ENTRE DOUTE ET EMBARRAS
Comment Khalifa Sall ne s'est pas rendu compte du manège tanorien ? À l'évidence, Khalifa Sall espérait qu'avec le temps, sa légitimité historique de militant de la première heure et sa sécularité, lui profiteraient
Le choix, le 4 septembre des membres élus du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT) démontre une nouvelle fois encore la profonde division des socialistes. La ligne de fracture entre Ousmane Tanor Dieng, le secrétaire général et Khalifa Sall, le Maire de Dakar Ville et chef de file des rénovateurs (comment les appeler autrement ?) s'élargit et s'approfondit.
Au point qu'on peut logiquement s'interroger sur ce qui peut encore les unir, en dehors de l'historique label socialiste, aujourd'hui, si déparé. A la grande surprise, le Président Macky Sall a décidé que son parti ne présenterait pas de candidat à l'élection des trois conseillers de Dakar au HCCT.
On s'imaginait alors, que le PS allait saisir cette perche pour rassembler ses troupes derrière Taxawu Ndakaru. Et du coup amorcer une phase de rabibochage entre les deux camps. Mais voilà que, autre grande surprise, la défection de dix maires et de nombre de conseillers des rangs de Taxawu Ndakaru vient changer les donnes.
Les déserteurs, conduits par un ex-bras armés de Khalifa Sall, Alioune Ndoye, vont-ils emporter les voix de leurs conseillers ? Seront-ils esseulés dans leur démarche de défection ? Il faut certainement attendre le soir du 4 septembre pour en être édifié. Si les trois postes d'élus destinés tout naturellement à l'escarcelle de Taxawu Ndakaru vont à la coalition, il faudra alors comprendre et accepter que l'érosion électorale de Khalifa Sall entamée depuis le référendum du 20 mars, s'intensifie.
Sans doute, le changement de ligne de ces élus, ne serait qu'une tempête dans un verre d'eau, si le clan de Khalifa Sall s'adjugeait le gros lot des trois postes. Et surtout, il serait confirmé que la grande majorité des conseillers reste encore fidèle à Taxawu. En attendant que les législatives de mai 2016, (suffrage direct) viennent certifier ou non l'ancrage populaire du maire de la Ville de Dakar.
Mais d'ores et déjà, l'alignement des dix maires derrière les thèses de Tanor et le sévère argumentaire servi par Alioune Ndoye pour le justifier, affaiblissent sensiblement la posture de khalifa Sall. Directement accusé par le Maire de Dakar Plateau de privilégier son avenir politique, Khalifa Sall doit aussi se passer de l'appui non moins précieux, de Doudou Issa Niasse (Biscuiterie), Ousmane Ndoye (Colobane, Fass Gueule Tapée), Santi Agne, (Sicap) Amadou Samb (Cambérène), entre autres.
Les dures admonestations du Maire Alioune Ndoye, frondeur parmi les frondeurs, contre Khalifa Sall laissent présager une campagne salée menée par le dirigeant la liste de Benno Bokk Yaakaar contre son ancienne coalition.
D'autres édiles de la populeuse banlieue dakaroise, auraient également pris le chemin inverse des élections départementales et municipales en tournant le dos à leur ex mentor. Certes Khalifa Sall peut s'enorgueillir du soutien du tonitruant, Barthélémy Dias (PS, Mermoz) et Cheikh Guèye en rupture de ban avec son parti la LD entichée dans la coalition gouvernementale, entre autres.
Mais, il faut bien le reconnaître, le Maire de Dakar Ville, a déjà du pain sur la planche. Il lui faudra un fort soutien populaire, pour isoler ses désormais adversaires et donner encore plus de crédibilité à sa posture de candidat à l'élection présidentielle de 2017. En attendant, Abdoulaye Diouf Sarr de l'APR, se frotte les mains. Il devrait, contrairement aux promesses de la majorité, diriger une liste de conseiller. Et surtout essayer de tirer le meilleur profit de l'éclatement prévisible du PS, pour prendre des galons et se poser en alternative apériste face à Khalifa Sall, ébranlé par le lâchage massif de ses ex-alliés de Taxawu Ndakaru.
Le Maire de Dakar Ville s'attendait-il vraiment à ce coup de Jarnac ? Sans doute, mais pas de cette ampleur ! En effet, la campagne pour le référendum en avait donné quelques signes avant-coureurs. Le Maire de Dakar Plateau, Alioune Ndoye avait ouvertement évité de suivre son patron, dans le vote en faveur du non. Il avait ainsi fendu l'armure et fissuré le bloc compact de Taxuwu Ndakaru, présenté après les élections de juin 2014, comme le nouveau centre de gravité de l'opposition à Benno Bokk Yaakaar.
L'alliance factuelle réalisée avec Idrissa Seck, (Rewmi), Abdoulaye Baldé (UCS) Cheikh Bamba Dièye (FDBJ), Mme Aïssata Tall Sall (du PS, isolée par sa direction à Podor) lors de ces élections locales, avait tonifié son image présidentielle. Même si on pouvait imaginer qu'un problème d'égo se poserait indubitablement pour le leadership de cette unité d'action, difficilement mutable en unité organique. Et pour cause !
Mais il semblait bien inscrit quelque part dans l'horizon politique du Sénégal, que Khalifa Sall, avait un destin national à assumer. D'atermoiements en hésitations, à force de craindre d'être présenté par le plus grand diviseur du PS, il dé-tricote lentement et sûrement, son image. Le timonier Ousmane Tanor Dieng, lui appliquant sans ménagement la règle machiavélienne de l'isolement stratégique, en le coupant progressivement de ses bases de soutien, tout en le maintenant dans l'appareil.
Comment Khalifa Sall ne s'est pas rendu compte du manège tanorien ? A l'évidence, Khalifa Sall espérait qu'avec le temps, sa légitimité historique de militant de la première heure et sa sécularité, lui profiteraient, face à ces dirigeants de la 35 ème heure, surgis en 1996, forts du seul soutien d'Abdou Diouf. S'il avait revisité le parcours de Moustapha Niasse, Djibo Leyti Ka, Moustapha Kâ et tant d'autres perdus dans les oubliettes socialistes, il aurait une autre idée de l'endurance d'Ousmane Tanor Dieng.
De l'autre côté, en mettant le couvercle sur ses projets (emprunts obligataires, travaux de la place de l'Indépendance), la majorité a fait douter ses partisans, surtout après fait triompher, à tout prix, le oui à Dakar lors du référendum. La désertion de nombre de ses alliés a, de fait, cassé la position dominante de Khalifa Sall et Taxawu Ndakaru, voire leur totale mainmise sur la capitale. Du moins pour l'heure, au niveau des états-majors.
En dépit de son légendaire flegme, le Maire de Dakar Ville, sent tout de même que la terre commence à se dérober sous ses pieds et que sa stratégie de conquête du PS par l'intérieur a pris du plomb dans l'aile. Il ne compte plus désormais que sur la vox populi pour le re-légitimer. Encore faudrait-il qu'il en manifeste la ferme volonté, par une attitude franche et non feinte !
A présent, il ne lui est offert qu'une perspective, forger sa trajectoire, au nom du postulat de "qui m'aime me suive." Ousmane Tanor Dieng en vieux briscard organise son dé-tricotage, et mobilise ses troupes de l'intérieur du pays. A Kaolack, Thiès et autres grandes villes bastion du PS, les structures du parti lasses des querelles byzantines, comment à lui témoigner de leur soutien. La perspective d'une nomination de Tanor à la tête du HCCT, revigore ses troupes, maintenant leur patron, occupera l'envieuse station de quatrième personnage de l'État. En plus de ses deux ministres, vingt députés et une kyrielle de DG et d'ambassadeurs et de PCA.
En circonscrivant ses actions à Dakar, en dépit des tumultueuses tournées d'explication de Barthélémy Dias, Khalifa rate le pari du maillage du territoire et du soutien des bases du PS au sein desquelles, Ousmane Tanor Dieng a installé ses hommes. Mme Aïssata Tall, la téméraire mairesse de Podo l'a appris à ses dépens, pour avoir défié l'indéboulonnable Tanor au poste de SG.
Aujourd'hui, le Maire de Dakar Ville est dans l'embarras. On peut l'imaginer en proie à un doute, conscient que pour la prochaine échéance, (mai 2017), Benno Bokk Yaakaar et le PS déploieront la grosse artillerie pour éroder ses ambitions. Et il y a peu de chance que l'indice de victimisation lui profite, car si le PS met en branle le processus de départage par la base, il risque de perdre toute sa légitimité populaire.
L'arbitrage des militants pourrait bien lui être défavorable. Ce scénario aurait pu être évité s'il avait comme Malick Gackou pris son destin en main et créer les conditions de son envol. Il a choisi la stratégie du pourrissement de l'intérieur, pour isoler Tanor et cueillir tout le patrimoine politique et matériel du parti. Cette voie semble, pour l'heure, avoir fait long feu.
L'élection des conseillers du HCCT, ne peut en aucun fournir un indicateur sur la représentativité de Khalifa Sall. Mais la succession des évènements, ne milite pas en sa faveur. A moins que dans huit mois lors des élections législatives, les électeurs dakarois, lui restituent ce que les apparatchiks, lui ont enlevé. Mais en restant sur ses approches entristes, qui lui ont si peu réussi, on voit mal comment Khalifa Sall assumerait son destin présidentiel.