LE DILEMME DES TROIS PRISONNIERS POLITIQUES
EXCLUSIF SENEPLUS - Malgré les démentis de la majorité présidentielle, Macky laisserait entendre à ses interlocuteurs que ce sont les partenaires du Sénégal qui ont exigé l’incarcération de Karim. Il veut voir ce dernier et Khalifa dans son camp
(Les 1ères vérités sur la commission politique du Dialogue national)
Dans les cours de récréation, Macky Sall excellait à la balle aux prisonniers (jeu de sport où l’on élimine les joueurs en les touchant avec un ballon) ! Si, si, si…Je l’imagine en bon tacticien, cibler ses adversaires les plus dangereux et ensuite se camoufler derrière ses coéquipiers durant toute la partie. A la fin, il ne restait que lui, le grand vainqueur ! Tous les autres avaient été faits prisonniers.
Essayons ensemble de comprendre les règles particulières de la balle aux prisonniers telles que ficelées par Macky Sall depuis 2012. Et qui, aujourd’hui, ankylosent la vie politique sénégalaise au dam du développement.
La démocratie asymétrique salliste. L’élimination par l’élection est le pivot de la vie démocratique. L’élimination faisant suite à la privation des droits civiques au titre de la lutte contre la corruption, n’a rien non plus d’alogique. Le jeu de la balle aux prisonniers concorde avec élimination.
Mais avec Macky Sall, plus de ballons, en lieu et place des marteaux des juges pour Khalifa Sall et Karim Wade et du parrainage pour les plus petits candidats ! Ce qui en l’espèce incommode, c’est la violation caractérisée de l’Etat de droit. Le contre-pouvoir de la justice, à fortiori celui exercé par la Cour suprême et le Conseil constitutionnel, ne s’actionne pas. Une violation des droits pour des motifs politiques ne se solutionne pas au niveau judiciaire. C’est en tous les cas la version démocratique de Macky Sall, sans opposition et sans contre-pouvoirs. Sa justice n’innocente pas à posteriori, y compris lorsque les juridictions internationales ont dédit ses juges ! Les contre-mesures de ses adversaires sont étouffées dans l’œuf, à l’exemple de la révision judiciaire.
L’assurance tous risques salliste. Le jeu de la balle aux prisonniers n’élimine pas définitivement les adversaires. Il leur est offert la liberté de revenir à tout moment dans la partie à condition d’avoir la balle. Macky Sall s’était arrangé à éliminer irréversiblement Khalifa Sall et Karim Wade par la privation de leurs droits civiques. C’était pour s’assurer un deuxième mandat. Pas de balles pour les deux célèbres K ! Pas de retour programmé en conséquence !
Macky Sall a toutefois une stratégie assez complexe de la balle aux prisonniers. Les règles de jeu varient dans le temps selon ses intérêts fluctuants. Le Dialogue national nous le dévoile ainsi que les coulisses de la commission politique. Malgré les démentis de la majorité présidentielle, le président encourage discrètement le retour des prisonniers dans l’aire de jeu. Il laisserait entendre à ses interlocuteurs que ce sont les partenaires du Sénégal qui ont exigé l’incarcération de Karim Wade. Comme pour se dédouaner ! Quid de Khalifa Sall ?
L’amnistie des deux plus célèbres prisonniers du Sénégal est bel et bien l’arrière-boutique du Dialogue national ! Tout le reste ne serait que littérature ! Le non-cumul de chef de parti et de président de la République, la fixation d’un délai de réponse de l’autorisation administrative en cas de manifestation, la suppression de l’arrêté Ousmane Ngom, la création d’un observatoire de la démocratie, sont des propositions de façade !
Le Dialogue national fournirait un bon prétexte pour faire valider le retour de Karim Wade auprès des partenaires du Sénégal hostiles à cette idée, mais aussi pour obtenir en échange la participation des 2 k (Karim et Khalifa) à un gouvernement de majorité élargie. Toutes les autres personnalités comme Oumar Sarr, sont du menu fretin aux yeux de Macky Sall !
Le président obtiendrait ainsi la paix sociale indispensable à son plan d’émergence, l’amnistie pour lui et peut-être pour ses troupes ; et renforcerait sa majorité présidentielle face à la menace grandissante de Sonko. Avec cette acquisition des deux K, il emporterait par ailleurs un carnet d’adresses d’investisseurs, la ville de Dakar et une compétence technique qui fait défaut à ses gouvernements successifs.
Macky Sall lui aussi prisonnier politique. Depuis deux semaines, au sein de la Commission politique, les tensions sont vives entre la majorité et l’opposition. Cette dernière a réussi à remettre in extremis le sujet de l’amnistie sur la table. Cette fois-ci, la question est abordée sous un vocable velouté de restauration des droits civiques de Khalifa Sall et de Karim Wade. Les deux prochaines semaines nous édifieront sur leur sort. L’opposition mettra-t-elle à exécution sa menace de se retirer du Dialogue national en cas d’absence de consensus ? La majorité présidentielle feignant d’être réfractaire à prime abord, s’est laissé convaincre par l’opposition que des millions d’électeurs ne sauraient être laissés « orphelins » de leurs leaders.
C’est un jeu de dupe ! Les ficelles sont tirées depuis le palais de Roume. Macky Sall ne s’attendait pas à l’intransigeance et à la droiture de Karim Wade et de Khalifa Sall. Des procédures judiciaires contre l’Etat sénégalais sont toujours en cours. D’aucuns pensent toutefois que ces deux prisonniers éliminés ne seraient pas assez joueurs, qu’ils ne se comporteraient pas assez en homme politique mais plutôt comme citoyens lambda revendiquant le respect de leurs droits !
Pour Macky Sall, les chantiers sont à l’arrêt comme le TER et la passe d’armes entre les autorités sénégalaises et l’ambassadeur français révèle son impatience et sa pulsion de vouloir tout maîtriser. Jusqu’au destin politique de ses anciens prisonniers ! Macky Sall joue gros jeu ! S’il perd la nouvelle partie de la balle aux prisonniers, cela risque de l’anéantir. Seulement, il est déjà prisonnier de sa stratégie de son premier mandat et de ses éliminations intempestives de Karim Wade et de Khalifa Sall. La balle aux prisonniers version Macky Sall s’inspire du passé politique : emprisonnement suivi de tractations…N’est-ce pas là son principal défaut ? Le Sénégal n’est-il pas en train de changer ? Les politiques en prennent-ils vraiment conscience ?
Les équations sont tout aussi complexes pour les deux autres prisonniers. Comment revenir ? Au fond d’eux, comme Edmond Dantès, ils rêvent de prendre leur revanche sur Macky Sall. C’est précisément ce que ne veut pas le maître du jeu actuel ! Dans cette nouvelle partie de la balle aux prisonniers, Macky Sall veut voir Khalifa Sall et Karim Wade dans son camp. Dans les deux partis politiques des deux K, cela se tiraille autour des options stratégiques. Ce qui est sûr, c’est que leurs tactiques ont plusieurs facettes : celles apparentes, celles en cachette. Peut-être le Dialogue national sera-t-il une occasion ratée ! Mais la partie est loin d’être finie et les règles du jeu peuvent à tout moment changer selon la forme politique des trois prisonniers et la situation très instable du Sénégal !