L’ECO, LE NIGERIA ET LES AUTRES
La CEDEAO a également failli en demeurant près de 45 ans sans aller plus loin dans l’intégration économique et monétaire que le tarif extérieur commun et la libre circulation des hommes
A l’issue de la Conférence des Chefs d’Etat de la CEDEAO d’Accra sur l’ECO, la décision a été prise de créer dans un premier temps une zone monétaire autour des Etats de la CEDEAO ayant leur propre monnaie nationale, et dans un deuxième temps d’étendre cette nouvelle zone aux pays ayant comme monnaie le Fcfa.
La question du changement de monnaie vient également d’être évoquée, dans une interview au journal français «L’Humanité », par l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, et dont la substance est que l’ECO ne devrait pas être une pâle copie du FCFA, mais plutôt la monnaie d’une Afrique unie, pesant d’un poids suffisamment lourd sur l’échiquier international pour être économiquement concurrentielle dans le monde. Cette décision de la CEDEAO doit remettre la question de la monnaie africaine au goût du jour puisqu’elle est liée à celle de l’intégration économique, de l’élargissement du marché communautaire dont le décloisonnement est un défi majeur pour les économies africaines.
Rappelons que la CEDEAO, créée voilà 46 ans (1975), regroupe 15 pays que sont le Bénin, le Burkina Faso, le Cap Vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée Bissau, le Libéria, le Mali, le Niger, le Nigéria, la Sierra Leone, le Sénégal et le Togo. Cet espace totalise près de 400 millions d’habitants (dont 200 millions pour le Nigéria, 31 millions pour le Ghana, 26 millions pour la Côte d’ivoire et 17 millions pour le Sénégal). Il s’agit de créer une monnaie unique dans cet espace qui contient en son sein des pays ayant leur propre monnaie et d’autres à monnaie unique, le FCFA en l’occurrence.
Les monnaies nationales en circulation dans cet espace sont : l’«escudo » pour le Cap-Vert, le « dalasi » pour la Gambie, le « cédi » pour le Ghana, le « franc guinéen » pour la Guinée, le « dollar libérien » pour le Liberia, le « naira » pour le Nigeria et le « leone » pour la Sierra Leone. Les pays 8 ayant en commun le franc CFA (arrimé à l’euro), sont : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo rassemblés au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Ils totalisent 135 millions d’habitants.
En termes de poids économique, la CEDEAO affiche un PIB global de 601.724 millions euros, répartis comme suit : Nigeria : 375.961 millions euros (62 % du PIB de la CEDEAO) Ghana : 63.347 millions euros Côte d’Ivoire : 53.711 millions euros Sénégal : 21.810 millions euros Au plan économique, le Nigeria fournit 77 % des exportations régionales et la Côte d’Ivoire 10%. Le Ghana et le Sénégal sont respectivement 3ème et 4ème avec 4% et 2 %. Le Mali suit avec 1,7 % des exportations régionales, et le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée, le Niger, le Togo représentent chacun 1 % des exportations régionales.
Ces chiffres montrent qu’au niveau de l’espace CEDEAO, il y a le Nigeria et ensuite les autres pays. A tous points de vue, le Nigéria est indiscutablement le pilier de l’espace CEDEAO, et le Ghana suit. Une première conclusion s’impose : l’indicateur du PIB montre que l’appartenance à la zone monétaire CFA ne donne pas un avantage économique particulier aux Etats la composant, par rapport aux pays de la CEDEAO battant leur propre monnaie.
En termes de démographie, les écarts sont aussi nets. En 2020, le Bénin comptait 11,8 millions d’habitants, le Burkina Faso 20,3 millions, 500.000 habitants pour le Cap-Vert, 25,7 millions pour la Côte d’Ivoire, 2,3 millions pour la Gambie, 30,4 millions pour le Ghana, 12,84 millions pour la Guinée, 1,9 millions pour la Guinée-Bissau, 4,9 millions pour le Libéria, 19,7 millions pour le Mali, 23,3 millions pour le Niger, 201 millions pour le Nigeria, 16,3 millions pour le Sénégal, 16,3 millions pour la Sierra Leone, et 3,1 millions pour le Togo. Le nombre d’habitants total de la Cedeao s’élève à 381,84 millions d’habitants, dont 53 % pour le seul Nigéria. Lequel, à lui seul, compte plus d’habitants que les quatorze autres Etats réunis.
Huit Etats ont une population comprise entre 10 et 30 millions et six d’entre eux ont une population inférieure à 9 millions, dont trois ne dépassent pas 2,3 millions. La taille de la population du pays induisant une taille de marché similaire, la démographie ne serait donc pas forcément un handicap économique, bien que son importance soit un frein à la répartition de la richesse économique sur le plus grand nombre. En matière de réserves de change, celles de l’Union sont de 13.665,4 milliards de FCFA à fin mars 2021, alors que celles du Nigéria pourraient atteindre 34 milliards de dollars US (projetés à fin 2021), soit environ 22 241 milliards FCFA
S’ACCROCHER AU WAGON ECONOMIQUE DU NIGERIA
Les réserves de change de toute la zone UEMOA n’atteignent donc que 62 % des ré- serves du Nigéria, ce qui démontre encore la sensibilité de la question de l’Union monétaire avec ce géant, dont l’intérêt pour les autres pays ne devrait être apprécié qu’à l’aune de ses effets sur la croissance qu’elle serait susceptible d’induire.
Partant de cette configuration de l’espace CEDEAO, les questions suivantes gardent toute leur pertinence :
- Comment les autres pays peuvent-ils projeter d’appartenir à la même zone monétaire que le Nigéria sans accepter que ce pays en assure le leadership?
- Qu’est-ce que l’appartenance à une même zone monétaire avec le Nigéria apporterait comme surcroît de richesse aux autres Etats et basée sur quels produits d’exportation vers ce pays de 200 millions de consommateurs ? Et quels sont les projets envisagés dans ce sens ?
- Comment faire converger les économies entre elles, sachant que le Nigéria est essentiellement le seul pays producteur et exportateur de pétrole en Afrique au Sud du Sahara alors que la quasi-totalité des autres pays sont des pays importateurs ?
En toutes hypothèses, l’UMOA a prouvé qu’elle n’était pas une zone monétaire optimale en ce qu’elle n’a pas su, depuis sa création en 1962, susciter la création d’une zone économique homogène à partir du FCFA, en développant les échanges commerciaux entre les pays de cette union pour impulser une croissance et un développement économique endogène global.
La CEDEAO a également failli en demeurant près de 45 ans sans aller plus loin dans l’intégration économique et monétaire que le tarif extérieur commun et la libre circulation des hommes.
Lorsque l’on compare les statistiques du commerce intra-régional, les taux prévalant en Afrique sont parmi les plus faibles du monde, avec moins de 20 % de la production régionale restant précisément dans la région. Cela signifie que plus de 80 % de ce qui est produit en Afrique est exporté, principalement vers l’Union européenne, la Chine et les Etats-Unis.
À titre de comparaison, 60 % des échanges européens s’effectuent sur ce continent même, tandis que ce taux s’établit à 40 % pour l’Amérique du Nord.
L’un des plus grands défis que la région ouest-africaine devra relever pour mettre pleinement en valeur le potentiel commercial qu’elle recèle, réside dans le développement insuffisant de ses infrastructures.
En termes de perspectives économiques, les autres pays doivent tendre à se constituer une base industrielle d’exportation vers le marché du Nigéria qui, vu la valeur de ses importations, pourrait tirer la croissance de toute la zone.
Le Nigéria importe des chaudières, des machines et appareils, des produits minéraux, des carburants, des matériels de transports qui constituent 60 % des importations globales, et enfin des produits alimentaires et de l’engrais. Ces importations proviennent de la Chine, de l’Inde, des Pays-Bas de l’Allemagne, du Brésil, de la Russie, de la Corée du Sud, du Royaume-Uni et de l’Italie.
La Chine (31,41 %), et l’Inde (7,89 %) représentent près de 40% des importations totales du Nigeria. Cela revient à dire que les pays de la CEDEAO, avec lesquels les échanges avec ce géant sont faibles, devraient se spécialiser dans ces fabrications pour capter les flux y relatifs.
Pour tirer le maximum d’avantages de l’ECO, les autres pays doivent exporter vers le Nigéria qui, par l’importance de son commerce extérieur notamment de ses importations, peut tirer en avant toute la zone. Pour conclure, instaurer une monnaie unique en Afrique, c’est quelque part atteindre un objectif de souveraineté fixé par les pères du panafricanisme. Cela dit, avoir une monnaie qui fonctionne au bénéfice de tous les pays de l’espace CEDEAO, c’est encore mieux.
L’intégration ne pourra se faire sans le développement des infrastructures d’énergie et de transports, l’élimination des barrières non tarifaires générateurs de surcoûts, et l’implication de l’initiative privée africaine dépendant de l’élimination des facteurs de répression financière exercée contre elle.
Avec le poids du Nigéria, l’inspiration d’une politique monétaire commune a de fortes chances de principalement tenir compte de la situation économique du Nigéria, du poids de ses réserves de change (base de couverture de la monnaie) qui, elle, dépendra fortement de la dite situation.
C’est avec une base d’exportation diversifiée, constituée de produits agricoles et industriels transformés, qu’une politique monétaire à la hauteur de celles pratiquées par les pays d’Asie sur des monnaies en parfaite communion avec l’économie réelle prendra tout son sens.
Dès lors, il serait opportun de mettre à profit les délais de création d’une nouvelle zone monétaire transitoire pour proposer de nouvelles stratégies mais aussi de nouveaux schémas de constitution d’une économie endogène dans l’espace CEDEAO.