EN DÉFENSE DE L'UNION AFRICAINE
Des Chefs d'État plus préoccupés par la consolidation de leur régime que par la construction de l'UA. Comment les amener à s'investir plus dans sa mise en œuvre ? Telle est la tâche centrale que la Commission devra entreprendre

Il est de bon ton dans la presse internationale, francophone, française et africaine en particulier, de railler l'Union Africaine (UA) qui serait un "syndicat de chefs d'État" incapable d'exercer une quelconque prise sur le devenir de l'Afrique.
Ainsi le quotidien français le Monde qualifiait récemment l'Union Africaine d'organisation "en lambeaux", son programme de "fourre-tout" et sa présidente de "dépourvue de vision et taiseuse", qui aurait "accéléré le déclin de l'UA"
Il suffit pourtant d'examiner les objectifs, principes, et modes de fonctionnement ainsi que les programmes et réalisations de l'UA depuis sa création en 2002 pour constater que, par rapport à l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) qui l'a précédé, des progrès remarquables ont été réalisés.
Les objectifs que se fixe d'emblée l'UA ne sont plus en effet seulement "d'assurer la primauté de l'État…consolider l'indépendance des états….éliminer le colonialisme sous toutes ses formes…"
Il s'agit désormais aussi ainsi que le proclame le document fondateur de l'Union adopté solennellement par les Chefs d'État lors du sommet inaugural de Durban (Afrique du Sud) en juillet 2002 "d'accélérer l'intégration politique et socio-économique du continent… promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent… promouvoir et protéger les droits de l'homme et des peuples conformément à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme… coordonner et harmoniser les politiques entre les Communautés économiques régionales existantes et futures en vue de la réalisation graduelle des objectifs de l'Union… accélérer le développement du continent par la promotion de la recherche dans tous les domaines, en particulier en science et en technologie…"
Les principes adoptés, qui constituent les balises pour la mise en œuvre des programmes de l'UA pour l'atteinte de ses objectifs, constituent d'autres indicateurs de l'évolution progressiste de la nouvelle organisation pan africaine.
Ceux-ci font référence à la "participation des peuples africains aux activités de l'Union…à la mise en place d'une politique de défense commune pour le continent africain…. au respect des principes démocratiques, des droits de l'homme, à l'état de droit et de la bonne gouvernance… à la promotion de la justice sociale pour assurer le développement économique équilibré
L'institution d'un Conseil économique, social et culturel (ECOSOCC) comme organe consultatif qui "contribue, à travers des avis, à traduire en programmes concrets les objectifs, principes et politiques de l'Union et à l'évaluation de ces programmes" traduit une volonté de changement radical du mode de prise de décision par rapport à l'OUA.
L'ECOSOCC qui a pour mandat de "promouvoir la participation de la société civile africaine à la mise en œuvre des politiques et programmes de l'Union.." devient en effet, potentiellement en tous cas, partie prenante de la prise de décision qui ne relève plus exclusivement des seuls chefs d'État.
Autre indicateur de l'évolution du fonctionnement de l'UA : l'institution d'une Commission qui remplace le Secrétariat Général de l'OUA et qui n'est plus cantonné désormais à la seule exécution des décisions des Chefs d'État mais jouit d'un pouvoir d'initiative
La Commission a même été proclamée Autorité de l'Union Africaine en 2009, même s'il semble que cette proclamation n'ait pas été encore effectivement mise en œuvre.
En outre l'Union Africaine s'est dotée d'un Parlement Pan Africain, d'une Cour de Justice, d'un Comité de Paix et de Sécurité ainsi que d'institutions financières (la Banque Centrale Africaine, le Fonds Monétaire Africain et la Banque Africaine d'Investissement) qui ne sont toutefois pas tout à fait opérationnelles encore.
Il a aussi intégré en son sein le NEPAD (Nouveau Programme pour le Développement de l'Afrique) qui prend en charge ses projets de développement économique et social et s'est rapproché davantage d'institutions spécialisées comme le Commission Economique pour l'Afrique (CEA) des Nations Unies et la Banque Africaine de Développement (BAD).
L'Agenda 2063 constitue la clef de voute du dispositif mis en place par l'Union Africaine depuis son avènement pour réaliser effectivement le développement et l'unité du continent.
Il s'agit à la fois d'une "vision" et d'un plan stratégique adopté à travers une Déclaration solennelle par la Conférence des 54 Chefs d'État et de gouvernement membres tenue à Addis –Abeba le 25 mai 2013, marquant le Jubilé d'or, soit le cinquantième anniversaire de la création de l'OUA.
Un projet de document –cadre a ensuite été élaboré avec l'appui de la Commission Economique de l'Afrique (CEA), de la Banque Africaine de Développement (BAD) et du NEPAD puis soumis à débat à des représentants de la société civile et des universitaires et chercheurs de toutes les parties du continent avant d'être finalisé et adopté en 2015.
L'objectif principal est dans un horizon de cinquante ans, en 2063, de « bâtir une Afrique intégrée et prospère, soutenue et dirigée par ses propres citoyens et constituant une force dynamique sur la scène mondiale".
L'Agenda 2063 entend impulser des actions précises pour la "transformation structurelle de l'Afrique" autour de huit (8) "axes stratégiques" dont "l'intégration régionale", "le développement économique et social", "la paix et la sécurité" et "la gouvernance démocratique".
On peut se demander bien entendu si les nouvelles institutions que l'UA a mises en place (le Conseil Economique et Social, le Parlement Africain et les institutions financières) auront l'impact attendu et si l'Agenda 2063 sera plus effectif que les nombreux plans de développement qui l'ont précédé (Charte de l'OUA, Plan d'action de Lagos, Déclaration de Monrovia, Traité d'Abuja, NEPAD) etc.
Selon le Professeur Amadu Sessay de l'Université Obafemi Awolowo au Nigeria la prise en compte des droits de l'homme et des peuples, la promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance et de la participation de la société civile prônées par l'Union Africaine constituent de véritables motifs d'optimisme.
Pour ce qui est de l'Agenda 2063, le chercheur ivoirien Ladji Ouattara estime qu'il est "un point de départ encourageant. Il propose des outils pour traduire les déclarations et les engagements politiques en mécanismes et en actions concrètes. Il définit la démarche à suivre, les moyens généraux à mobiliser et des instruments de vérification des progrès et d'apport de mesures correctives. Dans son élaboration et sa mise en œuvre, l'Agenda 2063 intègre des étapes et des cibles précises. Il prévoit l'inclusion de tous les acteurs du continent, en particulier les femmes et les jeunes, tout en tenant compte de la diversité de l'Afrique…"
Cependant tous les observateurs et acteurs en conviennent : d'importants défis et obstacles devront être levés pour assurer le succès du nouveau plan de développement de l'Afrique.
Nkozassana Dlamani-Zuma, elle-même, faisait remarquer encore récemment, lors de la cérémonie d'ouverture du 27e sommet de l'Union africaine : 'Le continent africain est plein d'espoir, plein d'optimisme. Mais il y a des raisons d'inquiétudes dans beaucoup de domaines''.
Raison d'inquiétude d'abord face à l'état de la gouvernance de trop nombreux pays du continent.
Trop de Chefs d'État restent encore plus préoccupés par la consolidation de leur régime que par la construction de l'union africaine.
Comment les amener à s'investir plus dans la mise en œuvre de l'Agenda 2063 ? Telle est la tâche centrale que la Commission de l'Union Africaine devra entreprendre.
Autre raison d'inquiétude et autre défi devant être levé pour assurer le succès de l'Agena 2063 : celui des moyens financiers.
Le budget de fonctionnement même de l'organisation reste encore tributaire à 70% des donations de l'Union Européenne, de la Banque Mondiale et de la Chine.
Cependant la mise en œuvre de la décision des Chefs d'État prise lors du récent Sommet de Kigali (Rwanda) d'instaurer une taxe de 0,2% sur les importations pourra générer plus d'un milliard de dollars par an et permettra de relever ce défi.
Il y'a aussi l'instabilité politique, les guerres civiles et le terrorisme qui affectent plusieurs régions du continent.
A ce propos, on met trop souvent en avant les lenteurs, les carences et échecs de l'Union Africaine en matière d'interventions militaires dans les crises africaines et on occulte le fait que depuis la création de sa Commission Paix et Sécurité en 2004, elle est intervenue, avec succès quelques fois, dans les crises au Comores, au Darfour, en Côte d'Ivoire, au Burundi, en Somalie et au Burkina Faso notamment.
On n'informe pas des progrès accomplis dans la mise en place de la Force Africaine en Attente (FAA) pour servir de force de paix africaine permanente qui pourra être déployée rapidement à partir de ses bases au sein des différentes communautés régionales.
Les armes ne se seront certainement pas tues partout en Afrique à l'horizon 2020 comme le projette l'Agenda 2063 mais des progrès décisifs dans ce sens devraient être réalisés.
En fait l'Union Africaine est un projet, un chantier en cours de réalisation.
Son succès final ou son échec dépendra des interventions des citoyens africains auprès de leurs gouvernements et de l'Union Africaine elle-même.