LES CONSTRUCTIONS SUR LE DPM CONSTITUENT DES AGRESSIONS CULTURELLES
Dans ce deuxième jet, le journaliste-écrivain, Pape Samba Kane décrit dans sa randonnée les immenses bâtisses qui colonisent le littoral en toute violation des textes législatifs et règlementaires
Dans ce deuxième jet, le journaliste-écrivain, Pape Samba Kane décrit dans sa randonnée les immenses bâtisses qui colonisent le littoral en toute violation des textes législatifs et règlementaires. Hôtels, résidences privées et/ou des ambassades, restaurants, bars, night-club, piscine, casino et salle de machines à sous. PSK pointe du doigt les constructions sur le Domaine privé maritime (Dpm) qui, selon lui, constituent «des agressions culturelles».
Ce n’est pas le sort de l’ancien ministre qui nous préoccupe, ici, cette plage, encore une, va être soustraite à la collectivité selon des modalités non démocratiques, avec des implications financières non transparentes et peut-être pas au bénéfice exclusif des contribuables sénégalais. Alors qu’elle est un lieu abritant une activité économique de survie pour une collectivité de pêcheurs, en plus d’abriter une plage tranquille que des Dakarois de toute condition aiment à fréquenter pour la baignade, les promenades ou la méditation (il est à préciser que les convoitises sur Terrou Baye Sogui n’ont pas été assouvies, et aussi celles sur la villa de l’ancien ministre).
Sur le site devait être construit un hôtel, « L’hôtel des Sirènes » dont le propriétaire serait le roi du Maroc, Mohamed VI. Quoi qu’il en soit, le projet tel qu’il nous apparaissait allait occuper toute cette plage, « pieds dans l’eau », et au-delà, vers les falaises argileuses et friables au-dessus de l’unique plage restante et encore accessible au public dans cette partie du littoral, derrière l’- hôpital principal et l’ambassade de Grande-Bretagne, à quelques encablures de l’hôtel Savannah. Le Savannah, un vieil occupant, lui aussi pieds dans l’eau, et qui interdit l’accès à toutes les plages et criques plaisantes qu’il surplombe, ne se privant pas de poser des grilles où il faut, afin d’empêcher l’accès de ces lieux par la berge. Ce qui n’est pas expressément interdit par la loi, mais l’aménagement de commodités pour un libre accès à la berge au nom de l’intérêt général est une condition à l’obtention de concessions et baux pour l’exploitation de sites touristiques balnéaires.
Le principe du libre accès au domaine public maritime intègre l’idée que les servitudes d’utilité publique comprennent les servitudes de passage. « Mais l’illégalité de telles restrictions peut … être déduite d’une lecture de l’article 20 alinéa 1 du Code du Domaine de l’État qui stipule : « Nul ne peut, sans autorisation délivrée par l’autorité compétente, occuper ou exploiter une dépendance du domaine public ou l’utiliser dans des limites excédant le droit d’usage qui appartient à tous sur les parties de ce domaine affecté au public ». On verra qu’aucun des concessionnaires que nous allons visiter le long de notre, itinéraire, du Terrou-bi au restaurant Le Virage ne se prive d’interdire au public l’accès des plages qu’il occupe. Or, ils n’en ont pas le droit, c’est clair dans l’esprit et la lettre de la loi.
Après le Savannah, au premier virage vers le Cap-Manuel, un projet sort de terre : l’hôtel Gorée, 152 chambres qui seront construites quasiment sur l’eau - comme le montre la maquette sur l’affiche géante annonçant le chantier - fait face au large, « avec vue imprenable sur l’ile de Gorée », écrivent les promoteurs, le groupe Mixta. Encore un hôtel prévu dans le cadre du sommet de l’OCI, aujourd’hui derrière nous, mais toujours en construction, comme tous les autres prévus par les organisateurs, ainsi que les cliniques, eux aussi inscrits dans le même cadre et qui tardent a sortir de terr
Quand on contourne la pointe la plus avancée de Dakar, le Cap manuel où se situe le chantier du futur « hôtel Gorée » de Mixta, en contrebas des rochers, et qui abrite depuis toujours, sur ses hauteurs, la résidence du représentant de l’Union européenne jusqu’ici seule face a l’ile de Gorée, on tombe sur les chantiers d’une future clinique. Elle est située en haut de la falaise qui fait face aux iles de la Madeleine, de l’autre côté de la route qui contourne l’imposant ancien tribunal de Dakar, laissé à la ruine en attendant son accaparement (selon une rumeur persistante) à des fins de spéculation immobilière. «La clinique de la Vision» (aujourd’hui “Clinique Belle Vue” – voir encadré : NDA), clinique ophtalmologique, propriété de la SARL Lynn, appartiendrait à des Libanais, ce que tend à confirmer le nom de l’architecte du projet, un certain Sleiman. Elle est destinée à une clientèle à hauts revenus économiques comme toutes celles qui fonctionnent déjà ou vont, dans un avenir proche, fonctionner sur le littoral.
Grâce aux urgences de l’Anoci, ces dernières poussent avec ou sans les autorisations nécessaires, en tout cas en violant tel ou tel code, entre celles de l’Environnement, de l’Eau, de l’Hygiène, de l’Urbanisme, un arsenal juridique qu’on aura contourné ou interprété au bénéfice de promoteurs dont le business est aux antipodes des préoccupations de la majorité de la population. À moins de deux cents mètres du chantier de la future clinique, la déjà vieille «Clinique du Cap» qui fait face, à côté de sa voisine mitoyenne - la villa du défunt ex-président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo - à la résidence de l’ambassadeur de France, sagement installée de l’autre côté du goudron. La clinique comme la villa de l’ex-président du Cameroun, exilé au Sénégal avant d’y mourir, ne sont pas en plein dans le DPM. Elles obstruent cependant la vue sur la mer.
Autorisées par l’ancien régime socialiste apparemment dans les mêmes conditions que les passe-droits de l’ANOCI du régime libéral sur le Domaine public de l’État. Cependant qu’ici, les constructions n’empiètent pas sur les rivages, et les rares promeneurs ou exploitants artisanaux de la mer encore tentés par les berges rendues difficiles d’accès de cette zone, ne rencontrent pas d’opposition à leurs activités. L’administration précédente des socialistes avait-elle plus de souci pour la préservation de l’intérêt collectif ?
Le temps de s’interroger et nous passons devant des monuments historiques, l’Institut Pasteur, bâtisse coloniale à bonne distance de la mer, l’hôpital Aristides Le Dantec, immense domaine hospitalier, qui respire grâce à sa proximité avec l’océan qu’il surplombe à distance respectueuse du DPM. Plus loin, en bifurquant à gauche, le Camp Dial Diop, siège de l’Etat major de l’armée sénégalaise, puis le lycée Lamine Gueye.
Selon des informations données régulièrement par la presse depuis l’avènement du pouvoir libéral et jamais démenties, l’hôpital, le siège de l’État-major de l’armée et le lycée devraient être délocalisés, parce qu’ils seraient dans le collimateur des nouvelles autorités libérales qui ne verraient en eux que d’immenses réserves foncières de grande qualité marchande sur lesquelles il fallait mettre la main à tout prix. Cette rumeur apparemment délirante ne l’était pas tant que ça (NDA : il faut se souvenir que trois ans après 2008, le pouvoir libéral était entré dans un tourbillon politico-affairiste qui allait conduire à sa chute, avec l’élection présidentielle perdue de 2012, après l’étape cruciale du 23 juin 2011).
Et il n’y avait pas que la «boulimie foncière» dont la clameur populaire accusait les tenants du pouvoir, qui ne faisaient rien pour nier cette réputation, que tendaient à confirmer ces projets insensés. Pour ce qui concerne l’hôpital au moins, une avocate réputée nous avait confirmé l’existence du projet, nous promettant même le dossier, avant de se dérober progressivement face à nos relances. La délicatesse du sujet, peut-on présumer (NDA Des levées de boulier régulières, et très médiatisées, de la société civile et d’autres forces organisées - qui ressemblent beaucoup à celles auxquelles le régime actuelles fait face pour les mêmes raisons- ont empêché ce funeste projet d’aboutir, peut-être seulement gelé ; puis intervint la chute du régime).
La prochaine étape de notre randonnée sur la corniche est un projet qui préoccupe beaucoup l’architecte déjà citée, Mme Annie Jouga. C’est le grand complexe hôtelier et de loisir en cours de construction sur le lieu anciennement connu sous le nom de « Club antillais », son chantier, alors circonscrit au domaine de l’ex-club où était déjà érigé un immense hôtel au nom bigarré de «Sokhamon», s’étendait progressivement sur sa gauche. Ce gros chantier, dont les dégâts causés par les travaux d’excavation étaient visibles sur la chaussée qui le surplombe, le goudron étant lézardé sinon crevassé, est construit sur une zone non aedificandi et n’avait pas fini, si l’on en croit Mme Jouga, de révéler ses nuisances.
D’abord, comme toutes ces immenses bâtisses qui colonisent le littoral, le complexe ajoute aux perturbations environnementales et augmente les risques, en violation de toutes les dispositions légales : il est construit avec de solides emprises sur le sol et la roche, il interdit l’accès de la berge à la collectivité. Ensuite sa structure, surtout à hauteur du restaurant, plus élevée que celle de l’ex-Club, obstrue la vue sur l’océan - magnifique depuis la Place Soweto -, avec en toile de fond les ilots Sarpan et un ciel fantastiquement beau au coucher du soleil. Les promoteurs du complexe de loisirs à la place du « Club des Antilles », qui seraient des Libanais, ont cependant de qui tenir.
Leurs voisins immédiats, l’ambassade d’Iran et la résidence de feu Djily Mbaye (rachetée par une célèbre famille libanaise) sont également construites sur un terrain non aedificandi et leurs très hauts murs font plus qu’obstruer la vue sur l’océan, ils empêchent la brise marine de souffler sur toute la zone des ministères de l’Éducation nationale, du Tourisme, de l’Économie et des Finances… On allait l’oublier, entre ces deux derniers privilégiés installés par le régime socialiste, s’est niché un tout nouveau complexe résidentiel privé de luxe au nom évocateur d’Eden Rock, bien évidemment, lui aussi, construit sur les rochers, avec l’aval des nouvelles autorités libérales. Dès qu’on s’engage sur l’avenue de la République, à hauteur du Musée des Armées, tout un ensemble de maisons, en face du tribunal du Bloc des Madeleines, appartient au Patrimoine bâti de l’Etat, dont l’ancienne résidence du Premier ministre Idrissa Seck.
Après, vient l’immeuble abritant une grande société d’informatique qui couve, en la dissimulant aux regards, la villa de Yacine Diouf, fille de l’ancien président Abdou Diouf, villa bien située sur le DPM dont la construction avait fait l’objet, a l’époque, de controverses animées sur fond d’énergiques dénonciations par la presse du privilège princier. La zone qui suit est presque déserte sur le DPM, à part l’immense affiche de propagande vantant le dynamisme de l’équipe de l’Anoci, un peu ostentatoire, certes, jusqu’à l’intersection de la Corniche à deux voies avec l’avenue Malick Sy. La Porte du millénaire, controversée, néanmoins monument d’utilité collective, a été le prétexte à un affairisme inconséquent et précipité avec la construction d’un restaurant en contrebas du monument qui défie le bon sens, installé sur les rochers.
Les grosses vagues au cours des marées hautes avaient commencé à en endommager la façade, nécessitant déjà des travaux de renforcement (NDA. Aujourd’hui, la mer a complètement mangé le restaurant qui n’existe plus). À partir d’ici, commence une longue étape de notre randonnée, forcément différente des autres. La Corniche à deux voies de l’Agence nationale de l’organisation de la Conférence islamique (Anoci) et ses ouvrages lourds sont un symbole pour notre enquête. Ils constituent l’exemple type de la relation naturellement conflictuelle entre les constructions sur le littoral et leur voisinage social. Et qu’elle recommande des attitudes aux antipodes de l’apparente arrogance et la précipitation avec lesquelles ce projet a été mené. Elles sont venues renforcer le désordre sur fond d’accaparement des terres du domaine public, y compris maritime, sur tout le littoral de la Corniche-ouest, à partir de l’avenue Malick Sy jusqu’ a la mosquée de la divinité a Ouakam.
LES CONSTRUCTIONS SUR LE DPM CONSTITUENT DES AGRESSIONS CULTURELLES
Les quartiers populaires de la Medina et de la Gueule tapée, avec leurs rues étroites et leurs populations denses n’étaient déjà pas de sites aérés, les nouvelles infrastructures sur la corniche, notamment le toboggan, qui contourne en la surplombant le cimetière musulman des « Abattoirs » et le tunnel, qui longe et isole le village artisanal et le marché aux poissons de Soumbedioune, s’interposent désormais entre leurs maisons surpeuplées et la brise marine. Et ils constituent un obstacle physique à l’accès de leurs populations à la mer avec laquelle ils entretiennent des liens quasi sacrés.
Avec l’océan atlantique leurs habitants ont tissé à travers les âges des relations étroites qui vont bien au-delà du confort, et ayant engendré toute une culture faite de métiers familiaux et claniques séculaires, au-delà de l’exploitation économique de la mer, entre médecines ou religions traditionnelles et cosmogonie : des libations annuelles mémorables, séances d’exorcisme avec rites sacrificiels où bœufs et moutons étaient immolés se tenaient à l’endroit situé entre la Cour de cassation et le parc d’Attraction Magic Land. Mme Anta Teuw n’habite plus la Medina où elle est née et a grandi, à la rue 17. Elle raconte : « Aujourd’hui encore, il m’arrive, quand j’ai un souci qui me dépasse, ou quand je suis malade, de quitter Guédiawaye pour aller là-bas, jeter quelques pièces de monnaie et de la kola dans la mer. Ma mère qui habite encore ici nous y encourage, mes sœurs et moi ». Mme Anta Teuw n’est bien évidemment pas la seule à sacrifier à ce type de rituel, seulement, les propriétaires du parc d’attractions ont commencé depuis longtemps à interdire l’accès de la crique au tout-venant, avant d’entreprendre d’y construire je ne sais quoi. Une structure encore inachevée (NDA Le complexe cinématographique Sembene Ousmane, achevé depuis).
Thierno Amath, 56 ans, rue11 X 16, se souvient de ses séjours méditatifs, avec une bande d’amis, sur la tombe du musicien de légende, le joueur de Kora, Lalo Kéba Dramé, située au pied d’un gros figuier stérile ; après une baignade dans l’une des nombreuses criques rocheuses situées derrière le cimetière. David Dioum, 54 ans, ex-habitant de la rue 4 X 17, avec un grand sourire nostalgique n’arrive pas a se débarrasser, encore aujourd’hui, de son étonnement quand, pour guérir l’épidémie de coqueluche qui sévissait chez leurs petits frères et sœurs, leurs mamans leur demandèrent, lui et sa bande d’amis en vacance scolaire, de ramener de leurs randonnées aux abords du cimetière, dans sa partie surplombant la mer, des « barboteurs » -c’est ainsi qu’ils appelaient une espèce de lézard bleu et jaune. L’animal, qu’ils s’amusaient à traquer pour le plaisir, sommairement cuisiné et donné à manger aux malades, les guérissait quasi instantanément de la coqueluche.
En plus de rendre difficile, voire impossible en certains endroits, l’accès à la mer aux populations pour sa jouissance divertissante ou utilitaire (pêche à la ligne de petits poissons des rochers, collecte d’oursins et de coquillages divers) les constructions sur le Domaine public maritime et les infrastructures hôtelières et routières sur la corniche constituent des agressions culturelles qui auraient dû faire l’objet d’études sociologiques plus attentives à la question humaine. Et en fermant l’accès de la Medina et de la Gueule Tapée aux véhicules engagés sur la Corniche, dans un sens ou dans un autre, ses concepteurs en interdisent l’usage à leurs habitants, sauf à prendre d’énormes risques.
Revenant de la ville, pour aller a n’importe quel point de la Medina, tout automobiliste est obligé de bifurquer vers l’avenue Malick Sy pour prendre la rue 6, et ne pourra plus accéder à la Corniche qu’après avoir traversé tout ce quartier et une bonne partie de la Gueule, prenant et semant d’énormes risques, en ayant déambulé dans ses rues surpeuplées, impraticables aux alentours du marché éponyme, sauf à prolonger la rue 6 (devenue rue 54 dans G. Tapée) jusqu’au lycée Delafosse, le Canal et ruser en empruntant l’université par la rue difficile passant devant la cité Claudel. Dans le sens opposé, venant de Ngor ou Ouakam, n’importe quel habitant de l’un ou l’autre des deux quartiers, à partir de l’avenue des ambassadeurs, ne peut plus rallier sa maison en voiture, à moins de renoncer aux joies de la conduite sur la Corniche et aller souffrir les embouteillages et imprévisibilités de l’avenue Cheikh Anta Diop, puis de l’avenue Blaise Diagne.
La nouvelle Corniche s’imposant également dans une intimité envahissante aux habitants de ces deux quartiers qu’elle longe sur deux à trois kilomètres, sans que sa jouissance ne leur soit destinée : toutes les rues perpendiculaires qui donnaient sur l’ancienne Corniche à partir desdites localités ont été bouchées par la nouvelle infrastructure où il n’est prévu aucune voie de dégagement devant y mener.
Le cimetière de la Médina, véritable nécropole abritant la tombe de Cheikh Tourad, dignitaire de la confrérie Khadria, qui reçoit des « pèlerins » de tout le pays et jusques de la Mauritanie, celles d’autres figures religieuses tout autant visitées, celles de Lamine Gueye et de Blaise Diagne, est un patrimoine historique, un lieu de prière, une manière de musée. Son accès est devenu si difficile, ses visiteurs se faisant de plus en plus rares, et les foules d’humbles gens qui y venaient les vendredis attendre leurs oboles ont migré on ne sait où.
Suite et fin demain
III. QUAND L’OCI RENFORCE L’ACCAPAREMENT DU DOMAINE PUBLIC MARITIME