SAUVER LES TRAVAILLEURS, SAUVER L’ENTREPRISE
Le débat sur la flexibilité de l’emploi est agité dans le but d’adapter l’organisation du travail et la productivité aux exigences de la mondialisation. Pour atteindre cet objectif, précariser l’emploi n’est pas la solution
Couple travail-capital
L’évolution de la pensée économique prouve que toutes les théories dans ce domaine sont basées sur le capital et sa fructification, c’est-à-dire le travail. Capital et travail sont étroitement lié et forme un couple indispensable à tout système économique. L’un sans l’autre, c’est tout un système qui s’écroule.
Le couple capital-travail génère des rapports entre employeurs et employés, il conditionne l’évolution et la stabilité de l’humanité dans tous les domaines. C’est aussi la clé du développement économique et du progrès social des nations.
L’influence des rapports entre capital et travail a fait naître de grandes révolutions que l’humanité a connues et par conséquent, l’essentiel des idéologies politiques. A titre d’exemple, la révolution française de 1789. Selon l’académie de Poitiers, la révolution française est issue de la conjugaison de deux mouvements : la lutte politique contre l’oppression (Grenoble), et la lutte sociale pour les salaires (Paris).
Dans le couple capital-travail, les idéologies qui œuvrent pour le renforcement du capital sont situées à droite et celles proches du travail et qui œuvrent pour son renforcement sont situées à gauche. En d’autres termes, c’est le capitalisme, le socialisme et toutes les idéologies dérivées de l’un ou de l’autre.
Au fil du temps, chaque élément du couple pour garantir sa survie ou son renforcement, a eu à développer des idéologies dérivées. L’impact de chaque groupe idéologique dans la marche du monde, garantit l’équilibre et la stabilité de l’humanité.
Dès lors, les relations de travail ne laissent aucun acteur indifférent, au premier plan desquels les tenants des pouvoirs politiques et ceux du pouvoir économique.
La mondialisation ayant exacerbée la concurrence, avec ses exigences de qualité dans les offres et services, pour s’adapter à ce contexte, les capitaines d’industrie maîtres de l’économie mondiale envisagent toutes sortes de stratégies pour consolider leur posture hégémonique. Cette volonté hégémonique ne doit pas occulter l’impérieuse nécessité de sauvegarder la paix et la stabilité dans les relations de travail à travers le monde.
Le débat sur la flexibilité de l’emploi et l’évolution du droit de licenciement doit tenir compte à mon avis, de deux aspects qui me paraissent essentiels pour le maintien de la stabilité de l’économie mondiale : l’évolution historique des relations de travail et les tendances actuelles qui se dégagent dans les relations de travail à travers le monde.
Relations de travail et stabilité de l’humanité
En plus du rappel des fondements historiques et idéologiques des relations professionnelles résumé ci-dessus, la création de l’Organisation internationale du travail (Oit) en 1919 après la deuxième guerre mondiale (sic ! Ndlr) est l’illustration parfaite de la nécessité pour la communauté internationale, de s’accorder sur des principes intangibles en matière de relations de travail et de les préserver.
La paix et la stabilité mondiale dépendent en grande partie de la paix et de la stabilité dans les relations de travail à travers le monde. C’est la raison pour laquelle la Société des nations (Sdn) devenue l’Organisation des Nations unies (Onu), après analyse des causes et conséquences des deux guerres mondiales, a pris la ferme décision de créer l’Oit, cette institution tripartite qui a pour mission la gestion normative des relations de travail au plan international entre autres. La déclaration de Philadelphie est assez explicite sur les conséquences dangereuses de la marchandisation du travail et sur la nécessité de réguler la forte tentation du capital de «marchandiser» le travail.
La flexibilité de l’emploi et l’évolution du droit de licenciement ne réduisent-elles pas le travail à l’état de marchandise ?
Dans le débat de la flexibilité, notre centrale la Cnts/Fc, attend des réponses précises à cette question.
Tendances mondiales
Dans la presque totalité des pays du nord, les relations de travail ont atteint un niveau acceptable, ce qui ne les dispense pas de faire face à des revendications, car tant que tourneront les machines, naîtront des revendications.
Les plateformes des syndicats du nord mettent l’accent sur la réduction du temps de travail, de la durée de la carrière et sur l’amélioration des revenus et des systèmes de protection sociale.
Dans nos pays, nous revendiquons l’allongement de la durée de la carrière et du temps de travail (plus d’heures supplémentaires à cause du faible pouvoir d’achat). Dans le cadre de la protection sociale, nous revendiquons le minimum, c’est-à-dire l’obtention du socle de protection sociale pour les travailleurs du secteur formel qui ne représentent que vingt pour cent des masses laborieuses. Ce socle est un minimum de protection sociale qui n’est pas encore acquis pour tous les ayants droit, ni étendu aux quatre-vingt pour cent autres des travailleurs atypiques et de ceux du secteur informel.
Le constat qui se dégage est sans équivoque : au nord, le système de protection sociale est intégral, y compris l’allocation de chômage, le travail décent est en voie d’être une réalité tandis que chez nous, nous sommes au stade de socle en matière de protection sociale, le travail qui se raréfie n’est pas du tout décent, et l’idée d’aller à la retraite suscite la peur.
Le travail atypique constitue le refuge des masses laborieuses et place ceux qui l’exercent en marge d’une protection sociale définie dans le cadre du code du travail, puisque celle-ci a été conçue dans un contexte de salariat formalisé.
Sur un autre plan, la recherche de la flexibilité affecte aussi la syndicalisation, ainsi que l’important rôle de la négociation collective dans les relations professionnelles.
Dans une telle situation, l’action syndicale et le rôle des organisations de travailleurs se limitent à conserver l’emploi par tous les moyens, parfois au prix d’importantes concessions en matière de salaire et de conditions de travail.
Flexibilité partout ?
Au regard des tendances qui se dégagent dans les différentes parties du monde en matière de relations de travail, on peut se poser légitimement la question suivante : est-il raisonnable de transposer la flexibilité de l’emploi dans tous les contextes économiques et sociaux ?
Le débat sur la flexibilité de l’emploi et l’évolution du droit de licenciement continue de susciter la réflexion, mais surtout la méfiance dans l’espace syndical où la consolidation de l’emploi permanent et le combat contre la précarité demeurent des préoccupations majeures. Nous considérons que le débat agité sur la flexibilité de l’emploi dans le contexte actuel, est une aspiration du lobby des capitaines d’industrie dans le but d’adapter l’organisation du travail et la productivité aux perpétuelles mutations et exigences de la mondialisation. Nous pensons que, pour atteindre cet objectif, précariser l’emploi n’est pas la solution.
Toutefois, il est inadmissible que dans le couple (capital-travail), seule la composante travail soit soumise aux aléas de la mondialisation et de ses mutations. L’histoire renseigne que les systèmes économiques qui ont eu à privilégier cette tendance de renforcement du capital uniquement au détriment du travail, se sont écroulés, comme ce fut le cas lors de la dernière crise financière et économique partie des Etats-Unis en 2008, et bien avant, celle de 1929.
La forte propension à la flexibilité de l’emploi et des coûts de main d’œuvre qui pousse à l’assouplissement des règles et procédures de licenciement, dans des conditions de protection sociale dérisoire, accentuera à coup sûr la précarité, les inégalités et la vulnérabilité de la classe ouvrière. Il est à noter que le monde du travail a connu au cours des vingt dernières années un recul de l’emploi permanent et une forte croissance du nombre de travailleurs atypiques qui constituent le socle de la précarité, et de la pauvreté.
La flexibilité ne saurait être une aspiration du monde du travail. Conçue comme telle, elle se heurte à l’action syndicale. Par contre, je pense qu’elle doit être la conséquence de relations de travail efficientes basées sur le travail décent et sur des systèmes de protection sociale intégrale. C’est la raison pour laquelle, nous gagnerions tous à travailler pour faire de la flexibilité de l’emploi le résultat de relations professionnelles et d’un dialogue social porteur de progrès.
Cheikh Diop est le secrétaire général de la CNTS/FC