LE PARRAINAGE EN QUESTIONS !
Comment peut-on organiser un référendum gagnant pour garantir la stabilité de l’Etat de droit et revenir deux ans après pour en saper les fondamentaux ? - Si les dispositions relatives au mode d’élection sont désormais intangibles, pourquoi les modifier ?
La question du Parrainage intégral s’est invitée par effraction dans la politique sénégalaise comme un coup de pistolet, au milieu d’un concert populaire, suscitant un désordre indescriptible !
De nombreuses voix se sont élevées pour exprimer de sérieuses réserves face à ce qu’elles considèrent comme une violation flagrante des dispositions constitutionnelles actuelles et un recul notoire de la démocratie. Contrairement à l’esprit d’une tradition républicaine qui privilégie le dialogue et les consensus dynamiques, la décision du Gouvernement de soumettre à l’approbation de nos Honorables Députés un texte de loi portant sur une modification qui change complétement les modalités des différentes élections ne s’est pas faite dans la plus grande concertation.
Pourtant, le référendum du 20 mars 2016 s’était donné comme ambition de « verrouiller » un certain nombre de dispositions constitutionnelles sensibles, de façon à les mettre définitivement à l’abri de modifications partisanes et instrumentales, surtout à l’approche d’élections.
Et voilà, le projet de loi envisagé n’est pas du goût de l’opposition, encore moins d’une bonne frange de la société civile. Il divise, en ce moment, plus qu’il n’unit.
Comment peut-on organiser un référendum gagnant pour garantir définitivement la stabilité de l’Etat de droit et nous revenir deux années plus tard pour en saper l’esprit et les fondamentaux. Voilà ce que dit le quinzième point du référendum adopté par le peuple : « 15. L’intangibilité des dispositions relatives au mode d’élection, à la durée et au nombre de mandats consécutifs du Président de la République ».
C’est du français. Si les dispositions relatives au mode d’élection sont désormais intangibles, pourquoi alors les modifier ?
Le point 7 du Référendum adopté était lui aussi porteur de grandes promesses : « 7. Le renforcement du droit de l’opposition et de son chef ». Ce projet de loi est-il une œuvre consensuelle ? Le droit de l’opposition à manifester sa réprobation dans les formes républicaines acceptées par la Constitution et les lois en vigueur sera-t-il respecté ?
En attendant les réponses à de telles interrogations, osons croire que le président de la République - pas forcément le secrétaire général du parti - saura garder la hauteur qui sied à sa posture d’arbitre pour ne pas prendre position dans un tel débat.
Nous avons pris acte de la demande de son parti d’appuyer le projet de modification envisagé. Mais, sur cette question précise, il faut savoir que les Sénégalais ne parlent plus désormais au nom de leurs partis mais simplement en tant citoyens pour défendre la République ! Et, le citoyen ne doit avoir qu’un modèle, la vérité, qu’un guide, sa conscience.
En tout état de cause, l’analyse critique du projet de loi envisagé sur le parrainage laisse entrevoir de nombreuses distorsions à la logique cartésienne. Au-delà des incongruités manifestes qui indisposent, on note une série de ruptures épistémologiques qui irritent la logique discursive.
C’est d’abord que la révision constitutionnelle envisagée veut rendre le parrainage intégral pour toutes les candidatures à toutes les élections présidentielle, législative, départementale et communale. Dans son principe, il dispose que désormais tout candidat, parti ou coalition de partis devra collecter les signatures d’au moins 1% (présidentielle et législative) ou 2% (départementale) 3% (communale ) du fichier général des électeurs pour faire valider sa candidature. Il ajoute qu’une partie des électeurs doit provenir de sept régions différentes pour les présidentielles ou de la moitié des communes constitutives du département, etc.
Avec la généralisation des cartes d’identité biométriques combinées aux cartes d’électeurs, le projet de révision part du postulat que tous les détenteurs de cartes d’identité sont des électeurs potentiels. Le vote n’est pas obligatoire au Sénégal. On peut donc disposer d’une carte d’identité sans faire le choix de voter. Or le nombre d’inscrits est assimilé au nombre de détenteurs de la pièce d’identité. Il s’y ajoute que les procédures d’inscription sur les listes électorales sont en cours. A la date de leur bouclage, de quel temps disposeront les candidats pour aller à la quête des parrains. Les structures de contrôle auront-elles assez de temps pour vérifier l’existence des doublons et des redondances car il est aussi exigé que chaque électeur ne puisse parrainer qu’un seul candidat.
En vérité, les concepteurs du projet traitent le parrain comme un votant à qui il est interdit de jeter sa carte deux fois au cours d’une même élection. Or, il est tout à fait concevable qu’un même individu puisse, sur une liste de plusieurs candidats, avoir de bonnes appréhensions sur deux ou trois d’entre eux qui lui semblent avoir les profils requis pour exercer la fonction en suffrage.
En vérité, le parrainage est plus une présomption qu’une tacite acceptation. Autrement, le triomphe du parrainage serait un suicide collectif pour les parrains qui verraient ainsi leurs présomptions se transmuer en acceptation. Leurs pensées en choix définitifs.
Ce qui est, par ailleurs, paradoxal, c’est qu’on n’a pas le droit de parrainer un autre candidat mais on a le droit de voter pour qui on veut !
Si l’acte de vote est encadré et sécurisé de façon que l’on ne puisse pas voter deux fois, il n’existe en revanche aucune disposition particulière pour empêcher le parrainage multiple. L’Etat ne s'est donné aucun moyen de contrôle pour garantir cette disposition. Quelle est alors la responsabilité du candidat dont la candidature est invalidée, si un ou plusieurs parrains présumés adoubent et parrainent un autre candidat concurrent ?
En cas de « transhumance de parrainage », lequel des deux candidats incriminé sera débouté si les mêmes noms et références de parrain se retrouvent de part et d’autres des listes ? Comment statuer sur l’antériorité des actes de parrainage ?
Et d’ailleurs, si on ne peut parrainer qu’un seul candidat à la fois, quelles dispositions ont été prises pour obliger le parrain à voter pour son candidat présumé ?
Humm ! Dans le fond, le principe du parrainage ne sera accompli que s’il est à la fois une intention et une action, un passage et un aboutissement. Ce qui nous ramène à l’équation suivante…
Si tant est que chaque candidat part à l’élection avec un acquis de 1% ( 65 000 voix par exemple), qu’est-ce qui est prévu s’il obtient la moitié des voix attendues ? Les parrains auront-ils trahi leur candidat ?
Pour que les voix obtenues au terme de la collecte des signatures soient sécurisées, les parrains ne doivent-ils pas être d’emblée exclus du vote ? Quelles sont les relations de causalités entre les services administratifs du parrainage et ceux du vote ? Sont-ils en droit de communiquer et d’échanger des informations ?
Une caution financière de plusieurs dizaines de millions est exigée pour faire acte de candidature. Cette caution est remboursée, si le candidat obtient 1% des voix pour l’élection présidentielle, 2%, 3%, 5%, etc. pour les autres types d’élections.
Cette caution financière n’est-elle pas dès lors superflue si l’on sait d’avance que la candidature validée dispose déjà du pourcentage requis pour être remboursé ?
A quoi bon dès lors de demander une caution si l’on sait d’avance qu’elle va être remboursée ? La caution tirée de la confiance des électeurs ne vaut-elle pas mieux que la caution tirée de la poche ?
Soumise comme toute œuvre humaine à la dure loi de l’imperfection, le projet de parrainage est purement et simplement à abandonner au nom des dispositions constitutionnelles actuelles.
La stabilité d’un Etat repose sur la stabilité de sa Constitution. Si les dispositions en vigueur n’étaient pas bonnes, jamais elles n’auraient porté au pouvoir l’actuel parrain du projet de parrainage. La floraison alléguée de candidatures n’est en réalité qu’une simple vue de l’esprit. Le rôle de l’Etat est précisément de se doter de moyens adéquats pour garantir la libre expression des candidatures, tout en garantissant un parfait déroulement du processus électoral.
Le Sénégal a été pendant plusieurs décennies, un modèle envié de démocratie. Si politiquement, il a connu, à un moment ou à un autre, divers soubresauts, il est demeuré un pays profondément attaché à la foi et aux valeurs de dialogue, de partage et de solidarité.
Mais, il faut reconnaître que l’intrusion soudaine de ce projet de modification de la Loi électorale, à quelques mois des élections présidentielles pose problème.
Et d’ailleurs, un simple renoncement à sa mise en œuvre pourrait permettre une meilleure mise en cohérence des synergies nationales afin que celles-ci puissent coexister, comme c’était le cas dans un passé récent, de façon harmonieuse, dans un Sénégal de paix et de justice.
Sans demander au Secrétaire Général de l’Alliance Pour la République (APR) de se dédire, le président de la République pourrait activer les mécanismes salvateurs du dialogue entre le pouvoir et l’opposition pour trouver une issue heureuse à cette menace séditieuse.
Malick Sonko est Inspecteur de l’Education
Président de l’Alliance Citoyenne pour un Développement Concerté AC/DC