LE PSE, UNE SOMMATION DE PROJETS NON STRUCTURANTS
Les projets « éléphants blancs » ou sous forme d’infrastructures non structurantes comme Aréna, coûtant le prix de dix hôpitaux sont à substituer par des grands travaux capables de contribuer à l’amélioration significative de la productivité
Notre premier ministre Dionne a dans une forme et une logique polémiques contesté les écrits de Mohamed Dia dans le journal Le Monde. Pour éviter qu’un cadre de la diaspora réplique à cette polémique, il est préférable de juste éclairer notre premier ministre sur la théorie économique ainsi que les évidences empiriques. Il est important de rappeler qu’en matière d’économie l’optimisation est rigoureusement utilisée pour résoudre les problèmes d’allocations efficientes des ressources sous contraintes budgétaires à travers les sphères mathématiques de maximisation des utilités ou de minimisation des coûts. Cette démarche aboutit naturellement à une technique de recherche opérationnelle permettant de parvenir à un ordonnancement efficient des projets et programmes de politiques économiques.
La pertinence de l’article du journal Le Monde sur l’inefficience des choix de projets d’infrastructures du PSE et de son inéluctable impact négatif sur la stabilité macroéconomique du Sénégal ne nécessitait pas une impertinente réponse polémique consistant à réciter des cours d’économie de troisième année d’université sur la croissance endogène, encore moins une confusion entre le néolibéralisme et les partisans de la nouvelle économie structurelle.
Ce que l’on pouvait craindre est donc arrivé sous la plume, malheureusement, du premier ministre d’un pays respecté : entrainer dans votre polémique les noms d’éminents économistes tels Paul Romer et Barrow dans des théories dénuées de tout sens.
Il n’est pas tard de faire entendre raison au premier ministre, se présentant pour impressionner son lecteur comme « économiste et ingénieur », et de lui expliquer ce qui a été simplement et sommairement décrit par Mohamed Dia dans le journal « Le Monde » portant sur le danger des infrastructures du Plan Sénégal Emergent.
Commençons par une petite rectification sur la dichotomie entre théorie de la croissance endogène et Plan Sénégal Emergent. En réalité tout économiste, même junior, déconseillerait à notre cher « ingénieur informaticien, premier ministre » d’usurper la théorie de la croissance endogène pour justifier le PSE. Bien que la théorie de la croissance endogène repose en effet essentiellement sur le capital humain, le capital physique et la technologie, il est important d’aller en profondeur pour identifier la source de financement de ces facteurs. L’aspect endogène, surtout du capital physique, repose en grande partie dans la théorie de la croissance endogène sur des dépenses en capital sur ressources intérieures, contrairement aux financements des infrastructures du PSE. Raison pour laquelle, tous les déterminants d’une croissance endogène dans le PSE sont biaisés et qui expliquent d’ailleurs les contraintes majeures à une transformation structurelle du pays. Pour preuve dans la phase 2 du PSE il ressortirait d’après analyses des spécialistes de ce Plan, quatre contraintes majeures (4) :
- Taille du secteur informel de plus en plus importante
- Capital humain pauvre (Niveau d’éducation, état de santé de la population active, qualifications et compétences des ressources humaines) ;
- Disfonctionnement du marché du travail ; et
- Problèmes liés à la gouvernance.
Ces contraintes majeures persistantes en six (6) ans de pilotage montrent qu’à travers le PSE le Sénégal devient le recordman des dépenses publiques non structurantes et donc sans résultats probants sur le secteur réel à moyen et long terme.
En effet, l’inefficience des dépenses de capital sur ressources extérieures est à long terme suicidaire pour un pays où 48% de la population vit sous le seuil de la pauvreté avec en sus un déficit criard d’eau potable, d’énergie, de services sociaux de base, et d’infrastructures structurantes. Aussi, ce n’est pas un investissement de deux mille cinq cent (2500) kilomètres de fibres optiques qui va accroitre le niveau de connaissance des Sénégalais si cet investissement n’est capitalisé ni par le système éducatif déjà moribond, ni par le tissu économique où l’informel prend de plus en plus de place dans le secteur privé. Ce genre d’investissement est tout simplement improductif et ne reflète en rien un processus croisé capable de faire émerger un développement harmonieux des facteurs clefs de croissance vu l’échec des investissements alloués à l’éducation et à la santé, deux systèmes essentiels pour une croissance endogène malheureusement inexistante au Sénégal par manque de vision et de politiques économiques fiables.
Revenant sur la théorie de la nouvelle économie structurelle, chaque économie a son niveau d’infrastructures structurantes. Par exemple pour les pays à revenus moyen comme la Chine ou l’Inde, leurs économies exigent des infrastructures structurantes prenant la nature de ports, aéroports, trains à grande vitesse, réseaux internet 5 à 6 G etc. Par contre pour des pays pauvres où le milieu urbain demeure incapable d’assurer le besoin minimal en fourniture d’eau et d’électricité, leurs infrastructures structurantes doivent plutôt porter vers des systèmes d’irrigation, l’énergie, un réseau routier dense capable de connecter toutes les économies du pays, un réseau ferroviaire dense capable de relier toute les régions du pays afin de faciliter le transport des biens et services.
Cette théorie qui a fait le bonheur des pays asiatiques tels que la Chine, le Brésil, l’Indonésie, l’Inde, la Corée du Sud, la Malaisie, Singapore, la Thaïlande et le Vietnam, s’appuie sur un développement harmonieux sans dopage et sans saut d’étapes comme y invite notre Premier ministre.
Cette nouvelle théorie de développement économique est le fruit de la pensée d’illustres économistes tels que Philippe Aghion, Anne Harisson, Ricardo Hausmann, Justin LIN, Celestin Manga, Dani Rodrik, Micheal Spence et Andres Velasco. Elle propose comme fait stylisé sous forme de prérequis le Gouvernement dans un rôle de facilitateur visant la réalisation des infrastructures structurantes coordonnée avec l’amélioration du climat des investissements. Dans ce fait stylisé chaque pays a sa propre empreinte. Pour le cas du Sénégal les dépenses d’infrastructures, de préférence sur ressources intérieures, doivent être orientées par ordre de priorité sur l’eau et l’assainissement, l’électricité, l’irrigation, les réseaux routiers et ferroviaires, le transport et les TIC qui contribuent significativement à la productivité totale des facteurs des entreprises. La coordination avec le climat des investissements nécessite une analyse comparative avec les pays voisins tels que le Ghana, la Cote d’Ivoire ou le Nigeria pour la CEDEAO, mais aussi ceux de l’Afrique de l’Est tels que l’Ethiopie, le Kenyan ou la Tanzanie. Pour tous ces pays comparés au Sénégal, le gap d’infrastructures structurantes est tellement élevé qu’il est difficile à ce dernier de se prévaloir d’un climat d’investissement compétitif. A titre d’illustration, la capacité de production d’électricité de secours au Sénégal serait de 40 mégawatts, derrière Madagascar (50 mégawatts) ou le Ghana (80 mégawatts). S’agissant par exemple du poids économique associé aux inefficacités des services publics de l’électricité, le Sénégal est derrière des pays comme le Benin, le Burkina Faso, avec 100% de pertes non comptabilisées. Concernant le réseau principal routier, le Sénégal enregistre un état médiocre de plus de 50% de son réseau et se classe dernier sur 21 pays étudiés tels que le Burkina Faso, le Benin, la Cote d’Ivoire, le Niger, le Ghana pour ne citer que ceux-là.
Tous ces indicateurs illustrant de graves retards, montrent qu’il ne sert à rien de sauter des étapes ; que les projets « éléphants blancs » ou sous forme d’infrastructures non structurantes comme Aréna, un second palais présidentiel coûtant le prix de dix hôpitaux et autres sont à substituer par des grands travaux pour résoudre de façon structurelle le déficit d’infrastructures structurantes capable de contribuer à l’amélioration significative de la productivité totale des facteurs de production.
N’en déplaise au premier ministre, là se trouve la clé de l’émergence.
Alpha Ousmane Aw est président du CNESA, secrétaire National Coordinateur du PROACT