DROITS DE L'HOMME, LE SÉNÉGAL DÉCLASSÉ
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans le sombre tableau que dépeint Amnesty International, sont inscrits des faits réels - Le démenti opposé par le ministre de la Justice peut, cependant, se comprendre, ne serait-ce que de manière relative
À lire de près le communiqué d’Amnesty International sur le Sénégal, la première impression qui se dégage est que notre pays s’est départi de ses traditions démocratiques. Il s’est déclassé car le niveau d’exigence démocratique a baissé. Et continue de baisser. Et ce, en dépit de ses alternances démocratiques dont il n’a plus l’exclusivité en Afrique de l’Ouest. Faute d’une assemblée nationale fidèle à ses missions de garde-fou, de pratiques judiciaires normées et pour n’avoir su au moins garder le même niveau d’exigence, notre démocratie défraîchit et prend des rides.
Les faits incriminés sont patents. Les violences policières, certes épisodiques, prennent des tours meurtriers. Pis, elles sont souvent impunies. Du moins, les pratiques judiciaires laissent croire à un manque réel de célérité, chaque fois qu’un élément des forces de sécurité est en cause. Il en est ainsi du meurtre des étudiants Balla Gaye, et Mamadou Diop et accessoirement de Bassirou Faye de l’UCAD. Et plus récemment encore, celui de Fallou Sène de l’UGB.
On aurait pu en dire autant des jeunes commerçants qui morts, après des arrestations jugées plutôt musclées par des proches. À l’évidence, le temps de la Justice n’est pas celui de la presse. Cependant, on s’explique mal que des procédures et des enquêtes, mise en accusation, au bout du compte de jugement, traînent autant en longueur. Comme si, à l’épreuve du temps, on cherchait à classer le dossier sans suite… pour épargner des forces de l’ordre ?
Et pourtant, dans cet enchevêtrement des bavures policières, le ministre de la Justice et le procureur nous promettent à l’envi d’aller jusqu’au bout de l’action judiciaire. Rien n’y fait. Les parents et amis attendent encore de faire le deuil de leur cher être, l’opinion et la presse, d’être édifiées sur les vraies circonstances de ces tueries.
A contrario, la rapidité avec laquelle, les dossiers judiciaires des hommes politiques (singulièrement de l’opposition) et des justiciables lambda connaissent un traitement diligent, laissent pantois plus d’un. Il s’y ajoute de surcroît, que des pontes de l’administration, militants de l’APR, épinglés par les corps de contrôle hument encore l’air de la liberté. Il leur arrive même de donner l’affreuse impression de narguer l’opinion, par des déclarations arrogantes, une décapante désinvolture lors de leurs sorties médiatiques. Un ministre « visité » par des magistrats de la Cour des comptes, les a violemment éconduits. Sans coup férir ! Lors du dernier remaniement ministériel, alors qu’on croyait son sort scellé, il héritera d’un département plus important, qu’avant cette incroyable insouciance… protégée.
Qui plus est, l’opacité entourant les dossiers du pétrole, du Prodac, du Coud, le safe-room protecteur des 25 ciblés de la CREI, les promoteurs de l’orgie financière du Fesman, entre autres, donnent tout de même, un amer goût d’injustice, iniquité et d’absence manifeste d’égalité des citoyens devant la loi. Des magistrats indignés par « l’immixtion » de l’exécutif dans les différentes étapes des procédures, estiment que cette « main noire » dépare singulièrement nos pratiques judiciaires. Ils ont préféré rendre leur tablier, plutôt que de violer l’obligation de réserve. Entre le silence coupable et le devoir d’indignation, ils n’ont pas d’hésité.
Aujourd’hui, ils se retrouvent dans la mare politique dont ils sont désormais parties prenantes. Leur nouvelle posture se présente comme un pied-de-nez au pouvoir, qui ne pourra, comme avec Sonko, les punir de leur impétuosité. La violation des droits de la défense dans les procès de Karim Wade et Khalifa Sall, le non respect des arrêts de la CEDEAO, des recommandations du Comité International des droits de l’homme de l’ONU, sur le fonctionnement de notre justice, suffisent à gêner aux entournures, une majorité choisie en 2012n pour mettre fin aux délitements du régime précédent.
Sur le terrain strictement politique, les interdictions de manifestations (en nombre décroissant et limité) souvent réprimées par une violence policière inouïe, constituent autant d’écarts antidémocratiques impensables dans un contexte d’élargissement des libertés promis par le référendum de mars 2016. Il se trouve par-dessus tout, que la judiciarisation excessive des relations entre pouvoir et opposition, en l’absence de dialogue politique sincère et récurrent, crée les conditions d’un climat de tension propice aux affrontements. Les mouvements sociaux issus de l’exaspération des organisations de travailleurs après des engagements gouvernementaux non tenus, ajoutent à la spirale de violence, terreau de tous les excès.
Dans le sombre tableau que dépeint Amnesty International, sont inscrits des faits réels. Leur prévalence, n’est pas, assurément, à l’avantage du Sénégal, jusqu’à une époque encore récente, l’enfant chouchou des ONG de droits de l’homme. Mais depuis 2000, le Sénégal s’est emballé dans une dérive antidémocratique, qui ternit son image de marque. Il n’est plus la figure de proue des modèles du genre, à l’image du Bénin, du Cap-Vert, du Ghana et de l’Afrique du Sud, entre autres. Son seul rapprochement avec la Mauritanie suffit à produire du désarroi. Un regrettable signe de déclassement !
Le démenti opposé par le ministre de la Justice peut, cependant, se comprendre, ne serait-ce que de manière relative. Le Sénégal est loin de ce vaste champ clos des violations des libertés essentielles qu’annonce le communiqué. Les institutions, bon gré, mal gré fonctionnent. La presse privée bien que menacée par les concentrations horizontales, les conflits d’intérêts et sa proximité avec le pouvoir, y est foisonnante et plurielle. Le service public est, cependant, sous ordre. Les manifestations politiques restent très majoritairement autorisées, même si le régime déclaratif est de temps à autre malmené.
Le communiqué du rapport semble déséquilibré, par le simple fait que l’ONG ne cible que les violences institutionnelles. Sélectivement, Il pointe un doigt accusateur vers les pouvoirs publics et la police. Il occulte les violences civiles orchestrées par les étudiants par des actes de vandalisme contre les automobilistes, les passants, le saccage des campus académiques, les prises d’otage de professeurs et du personnel administratif. Le condensé du rapport fait fi des violences verbales de l’opposition, qui préparent hélas, le lit à la confrontation judiciaire et la réplique sévère et disproportionnée des forces de l’ordre.
Il y a d’autres formes de violences civiles et sociales, qui affectent les enfants et les femmes très timidement relayées par l’ONG. Tout compte fait, Amnesty à une ardente obligation d’ouvrir les yeux sur toutes les formes de violences par un monitoring plus efficace des manifestations, de leurs causes et effets. Son objectivité et sa crédibilité dépendent de son sens de l’équilibre et la technicité de ses méthodes de prises d’informations, d’analyse et de commentaires.