L’ART DE PERDRE A TOUS LES COUPS
LE SALUT PUBLIC
J’ai tendance, généralement, à croire que les hommes et femmes sont de bonne foi sur les positions qu’ils prennent, dans les engagements auxquels ils souscrivent et les batailles qu’ils mènent. D’où, peut-être, une certaine clémence vis-à-vis des défections du genre humain devant la difficulté, mais aussi une propension à me refuser au «tout ou rien», et à réduire les problématiques auxquelles le monde, régulièrement, fait face, à la trop simple équation du «on est pour, ou on est contre».
Cependant, aujourd’hui, sans que jamais cela risquasse me conduire au radicalisme, je vais dire mon étonnement, et pour cause, devant l’attitude d’une certaine catégorie de personnalités, d’organisations
et de groupes plus ou moins organisés face à la question du référendum du 20 mars prochain.
Je veux parler ceux qui, depuis les Assises nationales, se sont battus bec et ongles pour « faire avancer notre démocratie », sur beaucoup de points, notamment, la limitation de la durée et du nombre des mandats présidentiels ; et qui, aujourd’hui, appellent avec la même détermination à voter «Non» aux propositions de réformes constitutionnelles souhaitées par le président de la République. Or, lesdites réformes proposent la limitation des mandats présidentiels à deux, pour une durée de cinq ans chacun, «disposition non révisable» dit le texte soumis à notre approbation. C’est-à-dire qu’à partir du 20 mars, si les Sénégalais sont d’accord, tous ceux qui se battaient pour ça «par principe» -c’est ce qu’on a souvent entendu dire-, devraient s’en réjouir. Or, c’est les mêmes - pas tous ; heureusement, pour que je continue à me croire nanti du minimum de bon sens – qui disent qu’ils vont voter «Non», le 20 mars. Je fais l’économie d’autres points sur les quinze ou quatorze que tous considéraient aussi comme devant «faire avancer notre démocratie».
Raisonnons donc … Que dis-je, spéculons : Le 20 mars, leur «Non» l’emporte. Et voila ! Dès qu’ils ont gagné, ils auront perdu ! Parce qu’ils auront laissé filer pour longtemps, peut-être définitivement, ce pourquoi, depuis les Assises nationales, depuis donc cinq ou six ans, ils se seront battus. Ça serait vraiment ce qu’on appelle «lâcher la proie pour l’ombre» ; à moins que la vraie proie, pour eux, ne soit Macky Sall sur son fauteuil et que «faire avancer la démocratie» ne fût que l’ombre sur-agitée sous nos yeux de gogos présumés…
Car voici ce qui arrivera si le «Non» l’emporte : Il n’y aura plus de réformes constitutionnelles telles que souhaitées par M. Macky Sall. Ce dernier termine alors son mandat de 7 ans, et rempile si les Sénégalais le réélisent, pour sept autres années ; totalisant ainsi 14 ans de Présidence. Mais spéculons encore : un autre candidat gagne l’élection de 2019 pour devenir président de la République. Ce que ce dernier a gagné, c’est aussi un mandat de 7 ans, parce que rien n’avait été changé le 20 mars 2016, trois ans auparavant quand on en avait l’opportunité.
On tourne en rond. Ce nouveau président, successeur de M. Macky Sall, s’était-il ou non engagé, candidat, à réduire la durée du mandat présidentiel pour se l’appliquer immédiatement ? Cela n’aura aucune incidence sur le cours de l’histoire. Car il rencontrera les mêmes difficultés que M. Sall, peut-être même plus, parce qu’il butera sur «l’autorité de la chose jugée» s’il veut réduire son mandat «en cours». Le même Conseil constitutionnel, qui avait estimé l’affaire infaisable en 2016, ne pourra valider aucune proposition de référendum sur ce point, parce qu’elle sera confrontée à sa propre jurisprudence qui avait refusé la rétroactivité. Et on en sera encore à tourner en rond, cherchant comment «faire avancer notre démocratie». –Heureusement, les tenants du «Non», peuvent se consoler à l’idée que le «Oui» pourra tout aussi bien l’emporter le 20 mars…
Sauf si faire sauter Macky Sall de son fauteuil - et au plus vite- était leur objectif premier, et non «faire avancer la démocratie sénégalaise», ceux qui veulent voter «Non» devraient réfléchir avant de jeter ces réformes aux poubelles… - Bien sûr, ça commence à être aussi visible qu’un nez sur le visage, certains finauds opposants entendent faire de ce référendum une sorte de répétition pour la Présidentielle, une manière de test plutôt, pour mesurer la popularité de l’actuel occupant du palais, deux ans avant l’échéance. C’est faire un usage quelque peu cavalier de la consultation populaire la plus noble en démocratie –là où le peuple exerce sa souveraineté sur la loi fondamentale-, mais ça reste un défi politique pour le régime de Macky Sall et ses alliés. A eux de le relever.
Post-scriptum : Si on votait«Oui» au référendum, la démocratie avancerait indubitablement.
Depuis Abdoulaye Wade, opposant historique du parti socialiste, le «statut du chef de l’opposition» est une revendication politique récurrente –Abdoulaye Wade lui-même, devenu chef de l’Etat, n’a pas vraiment voulu y souscrire-, on peut obtenir cela le 20 mars ; les candidatures indépendantes à toutes les élections ont toujours donné des urticaires aux pouvoirs successivement en place, qui n’en ont jamais voulues, l’actuel chef de l’Etat nous les propose dans un mois, le 20 mars ; sans être un féru du droit –je m’en méfie même un peu à cause des inextricables problèmes qu’il pose à ma logique- il me semble que la possibilité offerte de saisine de la Cour suprême après la Cour d’appel, pour juger de la constitutionnalité d’une loi, est aussi un pas en avant vers plus de protection juridique des justiciables. En attendant d’autres pas en avant pour notre système démocratique…
C’est comme ça et pas autrement, un pas devant l’autre, que les USA, la Suisse, La France, etc., sont devenus ces démocraties où personne ne discute plus les avis des instances équivalentes à notre Conseil constitutionnel. C’est à ça qu’il nous faut arriver très vite, et ce ne sera jamais en allant plus vite que la musique – c’està-dire en faisant passer nos propres envies avant les avis de telles instances !