LA DISTRIBUTION DES CARTES D'ÉLECTEUR : UNE IMPASSE ENTRETENUE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le pouvoir APR et ses alliés de la coalition BBY persistent à vouloir écarter de la prochaine élection présidentielle, non seulement de futurs concurrents, mais aussi des électeurs régulièrement inscrits sur les listes électorales
Le régime actuel apparaît aujourd’hui de plus en plus aux abois. Le vrai scandale dans ce qui semble être une tentation, de sa part, de réaliser une forfaiture lors de la future élection présidentielle, réside moins dans le fâcheux système de parrainage introduit dans le processus électoral que dans la rétention des cartes d’électeur.
Ayant conscience que les citoyens dans leur grande majorité aspirent à une vraie rupture et à une nouvelle vision de la politique, le pouvoir APR et ses alliés de la coalition BBY persistent à vouloir écarter de la prochaine élection présidentielle, non seulement de futurs concurrents, mais aussi des électeurs régulièrement inscrits sur les listes électorales, dont ils ne maîtrisent cependant pas les penchants.
Tout en s’évertuant à faire invalider un maximum de candidatures, en particulier celles censées constituer pour eux une menace, grâce notamment à une instrumentalisation de la justice et à la mise place d’un système de parrainage hasardeux et absurde - comme vient de le révéler l’inflation de « candidatures à la candidature » lors du retrait lundi dernier des formulaires de collecte de signatures - ils misent sur un faible taux de participation électorale afin de pouvoir assouvir leur dessein de conserver à tout prix le pouvoir. Sentant qu’ils sont devenus minoritaires dans le pays, ils font fi des principes et règles élémentaires du jeu démocratique en voulant empêcher les électeurs d’exercer leur droit de vote, leur déniant ainsi la possibilité de choisir librement celui ou celle qu’ils considèrent comme devant être leur futur président de la République.
Des informations vérifiées émanant de certains concitoyens particulièrement « chanceux » d’avoir pu retrouver leurs cartes d’électeur dans d’autres localités que leurs lieux de résidence, à l’issue de multiples recherches et tractations, prouvent qu’un très grand nombre de cartes d’électeur ont été disséminées à travers le pays, dans des zones très éloignées du domicile légal des ayant-droits.
Ce n’est donc pas un hasard si le ministère en charge des élections n’avait pratiquement plus communiqué sur la question de la production et de la distribution des cartes d’électeur, depuis les élections législatives du 31 juillet 2017. C’est seulement le 18 juin dernier, à l’occasion de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi portant révision du Code électoral, que le ministre de l’Intérieur s’est résolu à révéler que « les opérations de retrait des cartes vont se poursuivre jusqu’à la veille des élections de 2019 » et à annoncer qu’« à la date du 8 juin 2018, sur un nombre de 6.050.075 cartes produites pour l’intérieur du pays, il ne restait que 367.464 cartes à distribuer à l’échelle nationale ».
De plus, il y a quelques semaines, les listes électorales provisoires n’ont été affichées dans les préfectures et sous-préfectures que pendant cinq jours, avant une période contentieuse ouverte pendant quinze jours, pour permettre, soi-disant, de procéder aux rectifications nécessaires.
Aussi, ne peut-on manquer de soulever les cinq questions/remarques suivantes :
Projeter de poursuivre les opérations de retrait des cartes jusqu’à la veille des élections ne constitue-t-il pas, pour le moins, un aveu d’inefficacité, à défaut de cacher une volonté de mise « hors-jeu » d’une bonne partie de la population au moment fatidique du vote ? Et de quelles élections de 2019 parle-t-il ? De l’élection présidentielle ou des élections locales qui vont suivre ?
Si les 6.050.075 cartes produites ne l’ont été que pour l’intérieur du pays, comment peut-on indiquer un chiffre de 367.464 cartes restant à distribuer « à l’échelle nationale » ? Et puis, quid des cartes de la diaspora ? N’y a –t- il pas là une confusion volontairement entretenue ? Qu’en est-il des cartes des 500.000 nouveaux électeurs inscrits lors de la révision exceptionnelle des listes électorales du mois d’avril dernier ?
Pourquoi le ministère de l’Intérieur ne communique-t-il pas – et régulièrement - sur l’état d’avancement des distributions de cartes ? Qu’attend-il pour publier officiellement, au-delà de l’affichage des listes électorales, la liste des cartes restant à distribuer au niveau de chaque centre, voire pour faire afficher dans chacun de ces centres la liste concernée ? Quelle est la raison derrière la décision de n’afficher les listes électorales provisoires que pendant cinq jours et non jusqu’à la fin de la période contentieuse, ce qui aurait donné aux citoyens suffisamment de temps pour consulter ces listes et faire procéder aux éventuelles rectifications nécessaires ?
Ce sont là autant de points sur lesquels les citoyens Sénégalais aimeraient avoir des réponses claires de la part des organes et structures censés organiser les élections de manière fiable et transparente.
La responsabilité de l’Etat étant ainsi engagée dans les carences et subterfuges constatés, ainsi que dans la manipulation du dispositif électoral de manière générale, le principal combat qui vaille aujourd’hui est, à notre sens, celui d’exiger la mise en place des conditions indispensables de délivrance de leurs cartes d’électeur à tous les citoyens, afin qu’ils puissent exercer leur droit de vote au moment opportun, un droit constitutionnellement reconnu.
S’il est légitime, certes, de s’opposer - comme le font les organisations regroupées au sein du Front de résistance nationale - au tripatouillage des textes relatifs au processus électoral, notamment en ce qui concerne le système du parrainage, ainsi qu’aux tentatives d’invalidation de la candidature des prisonniers politiques que sont Karim Wade et Khalifa Sall, il reste que la discrimination constatée dans la mise à disposition des cartes d’électeur est autrement plus lourde de conséquences, en termes de déni de droit. Si rien n’est fait, beaucoup de Sénégalais risquent de ne pas voter lors de la prochaine élection présidentielle, à l’image des élections législatives calamiteuses du 31 juillet 2017, ce qui est visiblement recherché par le pouvoir en place pour s’assurer de la réélection de leur candidat.
Une telle discrimination antidémocratique, antirépublicaine et anticonstitutionnelle étant inacceptable, il est du devoir de tous les patriotes épris de justice et attentifs au respect des principes démocratiques et d’un Etat de droit, de se mobiliser pour pousser le régime à mettre un terme, sans délai, à cette rétention des cartes nationales d’identité/cartes d’électeur.
Le président sortant doit savoir c’est son devoir constitutionnel que d’assurer l’égalité de tous les citoyens et de garantir la transparence et le respect des règles électorales. La situation actuelle, si elle devait perdurer, priverait la prochaine élection présidentielle de toute crédibilité et de la légitimité démocratique indispensable. Elle pourrait installer le pays dans l’instabilité et les troubles sociaux, du fait des frustrations et de la colère des citoyens, ce dont il serait responsable.
Afin de prévenir une telle éventualité dommageable à la paix sociale, toutes les forces vives du pays, en particulier les formations politiques de progrès et les organisations de la société civile et de défense des droits humains, devraient constituer de larges initiatives citoyennes au niveau des communes et quartiers, pour :
- recenser les citoyens qui désespèrent de savoir où retirer leurs cartes ou dont les cartes recèlent des données erronées ;
- alerter l’opinion publique sur ce qui apparaît déjà comme l’orchestration d’une future fraude électorale ;
- exiger l’accès au fichier électoral ;
- et pousser le gouvernement à prendre les mesures indispensables de correction, ainsi que de réacheminement des cartes en souffrance et à publier et faire afficher au niveau des sous-préfectures, commissions administratives et autres centres - de distribution, la liste des cartes qui s’y trouvent.
C’est à ces seules conditions que la transparence et la régularité du scrutin à venir pourront être assurées et, sous réserve d’une bonne surveillance de la fiabilité de ses résultats, la paix sociale sauvegardée.
Mohamed SALL SAO est membre fondateur de la Plateforme « Avenir, Senegaal bi ñu bëgg » et co-coordonnateur de l’initiative « Fippu – Alternative citoyenne »