NE PAS TOLÉRER L’INTOLÉRABLE
EXCLUSIF SENEPLUS - Macky Sall devrait se méfier de ces amis d’élection, minorité dans le pays, mais qui essaye d’imposer leurs vues au plus grand nombre dans le seul but de préserver leurs propres intérêts

Voilà Me Babou qui vient grossir la cohorte d’individus qui insidieusement nous mettent dans la tête, et dans celui du président, l’idée qu’il pourrait briguer un troisième mandat. On eût pensé que le coup était passé si près au mois de mars, avec les incidents dramatiques qu’on a connus, que plus jamais on ne tenterait le diable avec des propos ou actes aussi malencontreux. C’est pourtant ce qu’a dit ce juriste, dans une émission politique phare de grande écoute dimanche dernier, en nous parlant d’une constitution de 2016, qui n’existe que dans sa tête. On se demande quel est le projet : serait-il incompétent au point d’ignorer qu’il n’existe pas de constitution de 2016, mais plutôt une révision de la constitution de 2001 toujours en vigueur ? Ou alors serait-il en mission pour nous faire croire qu’une telle constitution existerait et justifierait ainsi la remise à zéro du nombre des mandats fixé à deux ?
On est d’autant plus scandalisé qu’on découvre que c’est la supposée élite qui, jour après jour, nous débitent des calembredaines infâmes soutenues par des raisonnements caligineux et indignes.
Le président devrait se méfier de ces amis d’élection, minorité dans le pays, mais qui essayent d’imposer leurs vues au plus grand nombre dans le seul but de préserver leurs propres intérêts. Quoi qu’il arrive ces pseudos amis ne paieront pas les conséquences de ce qu’ils prônent. Qu’on ne s’y trompe pas : ils n’aiment pas le président, ils détestent juste l’incertitude qui leur ferait perdre leurs avantages. L’aversion de la perte est ce qui motive leurs sorties feutrées, mais hautement calculées. Ceux-là n’aiment pas la République. Ils attisent les mauvais vents qui, si on n’y prend garde, risquent d’emporter le pays. Ils savent ce qu’ils initient, mais ils ne savent pas où cela va atterrir. Nous sommes une communauté de destin, nous ne laisserons pas ces apprentis pyromanes en tous genres, nous entraîner vers des extrémités auxquelles ils nous convient.
Ce sont eux nos vrais adversaires, cette armada de politiciens professionnels, de juristes et autres intellectuels à la solde, qui dans nos États, bien que minoritaires têtus, ne vivent jamais au dépourvu, car mangeant à tous les râteliers. Ils ont maîtrisé l’art de dénaturer les faits et en usent comme une arme commode dans la controverse. N’est-ce pas déjà eux, qui avaient fini par convaincre le président de faire sept ans dans son précédent mandat au lieu des cinq qu’il avait promis urbi et orbi ? Ce dernier a beaucoup perdu de sa réputation en cédant à ces gens, qui avaient intérêt à ce qu’il « rallonge « son mandat sans, comme dirait Taleb, « jouer eux-mêmes leur peau ».
Pourquoi cette pseudo élite agit-elle ainsi ? Aurait-elle peur de ne plus pouvoir disposer de moyens pour payer les études de leurs rejetons à l’extérieur ? Aurait-elle peur de voir le parc de leurs automobiles rétrécir ?
Le président se ligue, à juste titre, contre ceux qui se servent des réseaux sociaux, pour tancer, insulter tous ceux qui ne partagent pas leur point de vue. Cette intolérance n’est pas tolérable. Mais quid de cette élite qui savamment endoctrine le peuple en recourant au harcèlement médiatique pour le submerger de fausses nouvelles ?
Cette attitude est tout aussi intolérable, et devrait être dénoncée. Il n’y a point de hiérarchie dans l’intolérance.
Mais nous savons que cette élite n’entretient qu’un rapport transactionnel avec le président. À sa défaite, ils noueront d’autres allégeances avec les nouveaux vainqueurs. C’est cette spirale qu’il faut briser.
La tolérance laxiste vis-à-vis des propos d’un Aliou Dembourou Sow et du comportement d’un Bougazelli, sous prétexte qu’ils appartiennent au camp du pouvoir, nous a conduits tout doucement, mais aussi irrémédiablement vers le camp de la violence. Cette attitude de laissez-faire, tout aussi intolérable, sert de fuel aux insulteurs qui agrandissent ainsi leur sphère d’influence. Ce sont là des ingrédients d’un ras-le-bol qui n’aura besoin que d’une étincelle pour exploser à tout moment.
En attendant, c’est la tournée du Nord. Les mobilisations de foules immenses prévisibles donneront l’illusion que le troisième mandat est à portée de main. Autre tromperie. L’ancienne recette de location des intermittents des élections fonctionne toujours. Ils seront enrôlés et déversés sur les routes chaudes du Fouta, attendant pendant des heures sous le soleil pour applaudir à tout rompre au passage des bolides du cortège présidentiel.
Essayer de mettre Aissata Tall Sall, Racine Sy, Abdoulaye Daouda Diallo, Cheykhou Oumar Hanne, Farba Ngom - et j’en oublie d’autres encore - dans la même besace et leur demander de chanter le yela* sur le ndande mayo* en se tenant la main au nom de l’unité de Benno Bokk Yakkar et de la solidarité pulaar est une belle gageure. Cela ne marchera pas. C’est une question de dimension. Chaque fois que le « nous » devient trop grand, et Benno Bokk Yakkar est devenu trop grand, les choses ont tendance à se gâter et chacun, se sentira à l’étroit et songera à défendre ses propres intérêts. Dans un ensemble grand, les interactions possibles deviennent élevées, on tombe dans ce qu’on appelle la « malédiction de la dimension ». C’est ce qui explique la sortie vocale du beau-frère Adama Faye et de quelques caciques de la coalition déjà. Les autres recalés suivront la même voie pour peu que le choix du président ne se portât pas sur eux. Les couteaux s’affûtent sous les boubous. Les guerres des locales auront bien lieu. Le président aura beau leur demander de s’entendre pour l’intérêt de leur localité, mais ils ne sauront faire ce que lui même ne sait pas faire pour le pays. Le conflit reste un art et très peu le savent.
Une bonne majorité n’existe, pour reprendre le modèle épistémologique de Karl Popper que s’il est « réfutable », c’est-à-dire si elle accepte les pensées divergentes, si elle reconnaît les erreurs et si elle est sujette au doute. Tout régime doit être accessible à la critique et à la confrontation des opinions. Il ne faudra donc pas se fâcher, monsieur le président si les gens, lors de votre passage, portent des brassards rouges, vous huent ou vous interpellent. Cela est normal dans une démocratie. Refuser d’emprunter les voies de contournement dégagées, qu’essayeront de vous faire prendre vos responsables locaux. Il faudra aller au-devant de vos administrés qui ne sont pas contents, vous arrêter, poser des questions et essayer de comprendre leurs doléances pour pouvoir les résoudre. Tel est votre rôle.
Faites comme vous avez su le faire avec vos opposants d’antan, transformer les en arcs-boutants de votre réputation comme un certain Yankhoba Diatara le fit dans une émission du soir il y a quelques semaines, à la surprise générale, lui qui avec les siens du Rewmi, menaçaient de vous détruire il n’y a pas si longtemps.
Faites tourner la roue, faites la politique autrement.
Ce sera définitivement le chemin de la sagesse.
Yela : chant traditionnel pulaar
Ndande mayo : bord de fleuve
Tidiane Sow est coach en communication politique