LE DERNIER SPRINT
Qui croire ? D'un côté, il y a une forte personnalité, 82 ans, icône du sport mondial, figure dans son pays, et de l'autre une vaste entreprise de "restauration des valeurs du sport". Le Sénégal est tombé des nues quand un influent journal français s'est laissé aller. Grosso modo, c'est "Le Monde". Dans un retentissant et controversé article, ses journalistes disent que Lamine Diack a financé la campagne électorale de Macky Sall en 2012, alors que ce dernier faisait face à Me Abdoulaye Wade.
Le président Diack a actuellement maille à partir avec la justice en Europe à cause de supposés financements occultes d'origine russe, dans le sillage d'une vaste campagne qui touche la plupart des dirigeants des instances sportives mondiales. Naturellement, l'opposition a repris l'affaire au vol et dénoncé, sans prendre de gants, "le financement des campagnes de Macky Sall par l'argent sale et par des puissances étrangères qui ne pouvaient pardonner à Abdoulaye Wade de défendre d'abord les intérêts de notre pays ", disent-ils.
"L'argent sale, l'argent de la triche, l'argent du dopage dans l'athlétisme, (...) est au cœur des différentes campagnes de Macky Sall. Cet argent a financé sa campagne pour les élections municipales et locales de 2009, comme il a financé sa campagne pour l'élection présidentielle de 2012", soutient le Pds.
Mais qu'en est-il réellement ? Le ton du communiqué du Pds vient de Versailles (et cela n'étonne personne) car Lamine Diack a toujours été un grand contradicteur du Pds. N'eussent été des pressions familiales, il se serait présenté à l'élection présidentielle de 2012. Car il a toujours revendiqué une adversité face au Pape du Sopi. Maintenant que Lamine Diack est rattrapé par des affaires judiciaires, les libéraux ne pouvaient se priver de régler des comptes.
L'argent Sall
Car l'ancien président de la Fédération internationale d'athlétisme (Iaaf ) a beaucoup de comptes à régler. Politiques comme sportifs. Il fait partie de ceux qu'on a appelés "les barons" du Parti socialiste. Durant de longues années, il a incarné avec son prédécesseur à la mairie de Dakar, Mamadou Diop, la vision socialiste dans la capitale. Lors des émeutes de 1993, sa résidence sise sur les Allées Seydou Nourou Tall a été incendiée. Ce sera le glas de sa carrière politique car il estimera alors n'avoir pas été justement soutenu par le président Abdou Diouf et par celui qui venait de prendre les commandes du Ps, un certain Ousmane Tanor Dieng.
Dans les faits, la nomenklatura socialiste de l'époque avait jeté son dévolu sur Mamadou Diop, alors que sa forte personnalité dérangeait en haut lieu. Enfant de Rebeuss, c'est l'un des plus grands sportifs sénégalais. Secrétaire d'Etat sous le régime de Senghor, il a initié la plus grande des réformes du foot sénégalais en 1969. Sportif mais aussi brillant fonctionnaire.
Ce qu'il n'a pas eu au Ps, Lamine Diack va aller le chercher là où il a toujours performé. Sur les pistes et les instances de décision. Et après, les années venant, en bon baron, à Monaco où il a dirigé pendant plus d'une décennie l'athlétisme mondial, il s'était reclus, n'hésitant pas à dire son fait aux dirigeants alors du Sénégal. Si une partie de l'opposition le raille actuellement, c'est que Lamine Diack a pris une part active dans le processus démocratique qui a conduit à l'alternance de 2012. Il ne s'en cache pas, il a aidé et parrainé des mouvements politiques et de la société civile qui étaient à la Place de l'Obélisque pour dire non à ce que l'on a appelé "la dévolution monarchique du pouvoir".
Des étonnements se créent à propos de la concomitance des déboires judiciaires de plusieurs organisations sportives internationales. Mais Lamine Diack n'est pas Platini ou encore Blatter.
Un élan global se crée dans le pays à propos du traitement concédé à celui qui a quand même fait des "aveux" de taille. Quand il dit aux enquêteurs qu'il a effectivement cherché et obtenu des financements pour des organisations politiques dédiées à la chute du régime de Me Wade, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Mais il n'a jamais soutenu que ce fut au bénéfice de l'Apr. Qui d'ailleurs pensait que ce serait Macky Sall qui allait les coiffer au poteau ? Par contre, ses connexions avec des organisations de la société civile, engagées dans les fameux combats de 2012, sont de notoriété publique. Cette affaire intervient dans un contexte de dénigrement des dirigeants des organisations sportives mondiales. L'argent et le sport n'ont jamais fait bon ménage. Et c'est apparemment le dernier sprint pour l'ancien hurdler.