FAIRE GAFFE
L’interdiction temporaire du niqab peut être décidée même dans un État islamique, mais au nom de quelle légitimité ? Il suffit qu’une batterie de mesures justifiées ou non soient prises pour que le Sénégal devienne une cible
Le philosophe français Paul Valéry, dans cet esprit subtil dont il avait le secret, a dit la chose suivante : «Le monde ne vaut que par les extrêmes et ne dure que par les moyens.» Quel don particulier possèdent ces grands écrivains pour nous exprimer en des mots particuliers les choses les plus complexes ?
Autant dire que les hommes ont une inclination naturelle vers les extrêmes, poussés en cela par le pessimisme. L’Homme est naturellement pessimiste. Le juste milieu lui fait horreur. Il a tendance à tout faire à l’excès. C’est la raison pour laquelle les religions, les grandes sagesses et les systèmes philosophiques et moraux, bref la culture en général, appelle l’espèce humaine à la modération ; exercices spirituels difficiles et par moments douloureux pour l’Homme dont l’histoire est jalonnée par des pratiques de domination et d’hégémonie.
Même ceux qui appellent à la modération sont parfois dans l’excès, en cela qu’ils le font à partir d’une culture souvent dominante. C’est l’exemple de la majorité qui accuse toujours la minorité d’être «excessive», parce que la minorité est trop visible contrairement à ce que l’on pense, elle détonne dans le décor, comme une tache blanche sur du tissu noir.
Aujourd’hui, c’est le terrorisme qui est en cause, une conséquence des pratiques excessives de l’homme. Le terrorisme est toujours la conséquence d’un conflit politique de grande intensité. Une grande querelle de nature politique et culturelle provoque souvent le terrorisme. Il n’est pas forcément lié à la pauvreté. La pauvreté n’en est même pas la cause secondaire. Elle a plutôt un effet d’entraînement. Une incompréhension généralisée venant souvent de l’élite dominante vient s’ajouter à la masse déferlante de préjugés, d’approximation et même d’ignorance. Le dialogue est alors interrompu.
Comment Michel Houellebecq, l’écrivain français «le plus lu et le plus traduit» présentement, a-t-il pu passer de Plateforme, un ouvrage violemment islamophobe, à Soumission où l’islamisme qui arrive au pouvoir en France est dépeint sous un visage relativement modéré ?
Ce livre d’une écriture quotidienne comme à son habitude et la polémique qu’il a suscitée révèlent cet état d’esprit qui caractérise particulièrement l’élite parisienne. On ne lui reproche pas d’avoir posé l’hypothèse islamiste sous forme romanesque, le «pourquoi pas l’islamisme modéré», mais d’avoir évolué sur la question islamique. Houellebecq a osé dire qu’il a lu le Coran avant d’avoir écrit Soumission et qu’il faudrait être particulièrement malhonnête pour avoir une interprétation violente du Coran.
Soumission aurait pu être plus violent s’il était écrit après les affreux attentats qui viennent de frapper la France. Des pauvres êtres innocents qui sont aujourd’hui assassinés en France par le fait de l’engagement de leur gouvernement dans l’affreuse guerre syrienne n’ont eu que la malchance d’habiter un pays qui peut venir à bout du terrorisme, mais qui perdra la guerre de «l’invasion religieuse».
Les jeunes de la France et de toute l’Europe déchristianisée aux trois-quarts tentent de retourner vers le paradis perdu. Dans ce phénomène de ré-enchantement de la civilisation européenne, ni l’extrême droite encore moins la droite ne pourront jouer un quelconque rôle, sinon s’ériger en repoussoir idéal pour la rhétorique islamiste. Ni Marine Le Pen ni Nicolas Sarkozy encore moins François Bayrou n’ont la foi, la stature et la religiosité de Charles Martel. La geste de Poitiers est encore loin !
Les gouvernements du monde ont intérêt à écouter les quelques esprits brillants qui annoncent des choses à chaque époque. Juste après la chute du mur de Berlin, Philipe Delmas a écrit Le bel avenir de la guerre, au moment où les analystes médiatiques disaient que la guerre est devenue obsolète. En ce sens, le gouvernement du Sénégal a tout intérêt à se méfier de l’analyse télévisuelle même si elle présente quelques intérêts. Les analystes eux-mêmes devraient être analysés. Ce n’est pas parce que l’on a été un gentil professeur ou chef du département d’Arabe ou avoir écrit un livre sans critique sur Boko haram que l’on peut servir des recettes miracles anti-terroristes.
De nos jours, il est plus facile d’écrire un bouquin que d’élaborer un seul article scientifique digne de ce nom. La question du terrorisme est d’autant plus complexe que les approches francophone et anglo-saxonne divergent. Tenez-vous bien ! Il y a quelques années, un article de référence publié par une chercheure américaine dans Manière de voir présentait les excroissances confrériques comme la principale menace islamiste au Sénégal. Contrairement à ce que pensent nos experts médiatiques, l’islam confrérique est autant «surveillé» que les mouvements islamiques.
Remarquez à propos du Niqab (il n’y a pas de Burqa au Sénégal), personne n’a souligné les aspects ethniques d’un tel choix vestimentaire. Son interdiction temporaire peut être décidée même dans un Etat islamique, mais au nom de quelle légitimité ?
Un conflit de légitimité se pose auprès du chef de l’Etat. L’homme qui murmure à son oreille devrait faire gaffe. Il suffit qu’une batterie de mesures justifiées ou non soient prises pour que le Sénégal devienne une cible. Avant d’accéder au Palais, le Président Macky Sall a fait le tour des mouvements islamiques au Sénégal.
C’est le moment d’appeler leur expertise en la matière. La responsabilité de tous est engagée devant Dieu et les hommes.