LAMOTTE, AU CENTRE DU CONFLIT
DESSIN EXCLUSIF SENEPLUS - Point n’est besoin d’aller loin pour savoir que le procès de Khalifa Sall est un procès politique avec un habillage judiciaire - De l'alpha à l'oméga, on retrouve le pouvoir exécutif (Macky Sall)

Au bout de 22 jours, le procès de Khalifa Sall et de ses co-prévenus a pris fin en attendant que le juge Malick Lamotte délibère avec ses assesseurs sur le sort du maire de Dakar et compagnie. Le Témoin revient sur quelques péripéties de ce procès qui risque de se traduire en tragédie politique le 30 mars prochain à moins que le juge Lamotte, dans un sursaut de courage, ne fasse fi de ces nombreuses pressions de l’exécutif dont le désir secret serait de voir condamner le maire de Dakar à une peine minimale de trois ans pour « détournement de deniers publics » et « faux et usage de faux ». Une condamnation qui aurait pour conséquence la privation de ses droits civiques et, par voie de conséquence, son inéligibilité.
Le procès qui a pris fin ce vendredi 24 février 2018 procédait d’une affaire aussi obscure que rocambolesque. Sur le strict plan juridique, les débuts du procès ne sont guère rassurants. Dès la troisième journée d’audience, en effet, les règles de procédure sont particulièrement malmenées, comme le montre l’examen des exceptions soulevées par les avocats de la défense. Certaines exceptions de nullité ont été rejetées par le juge dont celle relative à l’incompétence du Tribunal de grande instance à juger une telle affaire qui relève, selon les avocats de la défense, de la compétence de la Cour des comptes.
Par la suite, le juge Lamotte a refusé de statuer in limine litis (au commencement du procès) sur les autres exceptions plus particulièrement sur celle entrainant l’annulation pure et simple de toute la procédure. Il s’agit de la non-notification aux prévenus du droit de se faire assister par un avocat lors de l’enquête préliminaire. Il est établi que depuis le mois de novembre 2016, le droit des prévenus à se faire assister par un avocat existe au Sénégal. Le code de procédure pénal, révisé à cette date, dit que « l’officier de police judiciaire informe la personne interpellée de son droit de constituer conseil parmi les avocats inscrits au tableau ou admis en stage. Mention de cette formalité est faite obligatoirement sur le procès-verbal d’audition à peine de nullité ». Mais les avocats n’ont jamais pu assister leurs clients au niveau de la DIC au moment de l’enquête.
Il y a eu aussi l’exception demandant l’annulation de l’ordonnance de renvoi – document par lequel le juge d’instruction ordonne que les personnes inculpées soient présentées devant un tribunal – parce qu’elle a été rendue dans l’irrespect des procédures.
Une autre exception non examinée par le juge porte sur la levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall. Le maire de Dakar, selon les dispositions réglementaires de l’Assemblée nationale, aurait dû être libéré dès qu’il a été élu député. En effet, depuis le 14 août 2017, par décision N°5/E/2017 du Conseil constitutionnel, Khalifa Sall est officiellement député par le truchement du suffrage universel. Par conséquent, en vertu des dispositions de l’article 61 de la Constitution, en son premier alinéa « Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »
Dès lors, il était devenu illégal de le maintenir en prison. A cela s’ajoute le règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui stipule en son article 51 que «…Le député est couvert par l’immunité à compter du début de son mandat qui prend effet dès la proclamation des résultats de l’élection législative par le Conseil Constitutionnel. Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée… » Toutes ces exceptions, le juge les a jointes au fond, histoire de laisser les parties en conflit en découdre à travers leurs plaidoiries.
Procès politique
Khalifa Sall, c’est l’homme à abattre politiquement. D’ailleurs, l’aspect politique du procès a poussé le maire de Dakar, dans sa déclaration préliminaire, à dire que « l’objet de ce procès est de mener un combat politique contre un adversaire politique». Il s’est vu recadrer par le président du tribunal, Malick Lamotte, qui a précisé que « le tribunal est saisi de faits et non de personnes et il n’a aucune compétence pour juger un fait politique ».
Hélas, point n’est besoin d’aller loin pour savoir que le procès de Khalifa Sall est un procès politique avec un habillage judiciaire. Et hélas pour lui, le juge Lamotte aura à trancher un différend politique qui oppose le président Macky Sall eau maire de Dakar, Khalifa Sall. Si on analyse certains faits, on se rendra compte dans ce procès que la personne de Khalifa Sall intéresse plus que les faits dont parle le juge Lamotte. Depuis l’enquête, en passant par l’arrestation de Khalifa, l’instruction jusqu’au procès, l’exécutif s’est toujours exprimé sur cette affaire transmise au judiciaire. D’ailleurs, c’est le ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall qui avait annoncé en exclusivité la tenue du procès lors de son passage à l’Assemblée nationale pour le vote de son budget. Et ce, au moment où plusieurs recours avaient été formulés par les conseils du maire de Dakar.
Quant à son prédécesseur Sidiki Kaba, il avait dénié à Khalifa Sall une quelconque immunité parlementaire. Paradoxalement, le ministère public avait adressé, quelques jours après cette déclaration, une correspondance à l’Assemblée nationale pour demander la levée de cette même immunité parlementaire que le ministre de la Justice déniait à Khalifa Sall.
Les pouvoirs judiciaire et législatif instrumentalisés
De l’alpha à l’oméga de ce procès, on retrouve le pouvoir exécutif (Macky Sall) qui a utilisé les pouvoirs judiciaire et législatif, l’Inspection générale d’Etat (IGE), la police, l’administration judiciaire, les députés de Bennoo pour neutraliser un adversaire politique. C’est l’IGE, logée à la présidence de la République qui a reçu l’injonction de fouiner dans la gestion du maire de Dakar. Et voilà qu’au bout de 18 mois de contrôle, les vérificateurs dont le chef de mission n’était autre qu’Abdoul Kader Camara, actuel secrétaire général du Haut conseil des collectivités territoriales dirigé par Tanor Dieng, ont produit un rapport qui est à la base des poursuites à l’encontre de Khalifa Sall.
Entre le 21 février 2017 (passage à la DIC) et le 07 mars (passage devant le doyen des Juges), le sort de l’édile de Dakar et de ses collaborateurs était plié. Seuls les deux percepteurs municipaux, membres de l’APR, ont été épargnés alors qu’ils devaient être soumis à un débet étant donné que leur responsabilité première dans cette affaire de la caisse d’avance est entièrement établie.
Pour étayer le caractère politique de ce procès, il faut rappeler que le 25 février 2013, dans une longue interview au journal Le Quotidien, Mbaye Ndiaye, ex-ministre de l’Intérieur et directeur des structures de l’Alliance pour la République (APR), prévenait le maire de Dakar en ces termes : « qu’il rejoigne l’APR s’il veut rester maire. Je suis convaincu qu’il aurait pu le faire s’il avait une lecture de responsabilité de la réalité politique. Le Président Macky Sall en a pour dix ans. » De tels propos émanant d’un ex-ministre de l’Intérieur qui a les renseignements étaient loin d’être anodins. Le combat politique contre le maire socialiste de Dakar socialiste qui avait commencé à prendre ses distances de la mouvance présidentielle, avait commencé lors du lancement officiel de l’Acte III de la Décentralisation le 19 mars 2013.
Une réforme qui le dépouillait de ses prérogatives de Super-maire de Dakar. Ce n’était pas tout puisque, par la suite, beaucoup d’actes ont été posés par le pouvoir pour bloquer le fonctionnement de l’institution municipale : veto de l’Etat à l’emprunt obligataire de 20 milliards émis par la mairie de Dakar et qui bénéficiait des garanties d’un organisme américain, arrêt du programme de pavage lancé par la même mairie au prétexte qu’il favoriserait… les inondations !, retrait de la gestion des ordures à la mairie pour être confiée au ministère des Collectivités locales, blocage du projet de rénovation de la place de l’Indépendance… Et la récente sortie de Seydou Guèye, secrétaire général du gouvernement et porte-parole de l’APR dans le journal L’Observateur du 13 février dernier, trahissait une certitude de condamnation imminente du député-maire de la capitale concoctée dans les officines du Palais. « Il sortira une vérité judiciaire de cette affaire qui, pour moi, reste une affaire de droit commun, loin des conjectures qui visent à la requalifier comme une affaire politique» a-t-il martelé dans le journal de Youssou Ndour.
Et le lapsus révélateur du procureur Serigne Bassirou Guèye, qui a déclaré au dernier jour du procès qu’« à la Chambre d’accusation, trois magistrats du siège et d’autres magistrats, dont l’un est présent dans cette salle, ont tous été convaincus du sérieux de dossier du principal prévenu » est venu conforter le caractère conspirationniste de ce procès.
Ainsi la politique a plané tout au long de ce procès même si l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE), le procureur de la République, les avocats et le juge Lamotte ont soutenu l’inverse. D’ailleurs la somme de 6 milliards 800 millions demandée par l’AJE comme réparation des préjudices moral et matériel qu’aurait subi la Ville de Dakar atteste de la volonté manifeste de l’exécutif de bloquer toute participation de Khalifa Sall à la prochaine présidentielle. Demander à quelqu’un presque 7 milliards alors qu’il n’est pas en mesure de payer une caution de 1,8 milliard, c’est lui poser la guillotine sur le cou pour l’assassiner politiquement. C’est dans la même veine que s’inscrivent la peine carcérale (7 ans) et l’amende demandées (5 milliards 490 millions) par le Procureur.
Les partisans et défenseurs du maire pessimistes
A dire vrai, plusieurs partisans du maire de Dakar et observateurs de la vie politique ne se bercent guère d’illusions sur la prochaine sentence de ce procès. Pour eux, la cause semblerait déjà entendue. Un homme probe et propre va être injustement condamné car l’arbitraire est érigé en règle au Sénégal quand il s’agit régler des comptes politiques. La multiplicité des chefs d’accusation comparable à une auberge espagnole apporte une fois de plus la preuve que c’est l’homme politique qui intéresse plus que les faits qui lui sont reprochés. Sinon comment comprendre que les prédécesseurs de Khalifa Sall à la mairie de Dakar, qui ont usé voire abusé des fonds politiques, n’aient jamais fait l’objet de poursuites judiciaires ?
«Notre justice a été aveugle, sourde et très étourdie. Mon client est victime d’un plan politique de liquidation visant à freiner ses ambitions politiques. Ainsi, tout ce cirque a été déroulé pour empêcher un citoyen d’exercer convenablement ses droits », déplorait Me Clédor Ciré Ly, la nuit du 7 mars 2017 où Khalifa Sall venait d’être inculpé et placé sous mandat de dépôt par le doyen des juges Samba Sall. « Les plaidoiries les plus éloquentes échouent sous le mur d’un dossier partisan » avait conclu, pessimiste, Me Ly. Ainsi, en dépit des assurances du juge Lamotte sur la sentence juste qui sera donnée le 30 mars, il appert que Khalifa Sall n’échappera pas à une peine d’inéligibilité. Ce même si l’on souhaite se tromper.
Pour nombre d’observateurs, la Justice au Sénégal n’est plus qu’une fiction, l’institution ne brillant guère par son indépendance. Ce qui compromet l’Etat de droit. Avec ce procès, on ne rend pas la justice, on rend un service à Macky Sall pour empêcher Khalifa Sall de lui barrer la route à la prochaine présidentielle. C’est ce qui explique cette double interrogation du député-maire de Dakar dans la déclaration qu’il a fait diffuser à l’issue du procès : « Devrais-je aller en prison uniquement parce que le président de la République le veut ? Devrais-je être déchu de mon droit d’être candidat parce que Macky Sall ne veut pas que Khalifa Ababacar Sall devienne son adversaire en 2019 ? » La réponse à ces questions sera tributaire de la sentence du juge Lamotte le 30 mars prochain.