L’ÉLOGE DES TROTTOIRS
C’est un bonheur d’être un piéton à Paris alors qu’à Dakar, les piétons n’ont pas de place dans notre schéma urbain. Je dois dire ils n’ont plus de place, car l’Etat a laissé les automobilistes et les commerçants privatiser les trottoirs
Mon ami, le brillant philosophe et écrivain El Hadji Hamidou Kassé, le sage de Mogo, avait dit du fameux «l’an 2000, Dakar comme Paris de Senghor» que c’était un poème non écrit d’un autre grand écrivain : Léopold Sédar Senghor.
Quand on se promène dans Paris comme j’ai eu à le faire la semaine dernière, on se rend compte de la beauté de la formule de El Hadji Hamidou Kassé, mais surtout de sa véracité. Quand on vit à Dakar, une muse qu’on a envie de délaisser parce qu’elle a capitulé en termes d’esthétique et même de coquetterie, et on se rend pendant quelques jours à Paris, on ne peut que faire l’éloge des trottoirs.
L’an 2000 est passé, Dakar n’est pas comme Paris. Dakar ne s’en rapproche pas. Dakar s’en éloigne de jour en jour. Quand on vit à Dakar et qu’on arrive à Paris, le charme de la ville n’est plus dans son architecture, son histoire ou sa culture, mais dans des choses élémentaires pour une ville : les trottoirs.
Contrairement à Dakar, les trottoirs sont réservés aux piétons. C’est un bonheur d’être un piéton à Paris alors qu’à Dakar, les piétons n’ont pas de place dans notre schéma urbain. Je dois dire ils n’ont plus de place, car l’Etat a laissé les automobilistes et les commerçants privatiser les trottoirs. Dakar a un projet urbain original et unique au monde : une ville sans piétons.
A Dakar, les piétons sont considérés comme des encombrements humains et urbains, car ils sont obligés de disputer le goudron aux véhicules à défaut de trottoirs. A Paris, on peut remonter plusieurs boulevards et avenues sans s’en rendre compte alors qu’à Dakar, quitter le rond-point Sandaga pour la Place de l’Indépendance relève des travaux de Hercule. Heureusement que l’an 2000 Dakar comme Paris est un poème non écrit du poète visionnaire Senghor qui permet ainsi aux autres générations d’avoir l’ambition de l’écrire.
Nous commencerions à avoir l’ambition de concrétiser cette vision le jour où nous estimerons que, comme toutes les grandes villes, nous avons droit à des trottoirs, mais aussi à un cadre de vie qui commence par la verdure. A Paris, on ne peut pas remonter une avenue à un boulevard sans tomber sur des jardins ou des parcs ou des squares à l’exception de l’avenue de l’Opéra, mais même-là c’est volontaire parce que pour la petite histoire, le grand architecte Charles Garnier avait exigé et obtenu qu’aucun arbre ne soit planté sur l’avenue afin de ne porter ombrage au sens propre à son chef d’œuvre, l’opéra Garnier, qui devait être visible de n’importe où de l’avenue.
Chez nous, comme nous n’avons pas de Garnier qui nous interdit de planter des arbres, il est temps de reverdir Dakar, car notre belle presqu’île s’appelait Cap Vert. Reverdir le Cap Vert et avoir des trottoirs serait déjà un grand bond en avant pour commencer à écrire le poème non écrit de Senghor. Reverdir le Cap Vert devrait commencer par la Vdn où il est presque trop tard pour arrêter l’invasion du béton et surtout à Diamniadio où nous avons encore une marge de manœuvre. Quand on est à Paris, on constate aussi une autre règle non écrite : le racisme cesse de plus en plus d’être ethnique, mais devient de plus en économique.
En Occident dans les années 60, il était de bon aloi de s’inquiéter du péril jaune, mais aujourd’hui les trains de l’aéroport Charles de Gaulle «parlent» en français, en anglais et en chinois et peut être dans quelques années en arabe quand on voit comment les Saoudiens colonisent la nuit les ChampsElysées et Saint Germain des Près sans que personne ne dénonce le bruit parce que l’argent n’a pas d’odeur.
Les Africains devraient en tirer la leçon et quitter le mur des lamentations et se jeter à fond dans la bataille de la création de richesse et de la croissance.