EN AFRIQUE, LES PROMESSES AMBIGÜES DE L'ÉMERGENCE
Les créations de villes futuristes censées décongestionner les anciennes capitales coloniales comme Diamniadio, sont autant des projections symboliques dans un futur «émergé» que de potentiels éléphants blancs déconnectés des réalités locales

En janvier 2019 s’est tenue à Dakar la troisième édition de la Conférence internationale sur l’émergence de l’Afrique, expression parmi bien d’autres de la place privilégiée qu’y occupe désormais cette notion dans les débats sur le développement et la croissance économique. Sur les 54 pays du continent, 37 se sont en effet dotés d’une «stratégie d’émergence», en écho au contexte macroéconomique des vingt dernières années: entre 2000 et 2019, l’Afrique a connu les taux de croissance les plus élevés du monde. Le continent serait-il passé de la «faillite de l’espoir», comme le titrait The Economist en 2001, à la promesse de l’émergence?
Comme le soulignent de nombreuses voix critiques, croissance n’est cependant pas synonyme de développement social. Durant ces mêmes années, les inégalités se sont très profondément creusées. De plus, la croissance des années 2000 reposait pour une bonne part sur les cours très élevés du pétrole et d’autres matières premières sur les marchés internationaux. Elle est donc volatile et, selon les projections de la Banque mondiale, cette dynamique va connaître un brusque coup d’arrêt du fait de la pandémie de Covid-19. Les discours et les pratiques de l’émergence méritent pourtant qu’on s’y arrête pour ce qu’ils révèlent des continuités et ruptures dans les modes de gouvernement de la croissance et du développement en Afrique. Les stratégies d’émergence s’inscrivent en effet dans une dynamique de redéploiement de l’Etat comme moteur dans la planification et la mise en œuvre des politiques de développement.
C’est dans le domaine des infrastructures que les effets de l’émergence sont peut-être le plus visibles. Après les décennies de l’ajustement structurel qui avaient mis à l’arrêt de nombreux projets au nom de l’orthodoxie budgétaire et du désendettement, on ne compte plus les barrages hydroélectriques, ports en eaux profondes, ponts, routes et voies ferrées construits ou en construction au titre des stratégies d’émergence. De même, les créations de villes futuristes censées décongestionner les anciennes capitales coloniales, comme la cité de Diamniadio entre le centre historique de Dakar et le nouvel aéroport international, sont autant des projections symboliques dans un futur «émergé» que de potentiels éléphants blancs déconnectés des réalités des populations locales.