«L’ÉPINE ET LA ROSE»
Il faut savoir et le rappeler qu’en République, l’important ce n’est pas la fonction qu’on occupe mais comment on habite cette fonction - Le pouvoir ne doit pas tirer vers l’absolutisme - Son accaparement ne doit pas non plus être une question de survie
Je commence cette nouvelle chronique politique par emprunter son titre au célèbre avocat et éminent professeur de droit français Robert Badinter, auteur du livre «Les Epines et les Roses» qu’il présente comme le récit de son voyage au pays du pouvoir. Un pouvoir qui, par nature, est traversé par des hauts et des bas, des jours de gloire et d’extase mais aussi, en plus des moments de faiblesse de ceux qui l’incarnent, par des périodes de doute et de tensions sociales, financières et politiques. Par des félicitations et encouragements en cas d’actes jugés positifs mais aussi par des remarques critiques souvent acerbes et sans faiblesse. Bref, cette chronique aura l’audacieuse prétention de plonger son Epine dans la plaie béante du pouvoir ou de lui offrir sa Rose, si nécessaire. «Fi mom mokna roumboux, diaroul sakh maye campagne», c’est le propos d’extase que rapporte la presse à l’issue de la visite du Président sortant, candidat à sa propre succession.
C’est connu de tous désormais, l’obsession du deuxième mandat - je n’ai pas dit second mandat - est trop têtue chez le président sortant. Cette échéance présentée par ses partisans comme une simple promenade de santé - parce que y aurait rien en face, selon eux - semble pourtant semer le doute, la peur et troubler le sommeil du candidat président au point de le plonger déjà en campagne électorale avant l’heure. Et il sait que son implication personnelle reste décisive pour avoir exercé solitairement le pouvoir, défini et orienté l’agenda politique à sa guise et voulu mener à bon port les chantiers - souvent encore inachevés - de ses réalisations qui restent déterminantes, à ses yeux, pour sa réélection. Et c’est là qu’il faut aller chercher son principal adversaire mais aussi la clef de son prochain succès électoral, selon qu’on est son soutien ou son contempteur.
Parlons de réalisations : pour le cas tout frais de la réhabilitation de mosquées ou cités religieuses comme celle de Guédiawaye, le discours est clair : je vous ai retapé votre mosquée et j’ai ouvert d’autres chantiers comme la promesse d’octroi et d’érection de murs de clôture de nouveaux cimetières musulman et catholique, vieille doléance des populations d’une zone qui grandit mais il me faut un deuxième mandat pour concrétiser votre doléance. Et dans ce lieu de culte, on a noté une forte mobilisation de fidèles, et certainement de militants, mobilisation qui aura fini de galvaniser l’imam aux anges devant ce joyau à l’architecture luxuriante. En dehors de la mosquée, la déferlante humaine qui a assailli le cortège présidentiel a fini de convaincre que «ici, c’est dans la poche».
Peut-être ! Mais à Guédiawaye, vivier électoral par excellence, les populations ne vivent pas que de prières dans une mosquée de dernière génération entourée d’un torrent de complaintes de toutes sortes. Complaintes d’une jeunesse désemparée par le manque d’emplois et dont le cadre de vie, certes mieux assaini avec la quasi-disparition des inondations en période hivernale, risque de se dégrader inexorablement face à la déferlante d’une surpopulation qui se dispute la bande dite verte contre une anarchie foncière orchestrée par des promoteurs immobiliers boulimiques. Une boulimie qui, comme toujours, aiguise les appétits d’une catégorie de politiciens qui a fini de prendre ses aises incongrues. Au demeurant, si cette singulière attention aux familles religieuses n’est pas feinte, elle aura suscité plus de frustrations pour celles qui en sont exclues que de satisfaction pour les bénéficiaires. Toutefois, puisque le Président candidat a réaffirmé à Guédiawaye son soutien irréversible aux chefs religieux, il est quand même important de rappeler que la République qui n’a pas vocation à construire (réhabiliter) mosquées, églises ou temples, doit être juste et équitable envers tous les foyers religieux.
Autrement dit, le soutien de l’Etat doit obéir à des critères qui ne relèvent pas de choix politiciens. Mais peut-on reprocher à un candidat à sa propre succession de vouloir gagner la sympathie de potentiels électeurs par les actes qu’il pose ? Toujours dans sa fabuleuse tournée de Guédiawaye, Macky Sall fait dans la menace contre toute tentative de semer le désordre et le chaos dans le pays. Si le président de la République, gardien de la stabilité du pays, est dans son rôle, force est de regretter son option quasi irréversible du tout - répressif d’une opposition qui étouffe et qui a du mal à être écoutée. Or pour avoir une réelle capacité de gouverner, l’autorité de l’Etat doit avoir l’oreille pour entendre. Or, chez nous, elle n’entend plus. Quid de l’opposition ? Si elle reste dans son rôle de sentinelle démocratique et continue de harceler le pouvoir pour faire passer ses revendications légitimes d’un processus transparent, force est de constater que la constellation excessive de candidatures ne lui facilite pas le résultat de l’efficacité. A contrario, elle ouvre un boulevard devant permettre au candidat sortant de parvenir à ses fins. Heureusement d’ailleurs que le parrainage à controverses est venu freiner les ardeurs de candidatures qui frisent la mégalomanie, la combine politicienne et la prétention.
Pour autant, l’heure est grave et les alertes fusent de partout sur les dangers qui guettent le Sénégal. Certes, on objectera qu’à chaque veille d’élection présidentielle au Sénégal, c’est le même climat qui prévaut. Mais cette échéance-ci de l’élection présidentielle me semble être d’une tout autre nature. Les enjeux sont trop importants. Un ministre de l’Intérieur, organisateur des élections, qui affiche publiquement et ostensiblement avec des allures guerrières inutiles sa volonté de faire triompher son candidat de président est chose inédite. On part au combat à armes égales. Ce qui n’est pas le cas au Sénégal pour cette échéance-ci. Et l’entêtement sur un ton martial du Président Macky Sall (Douma ko def, douma ko def, douma ko def), en plus d’être une source de tensions, traduit un manque de sérénité et une nervosité à fleur de peau tout aussi inutiles. Surtout si on est aussi sûr de gagner «dès le premier tour», une incantation rendue tristement célèbre par Ousmane Tanor Dieng du temps de sa splendeur au Parti socialiste et par l’ancien président du Conseil constitutionnel Youssoupha Ndiaye. Macky Sall ne recule pas, il dit qu’il n’a pas peur. L’opposition et les Sénégalais aussi disent n’avoir pas peur de braver forfaitures et mascarades. C’est le temps des turbulences et de la paranoïa.
Au même moment les populations, dans leur écrasante majorité, j’ai bien dit dans leur écrasante majorité, broient du noir en attendant le bénéfice des fruits de la croissance. Elles veulent aussi vivre du fruit de leur travail pour retrouver leur dignité. Or, du travail, rares sont celles qui en trouvent, quoi qu’on puisse dire. La jeunesse a aussi principalement soif de savoir et de travail par sa volonté de prendre une part active dans la réalisation du destin national. Aujourd’hui elle demeure désemparée, confrontée à l’ennui et au désespoir. Dans le monde rural, la campagne agricole bat sérieusement de l’aile. Elle est même calamiteuse. Reste un autre défi de taille qui sera déterminant et qui devrait se jouer sur les questions éthiques, comme le respect de la parole donnée et le combat contre la transhumance et la mauvaise gouvernance. Il faut savoir et le rappeler qu’en République, l’important ce n’est pas la fonction qu’on occupe mais comment on habite cette fonction. C’est cela qui marque la trajectoire des grands hommes et fortifie nos institutions. Le pouvoir ne doit pas tirer vers l’absolutisme. Son accaparement ne doit pas non plus être une question de survie voire de vie ou de mort pour celui qui l’occupe. Le pouvoir est par nature fragile, précaire et éphémère. C’est pourquoi tout le monde doit revenir à la raison pour faire perdurer la réputation de havre de paix et de tranquillité de notre pays. Quand le cheval trébuche c’est le jockey qui est responsable, a dit l’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin dans ses fameuses formules imagées dont il a seul le secret.
Cette formule devrait inspirer le président de la République Macky Sall qui a, encore une fois, les prérogatives constitutionnelles d’installer ce climat d’apaisement et de paix. Pour ce faire, il devrait davantage rassurer par la recherche constante de consensus sur des questions majeures et se garder de toute velléité de raidissement. Il y va du salut de la République et de son salut à lui. Post Scriptum : Paul Kagamé en mission en RDC, mandaté par l’Union africaine pour s’enquérir de la sincérité du scrutin en RDC ? Pourquoi cette funeste ingérence dans ce pays ? Surtout si l’on sait que personne, parmi les présidents de pays membres de l’Union africaine, n’ose même pas avoir à l’esprit de se prononcer publiquement sur ce qui se passe au Rwanda. Un pays présenté comme vitrine mais qui est loin d’être une référence démocratique. Paul Kagamé emprisonne, pousse à l’exil ses opposants les plus irréductibles et organise des simulacres d’élections. L’Union africaine ne pipe mot. Au contraire, elle le chouchoute. Qu’est-ce qui vaut cette vague déferlante de sympathie pour Kagamé ? Son autoritarisme éclairé serait-il source d’inspiration pour Macky Sall ? J’ose croire que non !