LE COMPLOTISME, FLÉAU DE NOTRE ÉPOQUE
Les individus foudroyés par les grands bouleversements sociaux et sociétaux et les petites tensions du quotidien sont à la quête de sens dans une époque qui n’en offre guère
Avec la crise du coronavirus, les théories les plus farfelues ont émergé sur la nature de la maladie, voire son inexistence, rendant d’ailleurs difficile au début l’adoption de mesures d’endiguement. Face aux milliers de morts, au marasme économique, aux hôpitaux dépassés, au personnel soignant dévasté, les autorités publiques s’acharnaient à convaincre de la réalité du Covid-19. Ce nouveau coronavirus est un puissant dénominateur de théories conspirationnistes, de la part de militants, de leaders religieux et d’hommes politiques.
La négation de la maladie et l’appel à la poursuite des activités ont mis en danger des millions de gens et propagé le virus. Luc Montagnier, codécouvreur du virus du sida, a grossi les rangs des complotistes en soutenant que le Covid-19 résultait d’une fabrication humaine en laboratoire à partir de molécules du Vih. Ces propos, contestés par tous les spécialistes, dont notamment la virologue Françoise Barré-Sinoussi, ont malgré tout ragaillardi les adeptes des théories du complot par le fait qu’ils venaient d’une sommité du monde médical.
La philosophe et psychanalyste française, Cynthia Fleury, a fait un travail remarquable sur les théories du complot. Selon elle, «le complotisme, c’est le récit parfait pour ce grand temps d’incertitude. Il vient sécuriser par le pire». Nous vivons une ère complexe. Les individus foudroyés par les grands bouleversements sociaux et sociétaux et les petites tensions du quotidien sont à la quête de sens dans une époque qui n’en offre guère.
Tiraillés par les incertitudes, les fabricants et les adeptes des théories du complot apportent des réponses simplistes à des questions complexes. Ils retranscrivent une incertitude, une obsession de l’explication de phénomènes qui n’en ont pas forcément. Sur les rapports de domination, les enjeux politiques, les inégalités, tout renvoie à une mécanique construite autour de secrets cachés quelque part, qu’il faut éventer. Le récit complotiste a ses marronniers : les francs-maçons, les Juifs, «les lieux de domination du monde», les prétoires…
Tout y passe, s’il parvient à apporter des réponses, à expliquer par une rhétorique construite qui égrène une litanie de faits inventés mais qui semblent avoir du sens. Le complotisme est un refus de la complexité, de l’érudition, de la recherche, du travail sérieux et de la sobriété. Le doute, la nuance, la rigueur ne font pas partie du champ lexical du complot. Les théories conspirationnistes foisonnent et ciblent notamment les jeunes, les seniors et malheureusement tous ceux à qui nos politiques publiques n’ont pas su accorder un droit élémentaire : l’éducation, qui forge l’esprit et l’arme contre tous les excès coupables.
En vérité, -et ceci est tragique- aucune catégorie socio-professionnelle n’y échappe. Internet est un outil fabuleux. Mais le clic et les raccourcis faciles qu’il génère offrent un terreau fertile à l’explication saugrenue afin de trouver une réponse aux questions que les citoyens se posent. Tout ceci nourrit la défiance vis-à-vis des élites que les complotistes assimilent à une caste qui complote contre les citoyens en lien avec d’obscures organisations. Ce qui m’inquiète dans notre époque, c’est le basculement de l’information qui s’opère par la faute de médias coupables de légèreté. Avant, le discours complotiste, qui faisait face au tri nécessaire des médias, était restreint dans les milieux alternatifs, portés par des «dissidents», comme ils aiment à s’appeler sur les réseaux sociaux. Mais de plus en plus, les théories les plus loufoques deviennent virales et arrivent dans les médias mainstream, à la télévision, à la radio et donc s’imposent aux citoyens. Récemment, le documentaire conspirationniste Hold up, qui considère que la pandémie est un complot planétaire, a fait le tour des médias.
Arrimé aux fake news et aux faits alternatifs, le complotisme génère un danger pour les démocraties, notamment les plus fragiles comme les nôtres en Afrique. Ces pratiques nouvelles sont des trappes dans lesquelles chaque grossièreté en charrie une autre plus loufoque, mais devient plausible. Des discours pullulent sur la nocivité des vaccins, la dangerosité des masques, la responsabilité de Bill Gates dans l’inoculation du virus Covid-19, la promotion d’un eugénisme mondial, la toxicité du gel hydro-alcoolique, etc. Aucune limite n’est envisageable à l’heure actuelle. Et pire, comme le souligne Cynthia Fleury, en matière de théorie du complot, «On ne peut pas contre-argumenter : tout signe vient renforcer la thèse émise».