner autant les auteurs des propos que ceux qui les diffusent surtout lorsqu’ils vont les chercher pour faire le « buzz », comme on dit. Point n’est besoin « d’aller chercher midi à quatorze heures », voire même de nous inspirer du droit comparé ou de la jurisprudence de cours et tribunaux d’autres pays.
L’article 255 du Code Pénal Sénégalais dispose, explicitement, que « la publication, la diffusion, la divulgation ou la reproduction par quelque moyen que ce soit de fausses nouvelles…. Sera punie….». La lutte contre le terrorisme et la criminalité devrait les contraindre à prendre conscience de leur responsabilité d’avoir à connaître de toute situation de nature à créer le désordre dans le pays, à favoriser la propagande sectariste d’où qu’elle vienne, le racisme et la xénophobie, la haine contre les personnes appartenant à des groupes sociaux particuliers, la pornographie juvénile et de porter à la bonne information des autorités publiques des dérives de cette nature. (art. 431-7, art. 431-34 et suivants CP). L’ARTP devrait pouvoir les y contraindre comme la Commission de protection des données personnelles.
Incontestablement, en tant qu’éditeur, les hébergeurs de contenus diffamatoires, injurieux ou dégradants sont responsables de tout ce qui est publié sur leur site. Cette responsabilité est civile et pénale. Ils sont, en fonction du déroulement des faits, soit complices, soit coauteurs de tels méfaits. Complices lorsqu’ils ont provoqué ou facilité la commission d’un crime ou d’un délit prévu par la Loi.
En effet en se privant d’instaurer systématiquement un modérateur, ils prennent ainsi la responsabilité de s’exposer aux mêmes poursuites que celles pouvant être exercées à l’encontre de l’auteur des faits répréhensibles.
Ils seront par contre coauteurs des faits si, délibérément, ils sont allés chercher l’information dans la sphère privée de leur auteur (compte Facebook, Instagram avec restriction) ou dans l’espace public (YouTube, Daily Motion) qu’offre l’internet, pour la diffuser. Dans ce cas de figure, même si l’auteur principal devait être exonéré de poursuite principale ou s’il devait bénéficier d’une immunité, l’hébergeur ou exploitant du site pourrait être maintenu dans les liens de la prévention en qualité de coauteur.
De plus en plus, en France et dans la plupart des pays démocratiques, la jurisprudence est constante sur le fait que les créateurs de sites internet accompagnés de forum sont responsables de tout préjudice causé par l’absence de dispositions en vue de modérer l’expression des internautes.
Ils peuvent, également, être poursuivis comme auteurs principaux des infractions visées dans les poursuites même si les messages n’avaient pas vocation à être communiqués à l’information du public. Les bonnes pratiques constatées à travers les pays qui doivent nous servir de benchmark font apparaître qu’au bas de chaque site figurent les mentions légales afférentes audit site. En l'absence de la rubrique "mentions légales", peuvent être inscrites les "conditions d'utilisation/terms of service", "confidentialité/privacy", "à propos/about" ou "contact".
Certains sites et blogs non-professionnels ne sont pas tenus par l'obligation de révéler l'identité du responsable du site. Toutefois, l'identification de l'hébergeur est toujours requise, mais celui-ci - astreint au secret professionnel - ne peut a priori pas communiquer d'information sur le responsable du site. Vous pouvez cependant lui demander de relayer cette demande auprès de l'éditeur du site.
Quoi qu’il en soit, même lorsqu’un individu crée un site dans la plus totale discrétion, en pensant naïvement pouvoir rester incognito, les moyens existent de pouvoir l’identifier très facilement ou à défaut via, l’hébergeur d’avoir accès à toutes les informations de nature à connaître précisément le déclarant responsable du site, celui qui a créé le site, qui paye les frais afférents à son fonctionnement et de connaître les modalités prévues pour autoriser ou non la diffusion de données.
C’est, donc, devenu une mission de salubrité publique que de prendre toutes les dispositions pour que cessent ces violations permanentes de notre intégrité morale au nom de la liberté d’expression. Cela participe de la moralisation de la vie publique, de l’assainissement des mœurs et de la sécurité nationale.
Nous en avons les moyens grâce à l’application de la législation claire et pertinente en vigueur, ici au Sénégal. Ne rien faire et laisser perdurer la situation actuelle équivaut à cautionner les agissements des malfaiteurs qui représentent un danger tant au plan sociétal qu’aux plans économique, moral et spirituel.
Sources :
• JORS 6975 du 25 novembre 2016
• S. SEIBT : pour la justice française une page Facebook n’est pas un lieu public
• Alexandre Rodrigues : diffamation sur Internet comment vous défendre • Alexandre Chombeau : Diffamation sur Internet et la Loi
• Regis Sainte Marie Pricot : les réseaux sociaux face au risque de sanction pour injure et diffamation.