LA CHINE ET NOUS
L’échec n’est pas une fatalité pour l’Afrique avec une gouvernance de rupture, fondée exclusivement sur les intérêts des peuples africains
AVANT-PROPOS
Lorsque mon ami Cheikh Ibrahima Niang, basé aux Etats-Unis, m’a suggéré, en décembre 2019, de cosigner un article consacré à la Chine à l’occasion des 70 ans de la proclamation de la République populaire de Chine, j’ai immédiatement trouvé l’idée intéressante d’autant que, dans la même période, j’étais tombé sur l’éditorial de Marwane Ben Yahmed de Jeune Afrique dans sa dernière livraison de décembre 2019 qu’il avait intitulé : « Qu’avons-nous fait de nos 60 ans ?» en référence aux indépendances africaines des années 60.
M’est alors apparue l’idée qu’au fond, partager une approche de ce qui s’est passé en Chine depuis qu’en octobre 1949, elle s’est débarrassée d’un siècle de domination et d’exploitation, pourrait avoir un certain mérite pédagogique contre l’afro-pessimisme ambiant. L’objectif, pour nous est de montrer que l’échec n’est pas une fatalité pour l’Afrique avec une gouvernance de rupture, fondée exclusivement sur les intérêts des peuples africains.
Et les souvenirs se mirent à se bousculer dans ma tête comme la fameuse formule restée tristement célèbre de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République française, dans son discours de Dakar en 2007, selon laquelle « l’Africain n’était pas suffisamment rentré dans l’Histoire » ou encore les thèses de Gobineau sur l’inégalité des ‘races’ et le péril jaune du milieu du siècle dernier. Gobineau et ses acolytes réactionnaires faisaient croire à une Chine condamnée par les gênes de sa ‘race’, à une misère éternelle. Selon eux, le croît démographique de ce pays entraînerait, tout naturellement, un flux migratoire de hordes de millions de chinois faméliques envahissant l’Europe à la quête de survie et de devenir. Il se trouve qu’aujourd’hui, ce fameux péril jaune se présente plutôt sous la forme d’une Chine resplendissante, première puissance commerciale du monde, avec une capacité de résilience phénoménale marchant d’un pas ferme et résolu à la suprématie économique.
Huit cents millions de personnes (oui ! 800 millions) ont été sorties de l’extrême pauvreté en seulement 4 décennies (1978-2018). Telle est la réponse fondamentale que la Chine a apportée à ses détracteurs d’hier et d’aujourd’hui. « Kuy dóor a man kuy saaga*». Nous devons nous convaincre que, pour l’Afrique aussi, c’est possible. Oui, Ici en Afrique, les intellectuels africains, pour leur part, avaient, en son temps, apporté la riposte qu’il leur revenait d’infliger à Nicolas Sarkozy, rigoureuse et cinglante dans sa diversité complémentaire. Il revient cependant aux décideurs politiques africains d’apporter la réponse fondamentale telle que les Chinois l’ont fait, sans tambour ni trompette. Aujourd’hui, avec la pandémie du covid-19 et les perspectives économiques peu reluisantes à court terme, des puissances occidentales, le spectre d’une Chine prenant plus rapidement que prévu la place de première puissance économique du globe fait perdre la tête à l’Occident capitalistes. Le coronavirus apparaît en Chine, il devient sous Trump, le ‘virus chinois’.
Lorsqu’une partie de la communauté africaine en Chine était aux prises avec des autorités locales, Trump donnait des leçons de bonne conduite à la Chine. Pourtant, la communauté africaine-américaine est la principale victime de la pandémie en Amérique, abandonnée par l’administration Trump et ses politiques. Pendant que l’africain-américain George Floyd mourait sous le genou d’un policier raciste et que toute l’Amérique arc-en-ciel se mettait en mouvement contre cette barbarie, Donald Trump faisait donner la troupe contre les manifestants tout en mettant l’Afrique en garde contre la Chine. Lorsque des hommes armés se réclamant faussement de l’islam déciment certains pays de l’Afrique de l’Ouest, on les appelle terroristes islamistes et ils sont pourchassés à juste raison. Mais quand le même phénomène se produite en Chine, ils deviennent des agneaux persécutés. Une Chine qui n’a jamais colonisé aucun territoire africain, qui n’a jamais vendu ni acheté des esclaves en Afrique, qui n’a pas de troupes d’occupation en Afrique…
Cette Chine-là que l’on ne veut pas nous voir regarder, nous devons nous intéresser à elle en y distinguant ce qui peut être universel dans l’expérience et ce qui relève du spécifique. Jeunes et fougueux volontaristes, subjugués par la victoire des Chinois sur les dominateurs, on nous appelait maoïstes. C’était dans les années de braises post68 et nous en étions fiers. Tout jeunes que nous étions, pleins d’ambition pour notre pays et pour l’Afrique, nous voulions, tout en restant nous-mêmes, attachés à notre culture et à nos valeurs propres, apprendre d’un pays dont la population était essentiellement rurale comme la nôtre et où des expériences exaltantes se développaient pour sortir un milliard d’êtres humains de la faim et de la misère. Les succès éclatants de la Chine d’aujourd’hui nous rappellent que ‘rien n’est impossible dans l’univers pour celui qui ose escalader les cieux’ dixit Mao Zedong leader historique de la révolution chinoise et premier Président de la République populaire de Chine. Pourvu que cette expérience nous incite à hâter l’unité politique du continent pour réaliser les conditions de devenir le prochain centre du monde.
L’Afrique est trois fois plus grande que la Chine et plus riche que le reste de la planète, peuplée de plus d’un milliard d’êtres humains dont l’essentiel est jeune.
BONNE LECTURE
A l’instar de toutes les grandes civilisations comme la haute Egypte pharaonique dont parle le Professeur Cheikh Anta Diop, celle de la Chine, vieille de 5000 ans, a immensément contribué aux connaissances universelles. Les inventions de sa nation multiethnique ont été en leurs temps des moments de révolution technologique. L'on peut en citer, entre autres, la boussole, la poudrière, le papier, l'imprimerie, etc... La Chine a vécu une histoire continue pour l'essentiel jusqu'au milieu du 19è siècle quand elle fut couverte par une éclipse soudaine avec l'irruption dans ses affaires des puissances européennes et du Japon comme cela a été le cas en Afrique avec l’Europe. L'Angleterre va la contraindre militairement à autoriser le commerce de l'opium, poussant en même temps une bonne partie de sa jeunesse à sa consommation. Ses parties côtières ont été transformées en zones d'influence avec des traités inégaux que lui ont imposé, en plus de l'Angleterre, l'Allemagne, la France, le Portugal, la Belgique, l'Autriche, etc...
Avec le Japon, c'est l'invasion de la Manchourie suivie de génocides à grande échelle. Ça a été une centaine d'années terribles d'une histoire freinée, d'un avenir obstrué. Déviée de son chemin, la Chine est transformée en un pays semi-féodal et semi-colonial. Il ne lui est laissé que le choix entre l'assujettissement et la résistance. Elle a choisi la résistance. Celle-ci a été menée courageusement par le Guomindang et son prédécesseur le Tongmenghui sous la direction de Dr. Sun Yat Sen pour fonder la république démocratique en 1911.Toutefois les moments les plus épiques de la lutte de libération ont été l'œuvre du Parti communiste sous la direction de grands stratèges politiques et militaires avec à leur tête Mao Zedong.
Les sacrifices ont été énormes avec 22 millions de martyrs pour une guerre populaire prolongée de 23 ans fondée sur l'alliance des ouvriers et des paysans procédant par l'encerclement des villes à partir des campagnes. La victoire fut éclatante et le Guomindang, devenu entretemps une cinquième colonne de renégats, se refugia àTaiwan. La bravoure des partisans de Mao a été telle que beaucoup d'autres partis démocratiques et patriotiques les ont rejoints et se sont alliés à eux dans le combat (le Guomindang debout, la Ligue Démocratique, etc.). Les trois grandes montagnes de stagnation sont terrassées, l'impérialisme, la féodalité, la bourgeoisie bureaucratique et compradore. Le 1er Octobre 1949, du haut de la tribune dressée devant le Portail de la Paix Céleste "Tiananmen", le Président Mao Zedong a signifié au monde entier que la Chine a bien décidé de se tenir à jamais debout et que les humiliations qui lui étaient jusque-là infligées appartenaient désormais à un passé révolu. Face à cette rage de vaincre, que d'obstacles aplanis, à l'intérieur avec les restes du Guomindang couché, les ennemis embusqués, les défis de la nature, mais aussi à l'extérieur avec l'encerclement par adversaires d'une Chine libre.
Ainsi, ils ont pu assoir les fondements solides du système socialiste qui convient aux réalités propres de la Chine. Le travail a été piloté avec détermination par la première génération de révolutionnaires autour du timonier Mao Zedong. La lutte de ligne à l'intérieur du Parti a permis de triompher de Lin Biao et de ses partisans et aussi de la bande des quatre. Ce furent là des victoires décisives qui ont permis à la société chinoise de " dépasser pour l'essentiel les vastes et tempétueuses luttes de classes " et de pouvoir changer l'axe du travail pour entreprendre la résolution correcte de la nouvelle contradiction principale entre les besoins légitimes de bien-être des populations et les conditions matérielles arriérées dans lesquelles elles vivaient.
C’est ainsi qu’à partir de 1978, la deuxième génération conduite avec vision par Deng Xiaoping qui est de la première génération (alors âgé de 74 ans), va s'atteler à l'élaboration et à la mise en œuvre de ce qu’ils appellent, non sans une réelle fierté, les quatre modernisations :
• Modernisation de l'Agriculture,
• Modernisation de l'Industrie,
• Modernisation des Sciences et des Arts et, last but not least,
• Modernisation de la Défense nationale. La première génération cachait les usines stratégiques dans les zones montagneuses pour se préparer à une éventuelle attaque militaire soviétique. Cette fois-ci, la deuxième génération a hérité d'une Chine forte pouvant traiter d'égal à égal avec tout autre pays.
Sur la base d'une telle assurance, elle entreprit une politique de réforme et d'ouverture pour absorber ce que l'humanité a produit de meilleur pour le développement social. C'est une offre que l'Occident ne va pas tarder à saisir en y percevant deux opportunités : d'une part un vaste terrain pour l'extension de ses entreprises et l'écoulement de ses marchandises et, d'autre part une invite inespérée pour pénétrer la société chinoise afin d'y déverser sa décadence capitaliste. Mais la Chine en était consciente et préparée dans une large mesure. Le perspicace Deng Xiaoping disait même "qu'en ouvrant les fenêtres on obtient de l'oxygène mais en même temps les mouches entrent". Donc avec prudence la Chine a accueilli les multinationales étrangères dans des zones spéciales sur ses côtes notamment à Shenzhen.
Devant les offres alléchantes de la Chine, l'Occident a grandement procédé à un transfert de technologies tout en manœuvrant à l'introduction de la perspective libérale. Bien sûr les injonctions de l'Ouest ont toujours été repoussées par la Chine occasionnant des frictions incessantes entre les deux parties. Comprendre ces moments permet de bien saisir la nature des évènements de 1989 à la place Tiananmen qui sont un point culminant dans le bras de fer entre la Chine et l'Occident.
A part quelques sorties maladroites de diplomates américains, l'Occident a plutôt usé d'intermédiaires pour, du haut des montagnes, assister au combat entre le dragon et les agneaux du sacrifice. A la fin de l'épisode, un journal français a titré que "la place Tiananmen est à jamais nettoyée". Alors que les Occidentaux évoluent avec des programmes à court terme, la Chine opère de manière stratégique. Et dans cette dynamique, la République Populaire suit une trajectoire balisée par ce que les chinois appellent leurs quatre points cardinaux : l'idéologie du socialisme scientifique, la direction du Parti du Prolétariat, le système d'État socialiste, la démocratie populaire ; le tout présenté de façon imagée pour illustrer leur méthode : "Le bon chat est celui qui attrape les souris" ou "il faut traverser la rivière en sentant les pierres " ou alors, pour ne pas confondre vitesse et précipitation, "même si l'âne est lent, les accidents seront rares ". C'est toute une gamme de thèses pour inciter à "la recherche de la vérité dans les faits".
La théorie de Deng Xiaoping a enrichi la pensée de Mao Zedong pour éclairer les jeunes héritiers dans l'œuvre grandiose qui les attendait. Ces derniers n'ont pas manqué de jouer leur partition. De Jiang Zemin qui définit le Parti comme représentant les trois éléments essentiels que sont le développement tendanciel des forces productives avancées, les orientations d'une culture avancée, les intérêts fondamentaux de l'écrasante majorité du peuple, à Hu Jintao pour une approche scientifique du développement.