LE RÉENCHANTEUR DU MONDE
Éveilleur de conscience, le pape François nous aiguille vers le chemin de la raison humaine, quitte à nous inviter à emprunter les sentiers les plus ardus

"Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve"
Friedrich Hölderlin
Dans son analyse de notre monde actuel, le philosophe Edgar Morin cite ces paroles de Hölderlin sonnant presque comme une prophétie. Pour Morin, ces paroles incarnent la dialectique de notre époque, à la fois minée par les «conflits ethno-politico-religieux», dévoyée par la dérégulation de l’économie mondiale, et laminée par la pauvreté extrême ; mais pouvant créer les conditions de son propre dépassement, en poussant «les forces démocratisantes et libertaires» à agir.
C’est une lecture du monde à la fois alarmante, réaliste et sans concession. Qui, toutefois, ne sombre pas dans les affres du désespoir et du défaitisme.
Il ne manquait plus à la vision de Morin qu’un homme providentiel pour l’incarner. Et c’est la personne du pape François qui donne à la citation toute sa signification. Autorité morale de grande envergure s’il en est, le Saint-Père est probablement la seule personnalité à l’heure actuelle à porter les valeurs de leadership qui font si cruellement défaut aux responsables politiques.
Et pour cause. Partout où le pape François passe, sa parole est écoutée. Depuis bien longtemps, on n’avait plus vu un souverain pontife autant adulé des foules, respecté des autorités religieuses et courtisé par les dirigeants du monde entier. Et cette popularité ne peut être réduite à un simple attrait charismatique, elle est le fait d’une démarche volontaire et raisonnée de se hisser à la hauteur des ambitions du genre humain.
Un communiquant hors pair
Le pape François s’est d’abord démarqué de ses prédécesseurs par ses dons de communication au service des valeurs du christianisme. Il ne se contente pas de s’occuper uniquement de sa propre église, il tend la main aux autres confessions en tenant un discours de tolérance et de compassion. À l’heure où les courants extrémistes se plaisent à jeter de l’huile sur le feu, il dépasse la vision manichéenne du «clash de civilisations» et réintroduit un discours de raison, tempère et concilie, pour contrecarrer la surenchère des franges les plus radicales des religions, toutes confondues.
Il n’en perd pas pour autant son identité fondamentalement religieuse ; il l’a transcende en la rendant accessible à tous. En défaisant des discours parfois hermétiques de l’église catholique pour les remplacer par un discours réintroduisant une dose de sacré, de recueillement, et de réflexion morale dans un monde réputé désincarné, machiavélique et individualiste. Il redore le blason du christianisme en le renvoyant à sa doctrine originelle, celle de l’humilité, de l’abnégation de soi, de l’amour du prochain et de solidarité. Ce faisant, il l’élève au rang de philosophie humaniste et redonne toute sa signification à l’étymologie du mot religion, religere qui signifie relier, créer du lien social.
Le rééchanteur de l’action politique
Mais c’est surtout dans le domaine politique que le pape François se distingue avec brio. De la crise des réfugiés au conflit syrien, en passant par le changement climatique ou le narcotrafic, il n’a pas peur de s’attaquer aux sujets les plus brûlants de l’actualité. Là où beaucoup de dirigeants semblent baisser les bras, il fait de la diplomatie son cheval de bataille en appelant les figures politiques de tous bords à leurs responsabilités.
Car contrairement aux dirigeants qui se trouvent limités dans leurs actions à l’échelle des États, le pape, de par son aura, dépasse ce cadre contraignant. Il peut ainsi porter un discours d’universalité. Universalité dans la vision du monde qu’il prône et universalité de par sa volonté de dialoguer avec tous. En cela, il est l’incarnation des principes de la Charte des Nations Unies, et se pose comme ardent défenseur de l’État de droit et du recours à la diplomatie, comme il l’a rappelé avec force lors de son discours aux Nations Unies le 25 septembre dernier : «Il faut assurer l’incontestable État de droit et le recours inlassable à la négociation, aux bons offices et à l’arbitrage, comme proposé par la Charte des Nations Unies, vraie norme juridique fondamentale.»
Porteur d’un message d’universalité que l’on croyait dépassé et vide de sens, il réinjecte ainsi une dose de pragmatisme et d’action dans les valeurs fondamentales de liberté, d’égalité et de dignité humaine, sans tomber dans l’évangélisme et la bien-pensance. Et lorsque certains pays oublient trop facilement leur engagement en faveur de ces droits fondamentaux, le pape a vite fait de les rappeler à leurs obligations morales.
On se souvient par exemple de l’appel qu’il a récemment lancé à chaque paroisse d’Europe, les exhortant à accueillir des familles de réfugiés. Alors que le continent est de plus en plus tenté par le renfermement et le rejet de l’autre, cet appel revêt un caractère symbolique et politique fort, qui a l’avantage d’être écouté et pris en compte non seulement par les fidèles mais par la communauté internationale dans son ensemble.
Le défenseur des plus démunis
Premier pape en provenance d’Amérique latine, l’ancien archevêque de Buenos Aires est également particulièrement sensible aux problématiques de développement socio-économique des pays du Sud. De fait, sa perspective invite le monde développé à sortir de son ethnocentrisme ambiant. Son analyse fine des inégalités socio-économiques confère une nouvelle dimension à la papauté : celle de véritable porte-parole des pauvres.
C’est un détail non négligeable, particulièrement à l’approche des négociations de la COP21. Dans son encyclique sur le climat et l'environnement, le saint-père en appelle à davantage de sobriété des pays développés qui ont «une dette écologique» vis-à-vis des pays les plus pauvres qui pâtissent des conséquences directes du réchauffement climatique : sécheresse, inondation, pollution…
La facture est salée pour ceux qui peinent encore à se développer. Les pays du Sud ont trouvé en la figure du pape, le digne serviteur de leur cause, prêt à monter au créneau pour défendre leurs intérêts.
Certains diront que la démarche du pape ne se réduit qu’à de beaux discours, qu’elle n’aboutira pas aux changements tant escomptés. Qu’à priori, rien ne contraint les grands de ce monde à prêter attention à des injonctions d’ordre moral. Mais tout espoir est permis. Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Michel Mafesoli, le pape François opère un véritable «ré-enchantement du monde», nous offrant une «nouvelle éthique pour notre temps», une nouvelle religion des temps modernes.
Éveilleur de conscience, le saint-père nous aiguille vers le chemin de la raison humaine, quitte à nous inviter à emprunter les sentiers les plus ardus. Au final, le pape François est surtout là pour nous rappeler à un idéal fondamental, essentiel, trop souvent délaissé par les plus cyniques : avoir le courage de nos principes.
In fine, c’est à nous, citoyens, dirigeants, membres de la société civile, humains de tous horizons, c’est à nous tous de reprendre le flambeau qui nous est tendu par le saint-père.