LA VIOLENCE MÉCANIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le système actuel ne peut que produire des étudiants du public, parias, mal formés obligés de développer des stratégies de survie au lieu de consacrer l’essentiel de leur intelligence et de leur énergie à apprendre
La tragique mort de l’étudiant Mouhamadou Fallou Sène relance la machine de la violence dans l’espace universitaire. Les mêmes causes reproduisent ici, les mêmes effets. Le retard dans le paiement des bourses vient de mettre encore le feu aux poudres. Comme ce fut le cas sous le mandat de Me Wade avec la mort de Balla Gaye et plus récemment en 2014, celle de Bassirou Faye. Le funeste remake du douloureux épisode de l’Université Gaston Berger nous ramène à ce démon répétitif au point de prendre le chemin d’une endémie.
Le mal devient en effet récurrent et endémique, alors qu’il continue d’être perçu et traité comme une série d’anecdotes, « un petit incident », pour reprendre les propos malencontreux d’un ministre. Encore une bavure langagière dont les conséquences pourraient produire les mêmes effets que la bavure policière.
En vérité depuis, 2000, il se développe une sorte de mécanique de la violence à trois temps : la violence administrative et judiciaire, la contre violence-estudiantine et la violence policière. La sortie définitive de ce cycle infernal dépend en grande partie de la conscience de l’existence de ce triangle dramatique de la violence.
La violence administrative et judiciaire : elle est essentiellement institutionnelle et immatérielle. Elle se constitue de retards et de mauvais traitements du dossier des bourses, depuis les critères d’admission et de choix des bénéficiaires, jusqu’à l’attribution, le processus de paiement, le choix de la banque. Entre le ministre des finances, la direction des bourses et les centres d’œuvres universitaires, il se passe d’incroyables dysfonctionnements, de guéguerres, certains parlent même de corruption et de népotisme. Des retards énormes sont constatés, soit pour indisponibilité de ressources, soit par négligence mais aussi par incompétence. Disons de déficit de capacité institutionnelle.
Les nombreux rapports d’inspection sur la gestion des œuvres laissent apparaître une gabegie indescriptible, des détournements à profusion, des recrutements ciblés, une culture de patrimonialisation impunie et savamment entretenue. La direction des œuvres est un cadeau royal offert aux obligés les plus zélés politiquement et administrativement les moins efficaces. La pratique politicienne est passée par là.
Résultat des courses, des étudiants affamés contraints de vivre d’expédients, de faire la manche pour retirer de maigres sous des parents, proches et professeurs. La porte est ainsi ouverte à la prostitution des jeunes gens et à toutes sortes de dérives sociales, qui les ont conduits à une précarité endémique. Et en cas de bavure mortelle, la voie judiciaire traîne les pieds, fait perdurer les enquêtes et bizarrement trouve rarement les coupables. Cette double violence administrative et judiciaire est la source de tous maux de l’espace universitaire. Elle persiste et entraîne dans sa spirale, la colère et le courroux des étudiants.
La violence estudiantine : elle est pour une grande part due à la première forme de violence. Obligés de réagir pour survivre, les étudiants sont contraints de trouver une stratégie de riposte qui peut aussi ouvrir la voie à des dérapages inadmissibles. Ils se constituent de menaces virulentes, caillas sages d’autorités, manifestations violentes, de saccages de biens, d’incendies de véhicules particuliers de transport public, de vols et de brigandages. En l’absence d’une police universitaire mixte chargée d’assurer l’intégrité des biens et des personnes vivant dans les deux campus, l’université devient quasiment une zone de non droit.
Les franchises universitaires ne sauraient être un prétexte, pour des pratiques licencieuses et violentes et dégradantes. L’usage abusif de la force et la systématisation de l’intifada font oublier qu’il existe des méthodes non violentes de protestation plus sécurisantes pour les particuliers, le personnel des campus et les professeurs. Combien de fois des enseignants ont boycotté des cours après qu’un de leurs collègues eut été pris en otage par des étudiants ? Croire qu’être étudiant donne droit à toutes les dérives, c’est ignorer que l’esprit de mai 68 (il est interdit d’interdire), n’est plus de saison. Prendre les agents de l’ordre pour des ennemis, des suppôts de l’autorité publique constitue une forme de provocation. Organiser des journées sans ticket n’est pas de bon droit. Les amicales doivent négocier avec les autorités du Coud et Crous des systèmes alternatifs d’avance sur consommation en cas d’exceptionnel retard de paiement. Mais se servir sur la bête à l’œil et s’en prévaloir fièrement ne relève pas de la morale. Cette violence estudiantine peut être légitime et parfois nécessaire, si et seulement si, elle est contenue dans les limites de l’acceptable.
La violence policière : le non respect du protocole du maintien de l’ordre conduit souvent à des bavures policières. La sommation est réglementée, mais cède souvent la place à l’affolement de policiers en sous-effectifs, contraints de faire usage de leurs armes au premier sentiment de menace. La culture de la brutalité inculquée à de jeunes recrues sans expériences les conduit à des excès aux fâcheuses conséquences. Les mandats administratifs mal compris, les réquisitions mal engagées, préparent le lit à ces débordements. Les expéditions punitives et préventives amènent les policiers à organiser des saccages et vols dans les campus sociaux hors des normes de maintien de l’ordre. Selon toute apparence, les forces de sécurité doivent revoir leur copie et arrêter de considérer les étudiants comme les enfants gâtés de la République qu’il faut corriger.
Les conséquences de cette forme de violence sont funestes, car l’usage des armes à feu, doit être l’exception et mis en œuvre selon des conditions dont les policiers font souvent fi. Il s’y ajoute, un climat social et économique difficile marqué par la disparition progressive des réseaux de solidarité. L’absence de réflexion stratégique sur le mode de gouvernance de notre système, conduit l’État et les acteurs sociaux à perpétuer les mêmes pratiques contre-productives. Mettre la bourse au cœur du dispositif de prise en charge sociale des étudiants, c’est continuer de les enfoncer dans la précarité. Non seulement, elle est insuffisante à couvrir leurs besoins sociaux des bénéficiaires, mais même quand elle est relativement substantielle, elle devient une rente de situation qui sert à tout sauf aux besoins académiques. Qui plus est, elle charrie les pires démons de la violence, parce qu’elle est devenue un droit de créance pratiquement sans contrepartie en termes de résultats et de performance.
Il faut espérer que quand jaillira le pétrole, le Sénégal aura suffisamment de moyens, pour créer des opportunités d’emplois qui profiteront à cette élite en herbe, pour qu’elle espère bénéficier de prêts afin de pouvoir préfinancer leurs études. Pour l’heure le système actuel ne peut que produire des étudiants du public, parias, mal formés obligés de développer des stratégies de survie au lieu de consacrer l’essentiel de leur intelligence et de leur énergie à apprendre aujourd’hui, pour entreprendre demain. Il est grand temps d’imaginer des formes de financements domestiques et innovants des études, pour sortir de cette triangulation tragique de la violence.