LA CRISE EN EUROPE ET SES EFFETS SUR LES MODÈLES DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES EN AFRIQUE
L’heure est à une réflexion profonde sur le modèle de développement à mettre en œuvre au niveau supra national et de zones monétaires optimales à créer avec la flexibilité requise pour éviter tout type de corset en matière de politique monétaire.
Les récentes analyses d’économistes considérés comme sérieux et avisés alertent sur une prochaine crise économique majeure en Europe suite aux chocs exogènes subis depuis 2008 et aggravés par le COVID et les effets de la crise géopolitique russo-ukrainienne en cours.
Déjà, la crise des « subprimes » de 2008, qui tirait son origine d’une crise bancaire américaine générée par des défauts de remboursement de prêts immobiliers aux particuliers, avait gravement secoué l’économie mondiale du fait des relations interbancaires enchevêtrées dans le monde, reflétant l’interdépendance des économies.
Cette crise avait poussé les banques centrales à combler le passif des banques en difficultés en rachetant les crédits compromis par de la création monétaire sans contrepartie, aboutissant à terme à une situation inflationniste aux Usa et en Europe.
La crise actuelle née du conflit russoukrainien, avec sa vitesse de propagation sur l’économie mondiale, et l’Europe en particulier, remet quelque peu en question le modèle de mondialisation économique actuel qui ne met aucun pays à l’abri de crises locales déclenchées ailleurs, mais qui deviennent vite mondiales du fait de l’interdépendance des économies et des technologies de l’information et de la communication.
Dès lors, on comprend pourquoi la tentation d’un repli identitaire est agitée en Europe, avec le Brexit de Boris Johnson, la montée des souverainistes dans la quête des suffrages électoraux en France (Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon).
Des voix politiques s’expriment de plus en plus fort pour un retour à une souveraineté sur les questions économiques et monétaires et particulièrement sur les fondamentaux de Maastricht et certains prônent même la sortie de l’Euro. L’inflation enfle en Europe et exerce une pression sur la politique monétaire commune.
Entre décembre 2020 et décembre 2021, le taux d’inflation annuel dans l’Union européenne est passé de 0,3 % à 5,3 %, selon Eurostat. Durant les premiers mois de l’année 2022, le taux d’inflation annuel a poursuivi son augmentation historique en s’établissant à 8,1 % dans l’Union européenne.
En mai 2022 le taux d’inflation annuel a été estimé à 8,1 % en moyenne dans la zone euro, porté par la hausse de 39,2 % des prix de l’énergie. Ceux-ci ont augmenté de manière exceptionnelle. Par exemple, les prix du pétrole brut ont bondi de 350 % entre avril 2020 et avril 2022, soit la plus forte augmentation sur deux ans depuis 1973.
Des économies considérées comme faisant partie des moteurs de l’Union européenne connaissent des taux d’inflation record, soit 7,8 % pour l’Allemagne et 8,3 % l’Espagne, alors que la Banque Centrale Européenne affiche comme indicateur de stabilité économique le taux de 2 %.
Aujourd’hui, bien que n’étant pas partie prenante dans le conflit russo-ukrainien, l’Afrique subit de plein fouet ses conséquences économiques et sociales sur l’alimentation, l’agriculture (engrais et blé), la logistique et l’énergie.
Les difficultés d’approvisionnement en blé, et en céréales en général, ont mis à nu les vulnérabilités voire l’inefficience des politiques économiques suivies depuis les indépendances africaines, soit environ 60 ans.
Malgré des disponibilités en terre (l’Afrique concentrerait 60 % des terres arables du globe), en ressources hydriques souterraines et superficielles en quantité, l’Afrique est restée dépendante des importations pour nourrir ses populations.
L’alerte vient de sonner. Les modèles de développement doivent désormais être centrés en priorité sur la couverture des besoins alimentaires, sanitaires et d’éducation/formation des populations à dominante jeune et qui devraient atteindre 2 milliards d’individus d’ici 30 années.
Ce retournement de situation assimilable à un coup de théâtre, si la situation prêtait à rire, doit pousser nos gouvernants à hâter le pas et affirmer davantage la volonté politique de sortir nos pays de la situation de précarité actuelle. Le croît démographique actuel doit être pris comme un aiguillon pour anticiper les situations futures.
Lors du Forum de Davos du mois dernier ayant ouvert la réflexion sur la crise alimentaire, les délégations de pays africains présentes se sont engagées à renforcer leur agriculture à travers la mobilisation de fonds permettant de moderniser les appareils productifs et d’augmenter les rendements. Dans cet ordre d’idée, le président Kagamé a appelé à une convergence au niveau de l’UA pour un agenda commun en matière de souveraineté alimentaire.
Les participants ont également fait état d’un faible taux de transformation des matières premières (20 %, alors qu’en Union européenne ce taux monte à près de 80 %) et conviennent par conséquent qu’avec la pression démographique, il n’est plus possible d’exporter les matières premières sans transformation.
Des difficultés de mettre en œuvre le développement agricole du continent
Le développement de l’agriculture prôné dans cette instance sera, à notre sens, difficile à mettre en œuvre dans l’immédiat au regard des freins que constituent la question de la propriété foncière, le peu d’engouement des secteurs privés nationaux à investir dans ce secteur, l’aversion des banques à l’endroit du risque agricole, la lourdeur des investissements en matière d’aménagements hydro-agricoles et enfin le faible intérêt accordé par les partenaires financiers internationaux à ce secteur.
In fine, le conflit géopolitique en cours a remisé au placard toutes les théories économiques liant le développement des économies africaines à l’ouverture et à l’insertion au marché mondial en évacuant des priorités le devoir pour l’Afrique d’assurer son indépendance alimentaire comme cela a été le cas en Asie.
Abonnée au confort des importations de produits alimentaires en provenance de pays à faible monnaie sur le marché des changes (Asie) ou dans la zone euro, le secteur a été réduit grosso modo à l’exploitation familiale pratiquée sur une courte période, soit une saison des pluies d’environ trois mois dans le Sahel.
Aujourd’hui, il est question de se prémunir contre le risque de pénuries alimentaires connues en 2008 et présentement en 2022. Ce challenge doit être relevé par le continent tout entier. L’Afrique ne peut compter ni sur l’investissement privé étranger, ni sur les financements de bailleurs au regard des contraintes locales sus-évoquées, et encore moins sur l’aide au développement d’une Europe soutenant ses agriculteurs par des subventions massives.
Les défis relatifs aux réformes foncières et au crédit agricole doivent être relevés au niveau des Etats, et le marché sous régional réorienté vers les échanges de productions locales « intra zones ».
Le problème de l’Afrique est d’abord une question de volonté politique puis de déficits de ressources financières et d’institutions adaptées au développement. La règle, jusque-là, est le peu d’entrain à coopérer entre Etats pour des politiques communes, et l’extraversion des modèles de consommation.
Le président Kagame a appelé à une convergence au niveau de l’UA pour un agenda commun en matière de souveraineté alimentaire.
Constatant la dégradation au fil des ans des sources traditionnelles de financement telles que l’APD (aide publique au développement) et les IDE (investissements directs étrangers), les dirigeants africains ont reconnu l’importance de mobiliser les ressources nationales pour financer le développement du continent, en particulier l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
Des instruments financiers ont même été conçus au niveau de l’UA depuis plusieurs années déjà mais ne sont pas encore mis en place. Le président Akufo-Addo du Ghana a été désigné par ses pairs comme le champion de la création des institutions financières de l’UA. Il s’agit de la Banque africaine d’investissement (BAI) dont le protocole a été adopté en février 2009, du Fonds monétaire africain (FMA), dont le Protocole et le Statut ont été adoptés en juin 2014, de la Bourse panafricaine des valeurs mobilières, de l’Institut monétaire africain et de la Banque Centrale Africaine.
Depuis leur adoption, ces institutions financières n’ont pas obtenu le nombre de ratifications requis pour entrer en vigueur, c’est dire le manque d’empressement des Etats face à une situation d’urgence mise en relief par la crise actuelle. Ce peu d’empressement doit-il être imputé aux distorsions constatées dans la zone euro malgré plus d’un demi-siècle de préparation de la constitution d’une Europe économique et monétaire forte ?
Dans tous les cas, l’heure est à une réflexion profonde sur le modèle de développement à mettre en œuvre au niveau supra national et de zones monétaires optimales à créer avec la flexibilité requise pour éviter tout type de corset en matière de politique monétaire.