DU SANG, DU FRIC, DES LARMES ET… L'IMPUNITÉ AU BOUT
Faudrait-il légiférer pour accorder l'impunité totale et complète aux opposants politiques ? L'actualité de ces derniers temps pourrait le laisser croire. Le "tout politique" devient un raccourci facile pour prôner l'impunité
Faudrait-il légiférer pour accorder l'impunité totale et complète aux opposants politiques ? L'actualité de ces derniers temps pourrait le laisser croire. Le "tout politique" devient un raccourci facile pour prôner l'impunité.
En effet, on a vu Barthélemy Dias, poursuivi et condamné pour coups mortels et pour détention d'arme à feu sans autorisation légale, affirmer que s'il a été poursuivi et jugé, c'est simplement parce qu'il a eu à afficher des prises de positions opposées au régime du Président Macky Sall. Barthélemy Dias ne veut plus reconnaître, comme il avait eu à le faire devant les caméras de télévision, qu'il avait fait usage de son arme à feu le 22 décembre 2011, contre la victime, le nervi Ndiaga Diouf et qu'il se vantait même d'avoir tué. A ce moment-là, il avait adopté la stratégie de défense fondée sur l'argument de la légitime défense. Il a par la suite librement décidé, avec ses avocats, de changer de stratégie de défense et de ne plus plaider la légitime défense. Pour autant, il estime qu'il ne devrait pas être poursuivi.
Dans cette affaire, il y a eu mort d'homme et les ayants droit de la victime sont fondés à réclamer justice et réparations. Comment le ministère public pourrait-il ignorer de telles exigences on ne peut plus légitimes ? L'enquête qui avait été ouverte depuis la survenance des faits a suivi son cours normal pour que le dossier judiciaire soit en état de jugement. Une telle procédure devrait-elle être rangée aux oubliettes, simplement parce que Barthélemy Dias appartient au camp de Khalifa Ababacar Sall qui se mettrait dans une ligne d'opposition et que donc enrôler l'affaire à une audience régulière équivaudrait à un règlement de comptes politiques ou un acharnement ou un moyen de chercher à l'empêcher de se présenter aux élections législatives prochaines ?
Le même argumentaire a été employé par d'autres partisans du même Khalifa Ababacar Sall, maire de Dakar, qui sont eux aussi poursuivis pour une infraction de droit commun, à savoir le saccage de la maison du Parti socialiste le 5 mars 2016. Bamba Fall et consorts objectent qu'en dépit des actes de vandalisme perpétrés et qui ont fait des blessés graves et des destructions de matériels et biens appartenant à autrui, ils ne devraient point être poursuivis en justice et que la plainte déposée formellement par Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti socialiste, devait être ignorée.
L'ancien Premier ministre Abdoul Mbaye s'est plaint le week-end dernier à Kaolack que Macky Sall pourchasse ses opposants en les traduisant en justice. Il soutient la théorie du règlement de comptes politiques, lui aussi, quand son ex-épouse Aminata Diack porte plainte contre lui devant la justice pénale. Abdoul Mbaye estime que si la plainte de son ex-épouse a été instruite, c'est justement parce qu'il est un opposant qui se voudrait irréductible du Président Macky Sall. Seulement, il semble oublier que Aminata Diack est une Sénégalaise dont les droits doivent être reconnus par la justice de son pays. Il s'y ajoute que, quand la dame Aminata Diack, dans une procédure de divorce initiée par lui-même Abdoul Mbaye, excipait devant la justice des arguments de bigamie et de faux et d'usage de faux en écritures publiques dont son époux serait l'auteur, Abdoul Mbaye était Premier ministre du Sénégal aux côtés de Macky Sall.
Le jugement rendu dans cette affaire l'avait été au moment où Abdoul Mbaye était encore chef du gouvernement, et cela n'avait pas empêché sa condamnation. La plainte de Aminata Diack au pénal avait été initiée dans la foulée de ce verdict au civil. Qu'est-ce que le régime de Macky Sall pourrait-il avoir dans une telle affaire pour manipuler la justice au détriment d'un adversaire politique ? La même théorie du complot politique avait été agitée quand Samba Thioub, secrétaire permanent du parti Rewmi de Idrissa Seck, avait été arrêté en février 2016, pour une affaire de drogue dure. C'est comme qui dirait que Dominique Strauss-Kahn, qui était le mieux placé dans les sondages pour la Présidentielle française de 2012, ne devait pas être poursuivi pour ses turpitudes dans l'affaire de viol sur Nafissatou Diallo à New York.
Faudrait-il brûler les rapports de l'Inspection générale d'Etat ?
La même rengaine de la manipulation des institutions judiciaires à des fins politiques est encore usitée par le camp de Khalifa Ababacar Sall dans l'affaire de la gestion des fonds de la mairie de Dakar. Des missions de l'Inspection générale d'Etat (Ige) avaient été envoyées tous azimuts, en 2015, dans toutes les mairies des grandes villes du Sénégal. Des irrégularités avaient été décelées par les inspecteurs généraux d'Etat et en fonction de la gravité des faits, l'Ige, dans ses conclusions, avait recommandé des poursuites judiciaires contre les responsables des gabegies. Ainsi, des actes de gestion de plus de sept mairies se sont révélés sujets à caution et le ministère public a ouvert des procédures judiciaires, conformément aux recommandations de l'Ige.
Seulement, le camp de Khalifa Sall voudrait considérer que le maire de Dakar est visé en particulier pour chercher à tuer ses éventuelles ambitions politiques. Cet argumentaire aurait pu prospérer si Khalifa Ababacar Sall avait clamé son innocence et qu'il avait montré que les Inspecteurs généraux d'Etat affabulaient ou avaient fait des constatations erronées. Tel ne semble pas être le cas. N'empêche, les partisans de Khalifa Sall crient au scandale, estimant que les manquements peuvent bien être relevés, mais que Khalifa Ababacar Sall avait agi strictement comme ses prédécesseurs édiles de Dakar, en l'occurrence Mamadou Diop et Pape Diop.
Ainsi, des fonds avaient pu être détournés de leur destination régulière, des documents de commandes fictives établis pour dissiper de l'argent public. Comme cela avait toujours été le cas… Khalifa Ababacar Sall et son équipe municipale peuvent-ils oublier qu'ils avaient été élus en 2009 et reconduits en 2014 sur la base d'un engagement pour une gestion transparente et honnête des ressources de la ville de Dakar ? Peut-il se mettre devant la barre d'un Tribunal comme un vulgaire malfaiteur qui dit à ses juges, "j'ai cambriolé parce que d'autres le faisaient avant moi et qu'ils n'ont jamais été pris et donc, je suis une victime d'un acharnement du procureur qui me poursuit devant vous" ?
Il faut dire que c'est cette même stratégie de victimisation qui avait été empruntée quand le même Khalifa Ababacar Sall avait décidé de lancer un emprunt sur les marchés financiers pour la somme de 20 milliards de francs Cfa pour financer des projets, alors que cet emprunt devait être garanti et couvert par l'Etat du Sénégal. Il s'était gardé de recueillir l'aval et la caution des autorités compétentes de l'Etat dans cette opération. Mais quand le ministre des Finances lui avait opposé son veto, Khalifa Ababacar Sall avait crié au complot et à l'ostracisme.
De la même façon, il avait cherché à engager une opération d'embellissement de la Place de l'Indépendance et d'y aménager un parking souterrain. Un projet fort discutable. Il faisait un pied de nez à l'Etat du Sénégal et cherchait ainsi à engager un bras de fer avec le gouvernement. Dans ces mêmes colonnes, (voir notre chronique du 16 février 2016 intitulée "Khalifa, attention à ce cheval de Troie"), nous avions écrit que le maire de Dakar vendait du vent en affirmant que son chantier serait terminé au mois de novembre 2016. Il suffit de faire un tour sur les lieux pour se rendre compte que l'annonce était on ne peut plus fumeuse.
En France aussi, Fillon joue sur le même tempo
Peut-on se plaindre aujourd'hui que des rapports de l'Inspection générale d'Etat soient transmis à la justice pour les diligences nécessaires ? Qui n'applaudissait pas, le 4 avril 2012, quand le Président Macky Sall promettait la fin de l'impunité et disait qu'il ne protégerait personne et que les rapports des corps de contrôle de l'Etat seront désormais systématiquement déférés aux instances compétentes ? Nous pourrions peut-être nous consoler du fait que cette tendance bien commode qu'un homme politique à court d'arguments cherche à se présenter comme une victime devant l'opinion publique n'est pas l'apanage exclusif des hommes politiques sénégalais.
En France par exemple, l'actualité politique de ces dernières semaines révèle que le candidat de la Droite à la prochaine élection présidentielle emprunte le même moyen de défense fragile. Accusé d'avoir fictivement employé et rémunéré sur des fonds publics son épouse comme assistante parlementaire, François Fillon plaide que la pratique était courante et qu'il n'était pas le seul dans cette situation. D'autres députés ou sénateurs ne trouveraient pas trop de peine à justifier le travail effectué par leurs conjoints, fils, filles ou autres proches. Il s'y ajoute que le candidat Fillon qui a inscrit la dynamique de sa campagne sur les principes de la probité et de la transparence semble être rattrapé par son hypocrisie.
Qui ne se souvient pas de son attitude perfide à l'endroit de son autre rival, Nicolas Sarkozy, qui s'empêtrait dans des procédures judiciaires ? Il lui jeta à la figure un cinglant : "Qui peut imaginer le Général De Gaulle mis en examen ?" François Fillon stigmatisait et se gaussait des casseroles que traînaient ses concurrents jusqu'à rappeler, au bon souvenir d'un Alain Juppé, l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris qui avait valu à l'ancien bras droit de Jacques Chirac une condamnation pénale. Le même François Fillon avait défrayé la chronique en suggérant à Jean Pierre Jouyet, secrétaire général de l'Elysée, au cours d'un déjeuner le 24 juin 2016, de faire accélérer la machine judiciaire contre Nicolas Sarkozy. Cette affaire avait été révélée par des journalistes du quotidien français Le Monde. François Fillon avait été débouté de sa plainte en diffamation. Qu'ils peuvent être déroutants les hommes politiques !
C'est le même François Fillon qui accuse le gouvernement de gauche de chercher à torpiller sa candidature en sortant dans les médias l'histoire des emplois fictifs de Pénélope Fillon. Pourtant François Fillon aurait bien pu soupçonner, au même titre, ses "bons amis" de la Droite qui auraient, par ce procédé, bien fait acte de vengeance à son égard. Les fuites dans l'affaire Fillon peuvent provenir de partout, mais il semble assez curieux que les premières personnes qui, le premier jour des révélations, ont accusé une main de la gauche d'être derrière les révélations du Canard Enchaîné, soient Eric Woerth ou Georges Fenech qui sont des lieutenants proches de Nicolas Sarkozy. Allez savoir !