LA RÉPUBLIQUE DÉGRADÉE
Djibril Ngom fait partie de ceux qui n’auraient jamais dû franchir les grilles du Palais après son forfait. Les conseillers présidentiels à l'origine de cette audience ont fait commettre à Macky Sall une faute morale
Choquant, dégoûtant, sidérant, écœurant, répugnant, consternant… Les mots sont forts. Voire très forts. Mais ils marquent la stupeur et l’effroi des Sénégalais face à la rencontre « secrète » entre Macky Sall et Djibril Ngom. Bien plus que de simples images, les photos « fuitées » de l’audience entre le président de la République et un vulgaire escroc politique, sous les ors de la République, sont les allégories cruelles et déshonorantes d’une République dégradée et d’une institution souillée. Et bien plus que de simples photos, ces images sont le symbole d’un désarmement moral tout au sommet de l’État.
En recevant un entrepreneur de la trahison, un totem de l’immoralité au quotient éthique plus qu’étique, le chef de l’État a non seulement célébré l’âme noire du mauvais génie sénégalais, mais il a en même temps fracasser encore un peu plus, l’idéal républicain avec cette mise en scène sordide et immortalisée pour la postérité, d’un criminel électoral de bas étage, posant fièrement dans le Palais de la République avec en arrière plan, le drapeau national. Un coup de tonnerre médiatique avant l’orage politique qui se profile avec les élections locales de janvier prochain.
Mais de quoi cette nouvelle affaire est-elle le nom ? Sinon le symbole d’un chaos moral, le point culminant de la dégradation intellectuelle d’une République qui, en l’espace de trois générations, est passée d’Amadou Moctar Mbow à Abdoul Mbow. De quoi Djibril Ngom, l’homme par qui le scandale est arrivé, est-il le visage ? Rien moins que celui de la trahison d’un homme, passé avec armes, secrets et dossiers de candidature de son parti à « l’ennemi », tout en prenant soin d’organiser son injoignabilité quelques heures avant le délai limite de dépôt des listes des élections municipales. Objectif : se faire disqualifier sciemment et sa formation politique d’origine avec. Même ses ex-amis politiques ont été entre temps rétabli dans leurs droits, cette nauséeuse tentative d’escroquerie électorale risque de lourdement empoisonner un climat socio-politique déjà bien délétère.
Adji Sarr hier, Djibril Ngom aujourd’hui
Il restera incontestablement dans la toute petite histoire politique du Sénégal comme l’homme tortueux, un apprenti machiavel tropical qui, contre espèces sonnantes, trébuchantes et dégradantes, a voulu braquer les suffrages de toute une région en privant de leur droit de vote, des milliers de Sénégalais.
Dans une République qui se respecte, il y a des bornes infranchissables. Djibril Ngom fait partie de ceux qui n’auraient jamais dû franchir les grilles du Palais après son forfait. Les conseillers du président qui ont organisé cette audience, ont fait commettre à Macky Sall une faute morale et compromis ce qui lui restait de crédit moral. Aujourd’hui, c’est un impératif catégorique politique absolu et une exigence de salubrité républicaine pour le président de la République de se mettre à distance de sa firme d’irréductibles obtus, qui sévissent au cœur du pouvoir et qui le font patauger dans les eaux troubles du complotisme artisanal et immoral. L’affaire Adji Sarr hier, le scandale du prédateur politique Djibril Ngom aujourd’hui, avec pour solde de tout compte, la radicalisation et le resserrement de l’opposition.
Macky Sall et l’estime de son peuple
Dans la longue série des affaires et scandales qui ont rythmé la mandature de Macky Sall, ce nouvel épisode risque d'exacerber un peu plus le sentiment de défiance d’un grand nombre de Sénégalais vis-à-vis de leur président. Eux qui croient, à tort ou à raison qu’en lieu et place d’un père de la Nation, ils ont installé au suprême poste de commande de la Nation, un chef de famille comploteur, un chef de clan au service exclusif de ses copains. Et tout cela pourrait avoir de sales conséquences ?
Les événements du mois de mars ont montré qu’une bombe pouvait être composée d’éléments autres que d’explosifs. L’exaspération sociale des Sénégalais, ajoutée à un sentiment d’injustice de plus en plus perceptible et alimentée par une justice pas toujours impartiale, peuvent comme une mèche, provoquer des déflagrations que personne ne souhaite revivre. À force de donner l’impression d’asphyxier la démocratie sénégalaise, de vouloir mettre au pas tout un pays en rayant de la carte électorale ses principaux opposants, Macky Sall s’est mis à dos une large partie de son peuple. Le président fait tout ou presque comme s’il ne voulait pas influer pour le meilleur sur l’histoire du Sénégal. Comme s’il voulait la marquer pour le pire. Comme s’il voulait s’effacer définitivement de l’estime des Sénégalais.
Lui qui en 2012, avec sa promesse de gouvernance vertueuse a coloré les espoirs de tout un pays et de tout un peuple, est aujourd’hui à contre-temps de nombreuses franges de sa jeunesse. Il ne faut pas s’étonner de l’ascension de Sonko qui, avec comme seul véritable combustible politique, son mantra anti-Macky Sall, soit aujourd’hui très haut perché dans le cœur des jeunes Sénégalais.
Ousmane Sonko, chef incontesté de l’opposition, passé de l’exemplarité à une inculpation pour viol présumé, n’est que la condamnation de Macky Sall, encore une fois incapable, avec cette nouvelle affaire Djibril Ngom, de se mettre à la hauteur qu’oblige la fonction présidentielle.