LES AMBITIONS D'UN NOUVEL ENVOL
‘’Dans la vision du président macky sall, on ne peut pas se limiter a avoir un aéroport et laisser tout le reste dans le désert’’ - Maimouna Ndoye Seck décline les ambitions d’Air Sénégal.
En lieu et place d’un vol inaugural, le ministère des Transports aériens a choisi d’embarquer quelques journalistes à bord du nouvel appareil d’Air Sénégal en direction de Paris pour apprécier les qualités de service à bord. Une belle occasion pour Maïmouna Ndoye Seck de discuter à bâton rompu sur les ambitions de la nouvelle compagnie sénégalaise, sa capitalisation et son avenir.
Il y a une polémique sur le coût de l’avion «La Casamance». A-t-il été loué ou acheté ? A combien ?
C’est un avion acheté par le Sénégal. Vous conviendrez avec moi qu’on est dans un secteur très concurrentiel, où on ne peut pas étaler les coûts d’acquisition ou les coûts d’exploitation. Mais ce que je peux dire, c’est que par rapport au prix catalogué, nous avons eu un prix très compétitif, avec un délai de livraison court. Parce que c’est moi-même qui ai signé l’annonce au Dubaï show, au mois de novembre 2017. On n’avait même pas encore signé le contrat d’achat.
Aujourd’hui, on est au mois de mars 2019 ; en moins de 15 mois, on a une livraison à des conditions exceptionnelles. Cette fois-ci, nous sommes totalement maitres du jeu. Les spécificités, c’est d’abord la modernité et le confort. L’Airbus a répliqué le confort de l’A350 qui est un avion d’un autre niveau sur l’A350 néo.
Même du point de vue pilotage, il y a quand même des avancées. Mais ce qui est le plus important avec cet avion, c’est que par rapport à l’ancienne version, c’est pratiquement 15% d’économie en consommation de carburant. En plus de cela, il y a tout le confort requis, le wifi installé à bord. C’est autant de fonctionnalités qui permettent de réduire le coût par siège et de baisser le prix des billets. Parce que l’objectif, c’est d’avoir des billets d’avion moins chers.
Le 2ème appareil est à quel niveau d’assemblage ? Et il sera livré quand ?
Notre objectif, c’est de le livrer en septembre ; mais je dis toujours le 2ème semestre de l’année. Il faut savoir que la livraison des A330 néo a eu un peu de retard, à cause du retard de Rolls Royce pour livrer les moteurs. Nous avions obtenu d’Airbus qu’on nous mette en priorité sur le 1er, mais cette priorisation, nous ne pouvons pas la demander sur le second.
Sur quelle liaison le 2ème appareil sera-t-il mis ?
Surement, nous allons explorer d’autres horizons. Nous avons comme objectif de desservir l’Italie, l’Amérique du Nord et éventuellement l’Amérique du Sud. Ce ne seront pas des lignes quotidiennes. C’est pour cela que cet appareil nous permettra de faire plusieurs destinations. Cela n’empêche pas non plus de renforcer Paris. Parce que Paris, c’est la capacité. Et aujourd’hui, on a baissé de capacité par rapport à la semaine dernière. Donc, il nous faut renforcer Paris mais sur la ligne d’une autre destination. C’est ce travail qu’on est entrain de faire autour de la table.
Du 1er février à maintenant, est ce qu’on peut avoir une idée du nombre de passagers transportés et relativement au taux de remplissage ?
Nous avons eu un taux de remplissage exceptionnel pour une compagnie qui a fait un mois sur le Dakar-Paris. C’est vrai que les premières semaines, on tournait aux alentours de 50%. Mais en fin février, sur la ligne Dakar-Paris, nous sommes à 70%. Ce qui est un taux de remplissage exceptionnel, malgré toute cette communication négative qui a été développée autour d’Air Sénégal, selon laquelle l’avion qui a été affrété n’était pas un appareil de qualité. Là, on a eu des jours où nous avions presque 100%. Globalement, Air Sénégal a transporté en février plus de 20.000 passagers, intégrant les vols régionaux. En termes de statistiques sur le mois de février, Air Sénégal est devenue sur AIBD la première compagnie en termes de mouvement et la deuxième compagnie en termes de nombre de passagers.
Comment faire pour maintenir ce niveau-là ?
Nous y travaillons. L’aviation est très particulière ; on parle de certification des compagnies. Avant cela, même les avions sont certifiés. Si on reste 6 mois sans voler, on perd sa certification. Nous sommes restés assez longtemps sans avoir une compagnie. La plupart du personnel est partie vers d’autres compagnies. Et ceux, qui avaient choisi de rester, sont restés deux ans sans voler. Donc, il faut les certifier de nouveau.
Nous sommes dans le processus pour avoir tout le personnel nécessaire. Mais ce que j’ai vu des statistiques, c’est qu’aujourd’hui, sur près de 180 personnes à Air Sénégal, la moitié est constituée de personnel navigant. Nous avons opté de travailler pour l’avenir en misant sur des jeunes pilotes, des jeunes hôtesses que nous allons former pour accompagner la compagnie. Puisque l’orientation que nous avions reçue du président de la République, c’est de ne pas faire du Sénégal un cimetière de compagnies aériennes et de construire une compagnie forte et durable.
N’est-ce pas un problème que l’Etat soit l’unique actionnaire d’Air Sénégal ?
Non, ce n’est pas un problème du tout. Une compagnie est d’abord un instrument politique et économique. Avant d’être financé, le taux de rentabilité au niveau des compagnies aériennes est relativement faible. Si vous faites du 5%, vous faites une grosse performance. Donc pour tous les pays qui ont des compagnies, c’est un outil économique par rapport à un objectif qui est visé.
Et quand vous allez très tôt vers un partenaire stratégique, parce que vous avez des partenaires. Nous avons Hi Fly, mais vous avez dû le voir en embarquant. On utilise les services d’Air France, parce qu’il nous fallait venir à Charles De Gaulle. C’est cela l’orientation que nous avons reçue. Là aussi, nous avons un partenariat technique avec Air France. Ce que nous n’avons pas encore, c’est un partenariat stratégique ou un partenariat financier, où d’autres compagnies viennent prendre des actions, au niveau de la compagnie nationale.
Mais c’était un choix, parce que nous avions retenu de mettre en place notre compagnie, selon notre vision stratégique, avec ou sans partenaire. Vous savez, la création de cette compagnie s’inscrit dans le cadre du projet hub aérien sous régional, qui est un projet phare du Sénégal. Dans ce projet, nous avions l’ouverture d’AIBD, la création de cette compagnie et la réhabilitation des aéroports régionaux.
Mais il y a aussi d’autres mesures d’accompagnement comme la création du centre de maintenance, qui doit rendre AIBD plus opérationnel et plus attrayant. Nous avons aussi le projet d’un Centre de Formation, pour pouvoir former du personnel de l’aviation de façon générale. Il y a également d’autres projets avec l’armée qui est en train de développer des centres de formation.
Est-ce qu’Air Sénégal va ouvrir le capital aux Sénégalais d’ici et de la Diaspora ?
L’orientation que nous avions eue dès le départ pour cette compagnie, c’est d’avoir une compagnie avec un capital initial de 40 milliards, ce qui est une première. Parce que toutes les compagnies qui ont été créées au Sénégal ont été sous-capitalisées. Donc, nous avons un capital initial de 40 milliards Fcfa totalement libéré par l’Etat du Sénégal. Avec l’optique d’atteindre 100 milliards de capital.
Donc parmi les choix que nous avions faits, il y avait le choix d’avoir des avions propres, de ne pas toujours être en l’occasion. Et avoir des avions propres nécessite des fonds propres relativement élevés. Nous visons un capital de 100 milliards. Et ce qui avait été retenu, c’est que l’Etat reste sur les 40 milliards. Si on a un partenaire stratégique qui veut rentrer, qu’il ne puisse pas non plus dépasser les 40%. L’actionnariat populaire, on lui avait réservé les 20%.
Est-ce qu’il y a des propositions ?
Il y a plusieurs propositions. Nous avons des banques comme la Boad, qui ont marqué leur intérêt de rentrer dans le capital. Nous avons des assureurs qui sont intéressés et même des institutions au niveau du Sénégal, comme l’Ipres et la Caisse de Sécurité, qui sont intéressées. Nous avons eu des compagnies qui ont marqué leur intérêt. Vous aviez entendu parler de Turkish qui avait marqué un grand intérêt, mais qui avait été contraint de prendre du recul par rapport à une crise interne.
Bruxelles aussi a marqué un intérêt dans un partenariat. Comme je dis, les partenariats sont multiformes. Mais nous étions en train de construire et nous voulions mettre en place quelque chose qui soit conforme à notre orientation. Avoir un partenariat stratégique très tôt a aussi ses inconvénients, parce qu’on est obligé dès le départ d’intégrer les attentes de ces partenaires, et ça pouvait nous dévier de nos objectifs.
A partir de maintenant, si on va négocier un partenaire, même si on n’est pas sur un pied d’égalité, au moins nous ne serons pas très déséquilibrés. Tous les Sénégalais d’ici et de la Diaspora, qui ont un peu d’économies et qui croient à notre compagnie, peuvent êtres des partenaires. C’est ça qu’on appelle l’actionnariat populaire, les 20%.
Combien ça va coûter pour les Sénégalais qui voudraient prendre des actions ?
Le coût nominal de l’action d’Air Sénégal est de dix mille, mais depuis l’ouverture il y a beaucoup de bonifications. Le jour où on va lancer l’actionnariat populaire, le coût sera fixé et tout le monde pourra soumissionner.
Au niveau domestique, vous n’êtes qu’à Ziguinchor, est-ce qu’il y a d’autres régions prévues ?
À court terme, peut-être Cap-Skiring. Saint-Louis va renter en reconstruction, mais aussi Matam, Tambacounda et Kédougou. Tout ça, c’est autant de destinations que nous allons développer.
Et en relation avec le Ministère du Tourisme aussi, nous allons voir comment proposer aux Sénégalais des Packages (transport aérien, séjour) pour développer ces lignes. Parce qu’il faut d’abord développer la clientèle pour nous permettre de desservir ces localités avec un taux de remplissage minimal, qui nous permette de garantir la rentabilité de la ligne.
Qu’est-ce qui a motivé le voyage ?
Dans l’aviation, nous avons l’habitude quand on commence une ligne de faire un vol inaugural. Nous avions choisi de ne pas faire de vol inaugural, parce que nous pensons que c’est quelque chose de traditionnel et d’ordinaire. Mais il était important que je puisse voyager à bord de l’avion «Casamance», que j’ai pu visiter en chantier à Toulouse.
Le reste, c’était de voyager à bord pour voir comment le service se passait. Parce que dans l’aviation, le service est important. Donc j’avais besoin de voir comment Air Sénégal exploite l’avion. J’ai pensé qu’il serait important d’avoir des yeux extérieurs pour nous dire ce qu’ils ont vu et comment améliorer ce qui reste à faire.
Comment avez-vous personnellement apprécié le service ?
En fait, j’ai un avis très favorable. Car au niveau du confort, c’est très bien, l’avion est bien conçu. Au niveau du service, il y a encore des choses à faire, puisque notre slogan c’est «esprit Teranga», et cet esprit doit être développé davantage à l’intérieur de l’avion, en termes de décoration, en termes de service des produits proposés. C’est sur ça que nous allons d’avantage travailler pour refléter l’image de la « Casamance ».
Mais aussi sur les plats proposés, il nous faut des plats typiquement sénégalais et d’autres choses qu’il faut développer. On doit aussi travailler sur la personnalisation des supports de service. Je pense qu’il n’y a que ça qui reste ; à part cela, nous avons noté un bon niveau de service. Je pense que nous sommes sur la bonne voie, avec des hôtesses qui sont à la hauteur, le personnel qui est très serviable. Donc si je devais noter, je donnerais 9/10.
Pourquoi y a-t-il encore un personnel non Sénégalais ?
Nous avons pris l’option de faire Paris très rapidement. Il ne faut pas oublier qu’Air Sénégal a été créé en avril 2016. Nous avons mis près de 18 mois pour étudier ce que nous devions faire. Moins de 18 mois après, nous sommes sur Paris. C’est une grosse performance. Le Président de la République nous avait donné une contrainte de démarrer les vols sur Paris en début 2019.
Pour venir dans l’espace européen, il faut être certifié. Air Sénégal est dans le processus de certification. Donc il était nécessaire de voler sous la certification d’une compagnie européenne. Et c’est pour cela que nous avions choisi parmi tant d’autres la compagnie Hi Fly qui opère avec Air Sénégal. Et c’est pour cela que vous voyez au niveau du personnel navigant des pilotes et des personnels de cabine étrangers.
Combien de temps ça pourrait prendre à Air Sénégal pour disposer de sa certification ?
Nous pensons qu’Air Sénégal pourrait disposer de sa certification dans un délai maximum de 6 mois. Mais de toute façon, la durée est limitée à 1 an.
Quelle est la stratégie pour vendre la compagnie sénégalaise ?
Ça, c’est la stratégie marketing d’Air Sénégal que je vais accompagner. Mais je ne serais pas au devant. Cependant je pense qu’ils ont déjà démarré la campagne avec Baba Mal qui est l’ambassadeur d’Air Sénégal. On va aller vers d’autres, en tenant compte de leur engagement, puisque vous avez parlé de joueurs comme Sadio Mané. Même si vous savez que Sadio Mané n’est pas libre de faire tout ce qu’il veut. Ils ont des contrats et leur image ne leur appartient plus.
Donc il y a un travail qu’il faut faire et au-delà des footballeurs, il y a des basketteurs, des acteurs entre autres. Ça se fera au fur et à mesure. Personnellement, je n’ai pas de crainte par rapport au remplissage de cet avion.
Quelle sera la prochaine destination à desservir après Paris ?
Nous avons tous les éléments qui nous montrent qu’elles sont les destinations privilégiées, parmi lesquelles Paris arrive de loin devant avec près de 20% de passagers de Dakar qui ont comme destination Paris. On a tendance à dire qu’il faut faire Dakar-Casa. Parce que la Ram a plusieurs vols par jour. Mais quand vous regardez la typologie des passagers, très peu d’entre eux s’arrêtent à Casa.
Donc il faut qu’on étudie s’il faut qu’on développe ce Dakar-Casa ou développer directement des destinations comme l’Italie, Milan, les Etats-Unis, New-York, Montréal, l’Amérique du Sud, l’Asie. Mais tout ça en tenant compte des capacités présentes. Parce qu’une destination peut être prisée, mais il y a déjà une forte capacité qui est sur place. Si vous y allez, la concurrence est tellement forte que les taux de remplissage peuvent êtres relativement faibles. Ce qui prédispose une compagnie à une mort certaine.
En parlant de la concurrence, beaucoup disent qu’Air France gagne plus d’argent en Afrique ; est-ce qu’aujourd’hui au niveau de la compagnie Air Sénégal, il y a une stratégie pour récupérer cette clientèle Africaine ?
Moi, je ne parle pas d’Air France ou de Ram ; elles sont toutes nos concurrents, parce que nous exerçons le même métier. Nous voulons prendre notre place avec notre stratégie commerciale, avec nos stratégies de tarification et surtout le service qui sera rendu. C’est comme ça qu’on peut capter une clientèle. Le patriotisme, c’est important et on peut le développer auprès des Sénégalais pour qu’ils soient fiers de voyager avec leur compagnie. Mais pour les retenir, il faut leur donner un service de qualité. Un service sécurisé avec des horaires respectés.
Les extensions d’Aibd s’étendent sur quels délais ? Et quels sont les projets phares ?
Avant de parler des extensions d’Aibd, je voudrais parler de la réhabilitation et de la reconstruction des aéroports régionaux. Dans la vision du Président Macky Sall, on ne peut pas se limiter à avoir un aéroport et laisser tout le reste dans le désert.
Ce n’est pas comme ça qu’on construit un Hub. Donc il a demandé qu’on puisse mettre à la norme au moins 5 autres aéroports. Nous avons ainsi ciblé les aéroports périphériques dans des villes qui ont des potentiels économiques et touristiques très importants pour démarrer la reconstruction. Ensuite, Aibd est conçu de façon modulaire, avec un objectif d’atteindre à terme 20 millions de passagers.
La piste actuelle nous permet de recevoir jusqu’à 10 millions de passagers. Et si on doit passer à 20 millions, il faut construire une nouvelle piste. Et aujourd’hui avec le terminal 1 qui a été construit, nous garantissons la qualité jusqu’à 3 millions de passagers. Nous avons terminé 2018, avec plus de 2 300 000 passagers, une croissance de plus de 10%. Même avec 6% de croissance à l’horizon 2024, on va atteindre les 3 millions de passagers. Ce qui veut dire que dès à présent, nous devons travailler sur l’extension de la 2ème phase de Aibd. J’ai parlé tantôt du centre de maintenance. Il y a aussi un projet très important (l’Aérocity).
Puisque pour Aibd, on a prévu plus de 4000 hectares pour développer l’aéroport. Autour de cet aéroport, c’est tout une ville qu’il faut construire. Là où nous sommes, nous sommes sur le site de Roissy pole où des hôtels et des bureaux sont développés. À l’image de cela, nous voulons développer une zone économique autour de cet aéroport et une zone de vie, avec des logements sociaux, et d’autres logements pour permettre aux travailleurs de pouvoir résider aux alentours de AIBD. Donc, tout cela constitue des projets importants pour le développement des infrastructures aériennes.