LA SOCIÉTÉ CIVILE SÉNÉGALAISE A-T-ELLE LES MOYENS DE SA LIBERTÉ ?
Les accusations à l’encontre de deux courageux activistes sont graves. Nous pouvons dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu, sauf en temps de brouillard
S’il est difficile de définir la société civile, il y a cependant, un consensus qui considère qu’elle correspond aux citoyens qui n’exercent pas d’activités politiques et militaires. Ce sont des hommes et femmes défenseurs des droits de l’homme, des associations d’étudiants, d’universitaires, d’avocats, Bloggers, etc., qui exercent leurs activités dans un but non lucratif.
Des citoyens des vieilles démocraties occidentales se sont organisés pour dénoncer certaines dérives en matière du droit de l’homme ou du non-respect des conventions internationales. Certains pays se sont vus infliger de lourdes amendes suite au dépôt de plainte de leurs compatriotes. Ces militants, parfois activistes, sont souvent soutenus par une presse engagée et des donateurs acquis à leur cause. Ils sont également en activité professionnelle, ce qui leur permet d’être libres et indépendants à l’égard du pouvoir en place. Le Sénégal a pris son envolée démocratique depuis mars 2000. Il a vu Abdoulaye Wade, accéder au sommet du pouvoir après quarante années d’opposition.
Malgré cette première alternance politique rare en Afrique, le Sénégal, à l’instar de différents pays, n’échappe pas aux sentinelles créées par des organisations et associations non gouvernementales pour surveiller le fonctionnement des institutions. Notons qu’il y avait des prémices de combat durant les années 90. Les journaux sénégalais, qui tenaient leur rôle de quatrième pouvoir et de vigie, ont participé à leur manière à une résistance au régime en place à leurs dépens. Certains ont subi des sanctions lourdes, allant jusqu’à la fermeture temporaire de leurs organes. La société civile sénégalaise, avec des mouvements comme Yen En Marre, a participé activement à la déstabilisation du régime du président Abdoulaye Wade. Elle a poussé l’ancien président de la République sénégalaise à renoncer à son bidouillage législatif qui aurait permis à son fils de le remplacer. Ces mouvements sont indispensables et permettent à la démocratie de respirer. Ils offrent aux Sénégalais un outil de contrôle de l’exécutif en dehors des partis constitués, car ils sont censés être dénués de toute appartenance politique.
LA PYRAMIDE DE MASLOW ET LA LIBERTE D’AGIR
Abraham Maslow, psychologue américain, a défini cinq étapes des besoins humains hiérarchisés. Il indique que l’être humain ne s’engage à combler le besoin supérieur que lorsque le précédent est comblé. Les premiers sont physiologiques : se nourrir, respirer et dormir... La très grande difficulté de la société civile sénégalaise réside dans son incapacité à résoudre cette première étape.
En effet, beaucoup de sénégalais ne montrent pas une aisance économique, (sans être riche), pour accéder, non plus à la dernière étape qui sont les besoins d’accomplissement de soi. Dans la durée, ils risquent d’être rattrapés par la réalité économique, malgré des soutiens non avoués de certains groupes de pression. Les gouvernants savent très bien que ces protecteurs de la liberté, de la démocratie, des droits de l’homme, peuvent avoir des faiblesses liées à leurs conditions de vie. Les Sénégalais ne toléreront aucun dérapage de la société civile car, ils ne doivent pas ressembler à ceux qu’ils dénoncent. Plusieurs activistes ont été condamnés pour des faits qui sont liés à des dénonciations des activités du pouvoir politique.
Par ailleurs, d’autres sont accusés des faits liés à des activités délictueuses. Deux rappeurs, Simon Kouka et Kilifeu doivent répondre à la justice pour «trafic de passeports et escroquerie sur visa». Il me semble qu’il est encore très tôt de considérer que les accusés sont coupables tant qu’ils n’ont pas épuisé toutes les voies de recours. Néanmoins, cette situation vient nous renseigner sur les difficultés de la société civile à exercer pleinement son rôle. Benjamin Franklin, un des fondateurs de la constitution américaine, disait : «Un sac vide tient difficilement pas debout».
La société civile a besoin d’un soutien financier pérenne et du renouvellement de ses représentants. Les accusations à l’encontre de deux courageux activistes sont graves. Nous pouvons dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu, sauf en temps de brouillard. Disons qu’il y a du feu et du brouillard ; chacun fera son idée… Seule l’indépendance économique permet réellement d’être libre de ses actions et d’éviter les compromissions, voire des comportements de survie qui peuvent relever d’une infraction ou d’un délit.