LA SODAV PAIE LE PRIX D’AVOIR VÉCU SUR SA « SITUATION DE RENTE »
En plus de la copie privée qui est un vœu pieux dans la maison dirigée par Aly Bathily et dont Ngoné Ndour Kouyaté est la PCA, rien n’est fait pour percevoir les droits légitimes des artistes, créateurs et éditeurs, sur le streaming
60% en moins. C’est la baisse spectaculaire des redevances qu’elle perçoit que l’ex Bureau Sénégalais du Droit d’Auteur (BSDA), organisme d’État devenu une société civile privée, sous le nom de SODAV (Sénégalaise du Droit D’Auteur et des Droits voisins), connaîtra en 2020, à cause de la pandémie de coronavirus. Celle-ci a entraîné la fermeture de tous ces lieux que la SODAV taxait (bars, restaurants, hôtels, concerts, etc.) au titre de la musique et autres œuvres de l’esprit qui y étaient diffusées au public.
Pourtant la SODAV connait le remède, à la fois seul gage d’entrée dans la modernité (enfin !) et unique instrument pour un paiement équitable des droits des artistes, éditeurs, auteurs et compagnie, du Sénégal : c’est la rémunération pour copie privée, censée être instauré depuis le vote d’une loi en janvier 2007. Soit, il y a 13 ans, bientôt trois lustres.
C’est sur la copie privée que le directeur intérimaire (intérim jusque quand ?) de la SODAV, Aly Bathily, a pleurniché jeudi dernier : « il faut concrétiser la mise en œuvre de la rémunération pour copie privée, qui est une redevance prélevée sur les supports d’enregistrement. Le travail technique est déjà fait, et le taux retenu est de 2,5 %. Cette rémunération peut sauver le secteur culturel’ », a supplié Bathily.
Pourtant, cette rémunération est un droit et non une faveur à quémander à l’Etat, pour les ayants-droits. Le Burkina Faso qui l’applique depuis 16 ans perçoit plus de 50% des droits (60% en 2017 !) de son BBDA (Bureau Burkinabé du Droit d’Auteur) par la copie privée. Le BBDA l’applique en coopération avec la douane burkinabé, qui impose ces redevances sur tous les appareils pouvant copier des œuvres et permettre l’enregistrement de celles-ci (tablettes, clés USB, smartphones, disques durs externes, etc.). Et les montants perçus se montent au Burkina, depuis 16 ans, à toujours plus de milliards perçus par le BBDA. A comparer à la pauvre somme que la SODAV a annoncée dans son rapport 2018 : dans son rapport 2018 publié en juin dernier, la SODAV avait perçu 807 millions 906 mille 866 francs CFA au titre des droits d’auteur. En hausse pourtant de 47,88 % sur les perceptions de l’année précédente, cette somme reste ridicule en regard de ce qu’on est en droit d’attendre pour les créateurs et éditeurs avec la rémunération pour copie privée. Quand et si elle est enfin instituée !
Le BBDA burkinabè, sur financement de la CISAC (Confédération internationale des sociétés de droit des auteurs et compositeurs), a envoyé une mission pendant 4 jours à Dakar en juin 2019, pour aider la SODAV à avancer sur ce serpent de mer qu’est la copie privée au Sénégal. Mais comme pour d’autres missions précédentes envoyées par la communauté internationale du droit d’auteur, et après moult séminaires sur la question auxquelles l’ex BSDA et actuelle SODAV ont participé dans l’UEMOA et ailleurs, rien n’a bougé d’un iota sur ce chantier impérieux.
Mais la SODAV ne fait que payer le prix de n’être jamais sortie de sa « zone de confort », qui est de vivre de la « situation de rente » qui consiste à taxer les plus visibles et les plus directement accessibles : hôtels, restaurants, bars, salles de spectacles, concerts, etc.) et les organes de presse audiovisuelle, radios et télés (qui pourtant, sur leurs enregistrements, sont aussi des ayant-droits que la SODAV devrait rémunérer !). Une approche bureaucratique de la SODAV donc, semblable en tous points à celle du fisc sénégalais, qui pour les impôts sur les sociétés, tape toujours sur les plus formelles et les plus visibles des entreprises.
La SODAV, malgré le ravalement de façade de son changement de nom, n’est toujours pas entrée dans le 21ème siècle : en plus de la copie privée qui est un vœu pieux dans la maison dirigée par Aly Bathily et dont Ngoné Ndour Kouyaté est la PCA, rien n’est fait pour percevoir les droits légitimes des artistes, créateurs et éditeurs, sur le streaming. Le streaming, dont les redevances ont décuplé en 10 ans pour les auteurs et éditeurs, ailleurs dans le monde, est pourtant le moyen privilégié d’accès aux œuvres pour les Sénégalais, dont le taux de couverture par téléphone mobile dépasse les 100%! En ces temps de confinement pour cause de « Coronacrise », la consommation d’œuvres de l’esprit par le streaming a bondi dans tous les foyers sénégalais et chez tous les particuliers du Sénégal. Qui peut imaginer un auto-confinement sans livre, sans musique, sans film ?
Enfin, et cela concerne aussi les journalistes sur leurs articles et les éditeurs de presse qui sont des ayant-droits prévus par la SODAV, qu’est-ce qui est fait par l’ex-BSDA pour percevoir des redevances de la part des GAFA, notamment de Google qui indexe les articles des journaux et sites d’info sénégalais, et de Facebook ? Là encore, la SODAV se tourne les pouces, contente (au moins jusqu’au Covid-19!) de taxer les prétendues vaches à lait de sa zone de confort.
SODAV ? Société du Droit d’Auteur Virussé !
Seul motif de consolation ? La communauté des créateurs ivoiriens et leur BURIDA (Bureau Ivoirien du Droit d’Auteur) courent aussi derrière la concrétisation de la rémunération pour copie privée depuis 15 ans…
Ousseynou Nar Gueye est Fondateur-Éditeur de Tract.sn, Expert en propriété intellectuelle