LE PROCÈS DES JUGES
EXCLUSIF SENEPLUS - Le verdict que la Cour d’appel prononcera aujourd’hui a une portée symbolique - Il confirmera les soupçons légitimes sur une justice aux ordres ou donnera aux Sénégalais les raisons d’avoir foi en elle
C’est aujourd’hui en principe (on ne maîtrise plus les contours dédaléens de la justice) que la cour d’appel prononcera le verdict de ce qu’on a nommé, ici, un procès, impliquant principalement le maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall. Ce qui est ironique dans cette tragi-comédie judiciaire, c’est que l’on est davantage préoccupé par le sort de la justice que par celui de Khalifa Sall qui n’est qu’une autre victime du commanditaire de cette facétie logé au Palais de la République.
Le juge Kandji et sa clique ne décideront pas du destin de Khalifa Sall. C’est celui de la justice qu’ils détermineront. Elle a accoutumé les Sénégalais à un climat de suspicion, quelquefois de révolte. Elle répugne plus qu’elle ne rassure. Elle agresse plus qu’elle n’arbitre. C’est cela la réalité tragique sous le magistère de Macky Sall. Dans une République organisée et respectueuse des libertés, ce dernier n’aurait pas eu besoin de menacer, comme il l’a fait hier, ceux que ses juges oppriment et qui montrent leur insatisfaction fondée. Mais, on le comprend. Quand le moi du jouisseur s’abandonnant au rêve d’un second mandat est exalté par de vieux briscards sans vergogne à la manière des courtisans repus de leur indignité et qui ont mis leur fierté dans leurs poches, le tyran peut se permettre toutes les exubérances de paroles. Et même quelques pas de danse…au moment où on touche le fond de l’abîme.
Cependant, les juges doivent être loin de toutes ces interférences grotesques pour retrouver la sérénité. Karim Wade, de son exil politique, se plaint d’une justice aux ordres. Il est aujourd’hui, face aux dérives monarchiques du président de la République et de son accotoir judiciaire, contraint de saisir « toutes les juridictions internationales pour faire respecter ses(mes) droits fondamentaux ». Le pseudo procès de Khalifa Sall a donné une image dévalorisante du Sénégal dans le monde comme auparavant celui du fils de Wade avait montré des signes inquiétants d’une justice partiale. A chaque étape du procès, les Sénégalais ont espéré un sursaut d’orgueil des juges. Car les enjeux que comportent leurs décisions sont importants. Ils charpentent notre récit d’aventures collectives.
La démission du juge Dème invitait à une introspection profonde de ses collègues. Aussi, les sorties du président de l’Union des magistrats du Sénégal reconnaissant, de manière euphémique, quelques problèmes, doivent impulser une réflexion tendant à couper le cordon ombilical entre l’exécutif et le judiciaire. Mais, le plus essentiel reste les vertus que chérit celui qui rend la justice et la parfaite conscience de sa charge qui, au-delà des individualités soumises à son autorité de juge, accomplit la destinée de toute une communauté. Et la relation de confiance est un des fondements de cet édifice de construction sociale. Malheureusement, la justice sénégalaise ébranle les certitudes sur sa probité, sa sincérité, sa capacité à faire abstraction de la boulimie de puissance du chef de l’Etat, Macky Sall.
Le verdict que la Cour d’appel prononcera aujourd’hui a une portée symbolique. Il confirmera les soupçons légitimes sur une justice aux ordres ou donnera aux Sénégalais les raisons d’avoir foi en elle. Monsieur le juge Kandji, sachez qu’il ne s’agit pas, ici, du procès de Khalifa Sall que le peuple a disculpé mais bien de celui de votre corporation accablée par les âmes éprises de justice. Vous en sortirez grand si vous écoutez votre conscience, si vous prêtez une oreille attentive à toutes les récriminations que le peuple exprime à l’égard de vos collègues. Les gens ont le sentiment que vous roulez, pour parler de manière triviale, pour le président Macky Sall. Demain, il partira. Un jour, vous aussi, vous ne serez plus juge. Comme vos prédécesseurs qui ont scellé le sort de Mamadou Dia, de Valdiodio Ndiaye, de Joseph M’baye, d’Ibrahima Sarr, d’Alioune Tall, et plus récemment d’Idrissa Seck, votre nom sera inscrit sur les livres d’histoire. Votre descendance en tirera fierté ou déception. Voyez-vous Monsieur le juge, il s’agit plus de vous que de Khalifa Sall.
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