FUSIBLE ET FIGURANT
Va-t-il vers la préparation d’un dauphin à presque deux ans de la fin de sa mission présidentielle ? Les possibles réponses à cette question ne découleront que lorsque le profil du prochain Premier ministre sera connu
S’il y a dans l’histoire politique du Sénégal, un poste gouvernemental qui apparait et disparait selon le simple bon vouloir des Présidents de la République ou selon des impératifs politiciens, c’est celui du Premier ministre. La fonction de Premier ministre, telle que supprimée et réinstaurée, ne semble pas être une nécessité dans l’architecture gouvernementale.
Senghor : l’obsession du bicéphalisme
Pourtant à notre accession à l’indépendance, le poste de président du Conseil qu’occupe Mamadou Dia est l’équivalent d’un Premier ministre donc chef du gouvernement. Sauf qu’il partage les pouvoirs avec le président de la République plutôt occupé à s’occuper de la politique étrangère, de la coopération internationale et de la diplomatie. Comme le stipulait la première Constitution en son article 25, « le Président du Conseil est pressenti et désigné par le Président de la République… » Et ce dernier après avoir défini sa politique, « est investi par un vote au scrutin public à la tribune, à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale ».
Senghor est lui aussi élu par un collège électoral d’élu. Et le type de régime qui permet un tel partage est le régime parlementaire type 4e République française. Cela montre la prégnance du parti et de l’Assemblée nationale dans la configuration gouvernementale. Mais Mamadou Dia qui tient à la rigueur du travail et place l’éthique dans toutes actions est combattu par les députés socialistes qui le considèrent comme un empêcheur de tourner en rond quand ils ont voulu augmenter leurs salaires et refuser de rembourser leurs crédits bancaires. En voulant contraindre les députés à renoncer aux augmentations salariales qu’ils ont votées lors d’un de ses voyages hors du Sénégal, le président du Conseil Dia se heurte au niet catégorique des parlementaires cupides et soutenus souterrainement par le Président Léopold Sédar Senghor. C’est ainsi que la motion de censure contre Dia et son gouvernement est enclenchée.
Senghor veut en même temps faire comme De Gaulle, son mentor qui, en janvier 1959, inaugure l’ère des Premiers ministres avec un Président fort et un chef de gouvernement démuni voire dépouillé de plusieurs de ses pouvoirs que lui confère la Constitution. Mamadou Dia légaliste jusqu’au bout sera finalement terrassé par Senghor, ses députés et sa soldatesque. Après son emprisonnement, Senghor change la Constitution, renforce ses pouvoirs et supprime le poste de président du Conseil (équivalent du Premier ministre). De 1963 à 1970, Senghor règne sans partage. Mais en mai 1968 une vague de contestation secoue le régime monocratique de Senghor. Parti d’une révolte des étudiants de l’université de Dakar, le mouvement contestataire estudiantin s’étend aux élèves des lycées et aux syndicats de travailleurs.
Le mouvement présente les contours d’une contestation du pouvoir personnel du président Senghor. Le vent de la soif démocratique souffle, le régime de Senghor qui comprit l’importance de l’instauration d’un poste de Premier ministre. D’une pierre, deux coups. Senghor révise la Constitution, instaure le poste de PM se décharge de certaines de ses prérogatives et désormais, c’est Abdou Diouf au dit poste qui assure la coordination de l’action gouvernementale et c’est lui sert de paravent aux tirs des opposants. Et c’est ce poste qui lui permit de se retirer du pouvoir en décembre 1981 et le passer à son occupant par le biais de l’article 35. Par conséquent le Président de la République avait supprimé le poste du président du Conseil pour éviter la dyarchie Dia-Senghor et régner en maitre seul. Mais la réalité politique lui imposa sept ans plus tard la restauration du poste.
Abdou Diouf : entre Jean Collin et Habib Thiam
Abdou Diouf, président de la République à partir de décembre 1981 grâce à son poste de PM, nomme Habib au poste qu’il venait de quitter. Mais ce dernier fera long feu au dit poste. Après les élections présidentielle et législatives de 1983, le poste de PM disparait à nouveau. Diouf, pour éviter la confrontation entre Jean Collin, tout-puissant Secrétaire général de la Présidence et Habib Thiam PM, préfère mettre ce dernier à l’Assemblée nationale, loin du train-train gouvernemental. Il faut souligner que c’est Jean Collin, Secrétaire général de la Présidence, qui officieusement jouait le rôle du PM. Moustapha Niasse le remplace éphémèrement le temps qu’on supprime le poste de PM presque pour neuf ans. Diouf s’est plié aux contestations préélectorales et électorales de 1988 pour envisager une ouverture du gouvernement aux forces de l’opposition et restaurer le poste de PM.
C’est le 8 avril 1991, à la faveur du gouvernement de majorité présidentielle élargie, que Habib Thiam retrouve son poste de PM pour sept ans après que Diouf a limogé Jean Collin lors du remaniement ministériel du 27 mars 1990. Mais l’on vit à nouveau le bicéphalisme entre Habib Thiam PM et Ousmane Tanor Dieng, ministre d’État, ministre des Services et des Affaires présidentielles. D’ailleurs lors de la présentation du discours de politique générale de Mamadou Lamine Loum, successeur de Thiam à la Primature, après sa nomination le 3 juillet 1998, le député Amath Dansokho le raille en lui signifiant qu’il n’est pas le vrai PM. Allusion faite à Tanor. Et jusqu’à la chute de Diouf en 2000, le poste de PM demeurera. Il en sera ainsi sous le règne d’Abdoulaye Wade, le seul Président à ne pas supprimer le poste. Mais sous Wade, la Primature a connu six locataires soit en moyenne un PM chaque deux ans. Ce qui montre que le PM, pour Wade, n’était qu’un figurant. Et c’est ce qui explique ses conflits avec trois de ses anciens PM en l’occurrence Moustapha Niasse, Idrissa Seck et Macky Sall.
Macky Sall et l’échec du Fast-track
Macky Sall, après sa réélection en février 2019, pour des raisons de performances économiques, a choisi de libérer son PM Boun Abdallah Dionne et de supprimer simultanément le 14 mai 2019 le poste qu’il occupait le 6 juillet 2014. Nonobstant les levées de boucliers et les mises en garde sur le risque de supprimer le poste en question, Macky fait ce qu’il juge nécessaire pour accélérer son PAP2. Mais l’on s’est rendu compte que la suppression était sous-tendue par une raison plus politicienne que politique. Etant donné qu’il venait d’étrenner, après sa victoire de février 2019, son second mandat, nommer un PM pourrait laisser croire à la préparation d’un dauphin. D’ailleurs les supputations allaient bon train sur le potentiel successeur de Macky. Mais la suppression du poste de PM et la non désignation d’un N°2 au sein de l’APR aura tempéré les ardeurs successorales de ceux qui croient à leur étoile. Au dernier Conseil des ministres du 24 novembre dernier, Macky a décidé de réinstaurer le poste. A quelle fin ? C’est la question qui taraude les esprits. Une chose est sure : la décision est sous-tendue par une motivation politicienne. Va-t-il vers la préparation d’un dauphin à presque deux ans de la fin de sa mission présidentielle ? Les possibles réponses à cette question ne découleront que lorsque le profil du prochain PM sera connu.