LA VRAIE VIOLENCE EST POLITIQUE
Ces morts, sans noms — pour vous —, aux corps mutilés, à l’âme dévastée par la précarité, la tyrannie du capitalisme, n’ont jamais cessé de croire au « nous » que vous scandez en temps de campagne
Plus de 480 jeunes sénégalais dont des mineurs de 13 ans sont morts en mer en tentant de rejoindre l’Europe dans l’indifférence la plus totale des gouvernants sénégalais et le rejet des pays d’accueil qui n’en peuvent plus d’accueillir.
Les enfants morts en mer ne sont pas vos fils ! Messieurs les puissants, gouvernants, propriétaires de capitaux, théoriciens et acteurs des politiques d’immigration. Sinon les drapeaux seraient en berne et les frontières ouvertes. Ces morts, sans noms — pour vous —, aux corps mutilés, à l’âme dévastée par la précarité, la tyrannie du capitalisme, qui savaient pourtant que personne ne s’intéressait à eux — raison principale du désespoir qui les voit embarquer dans un frêle esquif — n’ont jamais cessé de croire au « nous » que vous, politiques, scandez en temps de campagne, éternel temps de comédie de votre classe.
Messieurs les présidents, puissants, bourgeois, capitalises, politiques, ces gens morts ont certainement de près ou de loin, été acteurs de votre accession au pouvoir à défaut de l’avoir souhaité, même s’ils ne comptent pas, — et pourtant ils ne sont que chiffres avantageux dans vos politiques migratoires et vos bilans — avaient une vie, une famille, des gens qu’ils aimaient, qui les aimaient en retour et des espoirs noyés par vos politiques.
Messieurs, ces gens dont les frères sont tués chez eux dans l’impunité la plus totale et qui ont sombré en mer dans l’indifférence de leur pays d'origine et le refus d’accueil des différents mouvements d’extrême droite et franges au pouvoir intéressées par cet électorat, furent les premiers à être Charlie, à être solidaires de Paris, de Bruxelles, et de toutes les mégapoles d’Occident touchées par la violence et en réponse ils n’ont obtenu que la barbarie innommable de la fermeture des frontières, de l’indifférence et du rejet. Aucun média ne s’intéresse à leur mort. La violence, la vraie, est celle causée par le monde politique et les médias qu’il contrôle ou a sous sa coupe.
Le président sénégalais avait en temps de campagne juré à cette jeunesse la création de centaine de milliers d’emplois, l’amélioration de leurs conditions de vie ; aujourd’hui, les seuls résultats perçus par cette jeunesse sont la paupérisation engendrée par les accords de pêche avec l’Union Européenne qui exploitent les zones marines sénégalaise, laissant les pêcheurs sans ressources et le désespoir. La majorité des morts et candidats à l’exil sont pêcheurs. Conséquence désastreuse de la politique économique de notre président. Son silence et celui des télévisions, artistes et autres personnalités associées au pouvoir ne reflètent que cet échec.
La mère des violences est celle des vies réduites à la misère. Des personnes qui sont confrontées à la mort, la vraie, de leur vivant et qui même vifs, meurent mille fois à cause de l’indigence, n’en ont que faire de l’émergence scandée urbi et orbi par l’appareil gouvernemental s’ils ne peuvent avoir un quignon de pain !
L’achat de conscience de militants de l’opposition et le recrutement du principal opposant au régime en place à coup de millions par mois d’après la presse (somme qui représenterait toujours d’après la même presse le salaire mensuel de 300 jeunes, l’équivalent de deux pirogues en partance pour l’Europe) renforce le désespoir de la jeunesse.
Dans un monde libre, en paix, des politiques pareilles seraient un crime contre l’humanité. Et la cause réelle de ces morts ce sont les politiques qu’elles soient migratoire, économique, discriminatoire, étrangère et la dégradation des termes de l’échange.
Messieurs les puissants du Sénégal, votre peuple vous écoute, votre silence fait grand bruit dans les pages encore en écriture de l’Histoire. Au lieu de promesses, de politique politicienne, nous voulons entendre « plus jamais ça » et attendons de vous des actes forts. Assez de paroles, nous voulons des actes. Seuls des prises de positions et actions dignes laveront le sang sur vos mains.
Messieurs de la francophonie, au lieu du « pauvres, mourrez en silence et loin de chez nous », nous voulons entendre et surtout voir se manifester une vraie solidarité, une union dans notre globalité, une union dans nos différences. Nous voulons la fin de la Francophonie de l’exclusion.
Les jeunes morts en mer ne sont pas anonymes, et certains d’entre eux se prénommaient Doudou, Lamine, Djiby. Les appeler par leurs prénoms, les nommer, c’est leur rendre leur humanité. La vraie cause de leur mort, la vraie violence qui les a tués, est politique ! Je me répète car pour être compris quand on parle de ces choses-là que personne ne souhaite entendre, il faut crier, forcer la parole, l’arracher, on ne quémande pas ce genre d’attention, on la prend, on l’arrache, de force.
Khalil Diallo est écrivain