LE TENACE COMPLEXE DU COLONISÉ
EXCLUSIF SENEPLUS - Le néo-colonialisme ne disparaitra pas tant que la structure des liens de dépendance économique demeurera intacte - Continuer à prendre la France pour responsable des maux des Sénégalais, c'est se tromper de cible

Pour peu, la visite d’Emmanuel Macron au Sénégal, allait tourner à la démesure, prélude à une possible hystérie collective. Les empoignades, essentiellement verbales, il est vrai, sur la nature des relations franco-sénégalaises avaient quelque chose de surréaliste. A entendre partisans et adversaires de cette excursion officielle s’écharper avec tant de passion sur l’opportunité du séjour de Macron chez nous, on pouvait bien s’interroger sur leur conception de l’évolution de l’histoire.
D’emblée, on pouvait interpréter ce tintamarre, comme le signe d’une vitalité démocratique. En effet, il arrive fréquemment et partout ailleurs, qu’une telle occasion soit mise à profit par des opposants, pour se donner une visibilité médiatique internationale. Le port de brassages rouges par les militants du PDS et l’occupation du macadam par les altermondialistes, imprimeraient à ces manifs, une tonalité contestataire bon enfant. Si ce n’était que cela, il n’y aurait franchement pas de quoi fouetter un chat. Encore moins de quoi diaboliser le PDS et Guy M. Sagna !
Ces jacqueries à elles seules n’auraient rien de franchement gênant, tant qu’elles restaient confinées dans les limites du sens de la responsabilité, du respect des lois et règlements. En revanche, toute la litanie déversée sur les relations franco-sénégalaises a souvent pris une dérive saugrenue perceptible aussi bien dans le camp de ceux qui stigmatisent, l’arrivée du pensionnaire de l’Elysée que de celui de ceux qui s’en extasiaient. Et pourtant quoi de plus normal qu’un Président français se rende dans notre pays et être reçu comme tout autre chef d’état. Il en sera ainsi tant qu’il résidera dans le concert des nations, notre pays sacrifiera à la tradition des relations internationales, au nom de sa souveraineté internationale et dans le sens, nous l’espérons, de ses intérêts propres.
A écouter les deux camps s’affronter dans les médias dans une absurde bataille de positionnement, on se demande bien si leurs responsables ne cherchent pas à parler d’eux-mêmes d’abord plutôt de relations France-Sénégal. Il y a chez les uns comme une sorte de crispation nostalgique, qui les enkyste dans un attachement sempiternel pour une France providentielle, qui serait inexorablement la solution du Sénégal. Même après 1960, cette posture surannée entretenue durant des générations par les régimes antérieurs et les élites de part et d’autre de l’Atlantique, est devenue totalement obsolète. Elle n’est plus soutenable, socialement, politiquement, économiquement, ni en France, ni au Sénégal. Elle va à l’encontre des aspirations des générations actuelles, pour un réel exercice de leur souveraineté.
Le temps des colonies est révolu. Le désir de liberté des populations est ressenti, recherché et assumé par une volonté d’indépendance de toutes les catégories populaires, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Les nostalgiques d’un passé révolu s’englueront dans leurs rêveries et se contenteront de vivre par procuration, une « glorieuse période coloniale. » La France n’est plus la terre d’accueil, qu’elle fut, Elle comporte, certes, encore de nombreux référents, comme la langue, des valeurs de liberté et de fraternité, des modèles de consommation ancrés dans un contexte de mondialisation et d’uniformisation des cultures. Cependant, son poids politique et économique, son influence s’effritent, alors qu’émergent partout dans le monde d’autres puissances.
A l’inverse, les opposants à la venue de Macron nourrissent encore’ de tenaces frustrations et autres rancunes contre la France leurs yeux, à l’origine des malheurs du Sénégal. Rejeter le président français équivaudrait manifester ce courroux contre ce qu’ils considèrent comme le symbole vivant d’une domination politique et économique, le principal artisan de l’enlisement de l’Afrique et du Sénégal. Pour eux, le temps la résurrection de la mère l’Afrique, est venu. Et ils entendent bien l’exprimer bruyamment.
Cependant, ce besoin d’historicité, de reprise en main de son propre destin, doit-il comme on l’a ressenti, ces derniers jours lors de la visite de Macro, répercuter le rejet d’une France dominatrice. Les liens historiques et économiques entre Paris et ses anciennes colonies ne s’effaceront pas par des coups de gueule, encore moins, par la manifestation de haine.
Le néo-colonialisme ne disparaitra pas tant que la structure des liens de dépendance économique entre le Nord et le Sud, demeurera intacte. La prédominance des entreprises françaises, et même acceptons-le, leur mainmise sur notre économie persisteront tant que la volonté politique de s’en libérer ne viendra pas des Sénégalais et des Africains à travers la création d’espaces de solidarité et de développement communautaire.
Récemment, une enquête d’une commission économique de l’UA a démontré que l’Afrique a expérimenté, neuf modèles de développement économique, pour l’essentiel orientés vers la satisfaction des besoins de l’économie occidentale. Dans le même temps, ce continent qui ne représente que seulement 5% du commerce mondiale, n’entretient en son sein que 13% des transactions commerciales. Comment sortir de la spirale du néocolonialisme économique et ses corollaires socioéconomiques, si cette tendance n’est pas irrémédiablement inversée ? Et ce n’est pas en battant le pavé des rues de Dakar armés de slogans, dans le style « France dégage » qu’on y parviendra.
Le volume des exportations françaises au Sénégal dépasse annuellement les 500 milliards de FCFA, celui des exportations sénégalaises vers la France atteint à peine le dixième. Comment inverser ce rapport inégal alors que le développement endogène de l’Afrique reste encore illusoire, en dépit de la multiplication des zones d’échanges ? Déjà, depuis les années 60, le visionnaire économiste égyptien Samir Amine dénonçait l’Echange inégal. Et, plus récemment la camerounaise Axelle Cabou, constatait avec désolation que l’Afrique refusait le développement. Qu’a-t-on fait depuis pour y remédier, sinon de conforter hélas, les dangereuses déclarations de Sarkozy annonçant que l’Afrique n’était pas encore entrée dans l’Histoire.
En vérité, il est trop facile d’accuser la France des pires tentations néo-colonialistes, si les Sénégalais eux-mêmes ne cherchent à prendre en main leur propre destin. Ce combat n’est seulement celui de pays pauvres très endettés, (comme le Sénégal,) et dont les économies sont téléguidées et contrôlées par les puissances occidentales et demain par la Chine, l’Inde pu me Brésil. Cette lutte acharnée pour l’inversion des priorités des circuits de développement vers l’Afrique, est la seule qui puisse réduire les liens ombilicaux entre les anciens colons et les néo-colonisés. Croire que ce but ultime et salutaire ne peut s’effectuer que dans le vacarme de l’agi-pop, c’est pratiquer la politique de l’autruche. L’intégration économique, la paix, la coexistence pacifique sont les premières étapes de ce recadrage historique de l’Afrique.
Continuer à prendre la France, pour l’unique responsable des maux des Sénégalais, c'est assurément se tromper de cible et de vision. Malheureusement une persistante mentalité de colonisé nous empêche de voir que nous sommes prisonniers de nos propres irresponsabilités. Les mentalités dit-on sont des prisons longue durée, desquelles il est difficile de se sortir. Surtout quand les geôliers sont en nous.