KHALIFA, ATTENTION !
L’arrangement du différend entre le maire de Dakar et le ministre du Renouveau urbain procède d’un simple différé du problème. Il est comme écrit que les bisbilles vont ressurgir d’autant que les bonnes questions n’ont pas été posées
Le bras de fer entre le ministre Diène Farba Sarr, en charge de l’Habitat et du Renouveau urbain, et le maire de la ville de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, vient d’être pacifié par le Premier ministre. Mouhamed Dionne a sans doute été guidé par un certain bon sens paysan, en départageant les deux protagonistes qui se disputaient le même espace. Il a affecté à chacun un «lopin» à aménager.
Le maire va donc garder la Place de l’Indépendance et le ministre va s’occuper de la Place de l’Obélisque. L’arbitrage a le mérite de calmer les ardeurs et de faire tomber l’argumentaire selon lequel le gouvernement s’opposerait à des initiatives du maire Khalifa Sall.
D’aucuns ont vite dit que cela consacre un camouflet du ministre Diène Farba Sarr qui, du reste, n’avait pas pris part à cette séance d’arbitrage pour cause de voyage en Allemagne. On peut cependant se demander si le Premier ministre, en agissant de la sorte, ne fait pas montre d’un certain machiavélisme. Il pourrait avoir pris le maire de Dakar au mot, persuadé que Khalifa Sall ne pourrait tenir sa promesse de réaliser son projet dans un délai de 11 mois.
Khalifa Sall risque désormais gros dans cette affaire. Au demeurant, l’arrangement procède en vérité d’un simple différé du problème. Il est comme écrit que les bisbilles vont ressurgir d’autant que les véritables causes du différend n’ont pas été adressées et surtout que les bonnes questions n’ont pas été posées pour leur trouver des réponses adéquates.
Il est établi que le terrain objet du litige a été immatriculé au nom de l’Etat du Sénégal, qui peut l’aménager à sa guise ou concéder l’aménagement à la ville de Dakar. Ne serait-ce que sous cet angle, l’Etat aura un droit de regard sur le projet que le maire compte réaliser sur le site. Mais au-delà de cet aspect, un projet d’infrastructure publique de cette dimension ne peut se faire sans les quitus des administrations publiques concernées. Il s’avère que les préalables à la réalisation de l’ouvrage ne sont pas encore satisfaits.
En effet, d’innombrables autorisations techniques sont nécessaires. La route qui passe par cette Place de l’Indépendance fait partie de la Route nationale 1 avec une emprise de 100 m, et il faudra l’accord de l’Agéroute avant tout chamboulement de l’espace. Les concessionnaires comme la Senelec, la Sde, l’Onas ou les sociétés de télécommunications devront autoriser les creusages pour protéger les canalisations ou les câbles déjà installés. L’espace à aménager fait partie d’un cadre où d’importants bâtiments ont été classés au patrimoine historique et il serait nécessaire de recueillir les avis du ministère de la Culture avant de dénaturer l’endroit.
De plus, la zone est comprise dans le périmètre sécuritaire de la présidence de la République et à ce titre, le Gouverneur militaire du Palais devrait avoir son mot à dire. Quid de la sécurité des nombreuses banques et autres grandes activités stratégiques dans la zone ?
Il serait nécessaire que la Direction de la protection civile du ministère de l’Intérieur apprécie les enjeux sécuritaires d’un tel chantier dans un contexte où toutes les forces de sécurité sont sur le qui-vive. Dire qu’il faudrait tous ces visas avant de songer à sélectionner, par voie d’appel d’offres, une entreprise pour réaliser les travaux.
Ce sera donc une arlésienne ou à tout le moins un véritable parcours du combattant pour les autorités municipales avant de pouvoir entamer les travaux, à moins que le maire de Dakar ne se lève un beau matin pour amener ses bulldozers et commencer les excavations. Ce serait une autre histoire !
Les autres obstacles qui risqueront de se dresser sur le chemin des promoteurs du projet de la Ville de Dakar peuvent venir des populations. Toute association urbaine ou citoyenne pourra contester devant les juridictions le bien fondé d’un projet aussi important et qui aura un impact réel sur le visage et les conditions d’aménagement de la ville de Dakar. On peut bien avoir à l’esprit les nombreuses années perdues en France pour la réalisation du nouvel aéroport Notre Dame des Landes à Nantes, avec les multiples recours intentés par des citoyens.
On ne devrait pas oublier non plus, que l’ancien maire de Dakar, Pape Diop, avait un projet, plus ou moins similaire, qui n’a pu se faire car les services compétents de l’Etat du Sénégal exigeaient que le parking prévu devait être souterrain alors que les coûts pour respecter une telle prescription étaient prohibitifs. Il était question d’offrir à la Place de l’Indépendance une vue autre que celle de blocs de béton et des rangées de véhicules. Le projet du maire Khalifa Sall prévoit un parking peut-être pas souterrain, mais «semi enterré» pour reprendre le mot de l’adjoint au maire, Moussa Sy.
Une autre question non moins importante est la transparence dans le projet de la Ville de Dakar. Malgré tout le tintamarre fait dans cette affaire, ce n’est qu’à la séance du Conseil municipal de Dakar en date du 14 janvier 2016, au plus fort de la guéguerre entre Khalifa Sall et Diène Farba Sarr, que la majorité des conseillers de Dakar ont adopté une délibération portant autorisation au maire de signer la convention de prêt de 4 milliards de francs avec la Banque islamique du Sénégal.
Ladite délibération prévoit des conditions financières étonnantes car, «le taux du prêt sur une durée de 3 ans est de 7, 5% en sus de la taxe sur les activités financières et avec des frais administratifs de 0,5%, hors taxes, du montant du financement destiné à l’aménagement de la Place de l’Indépendance et à la construction d’un parking souterrain».
La Ville de Dakar emprunte ainsi à des taux trop chers sur le marché. Il s’y ajoute que les conseillers avaient dans leurs classeurs, le jour de la délibération, un autre projet du même prêt mais en faveur de la Bicis. A la remarque étonnée de certains conseillers de la ville, l’équipe municipale avait expliqué ce doublon par une méprise.
Des enjeux financiers pourraient ne pas être absents de l’entêtement du maire de Dakar à réaliser son projet sur la Place de l’Indépendance, car s’il ne s’agissait que de marquer le périmètre de compétences de la Ville de Dakar, pourquoi le même Khalifa Sall s’est-il accommodé des aménagements réalisés par le ministère de Diène Farba Sarr sur des places publiques à la Patte d’Oie et à Sacré-Cœur, chez Barthélemy Dias ? D’autres maires comme ceux de Guédiawaye et de Pikine ont déjà bénéficié de tels projets d’aménagement de places publiques réalisés par l’Etat.
Des maires de certaines capitales régionales comme Abdoulaye Baldé de Ziguinchor par exemple, ont sollicité le ministre du Renouveau urbain, de l’habitat et du cadre de vie pour réaliser des aménagements dans leurs villes. Vas-y Khalifa, nous populations de Dakar, aimerions bien que la Place de l’Indépendance ne soit plus un dépotoir d’ordures, un espace envahi par des chiens errants et quelles autres activités illicites ! On verra bien...