LES ATELIERS DE LA PENSÉE OUVRENT UNE ÉCOLE DOCTORALE À DAKAR
Les besoins du continent en matière de savoir et de connaissances, d'innovation et de création sont immenses - Ils ne pourront être comblés que par une nouvelle génération de recherches au sein d'équipes et réseaux pluridisciplinaires et internationaux
Il y a trois ans, Felwine Sarr et moi lancions, à Dakar, la première session des Ateliers de la pensée. Nos deux ouvrages respectifs, Afrotopia et Politique de l'inimitié venaient d'être publiés. Une fondation allemande établie à Dakar nous invita à en débattre.
L'Afrique, laboratoires d'idées pour le monde
À la place d'un dialogue à deux, nous proposâmes autre chose, à savoir la création d'une plateforme autonome qui rassemblerait, à intervalles réguliers, la fine fleur de l'intelligentsia africaine et diasporique. Son objectif serait de réfléchir, en public, aux grandes questions de notre temps, l'ambition avouée étant de renouveler, à partir de l'Afrique, la fonction critique dans le contexte contemporain.
C'est ainsi que naquirent les Ateliers de la pensée de Dakar. En quelques années, ils sont devenus l'un des nœuds internationaux majeurs de la pensée critique d'expression française. Au passage, Dakar, l'une des plus afropolitaines des grandes métropoles du continent, a renforcé sa position en tant que pôle privilégié d'expression de la créativité africaine d'aujourd'hui.
Encore aurait-il fallu y penser.
D'un côté, de nouveaux voyages de la pensée s'esquissent sur le plan mondial. Les routes qu'ils empruntent ne sont plus nécessairement les mêmes que celles d'hier, lorsque tout passait par l'Europe.
Du sud du monde, des voix neuves et originales s'élèvent et tentent de prendre en charge une autre pensée de notre Terre commune, dans des termes et catégories éminemment nouveaux.
De l'autre, une évidence, peut-être pas encore suffisamment manifeste, dans le vacarme des jours, mais tout à fait inéluctable sur le moyen terme, s'impose. L'Afrique n'est pas seulement le lieu où se joue une partie de l'avenir de la planète. Elle est également l'un des grands laboratoires d'où émergent des formes inédites de la vie sociale, économique, politique, intellectuelle, culturelle et artistique d'aujourd'hui et de demain.
Une créative multiforme
Ces nouvelles formes de vie et du social voient le jour dans des lieux souvent inattendus. Elles sont portées par des acteurs et des actrices divers souvent peu visibles et peu connus. Elles se concrétisent dans des assemblages qui puisent dans la longue mémoire des sociétés tout en revêtant des aspects fortement contemporains, voire éminemment futuristes.
Cette créativité multiforme, et la vélocité qui l'accompagne, reste mal connue. Elles remettent profondément en cause les connaissances héritées du passé lointain et récent et en exposent parfois cruellement les limites. Elles exigent par conséquent un renouvellement sans précédent des paradigmes et des méthodes, des outils d'analyse et des discours, bref, l'invention de nouveaux savoirs capables de mobiliser les archives du Tout-Monde aux fins d'une intelligibilité neuve des multiples basculements en cours.
Une nouvelle génération
Par ailleurs, les besoins du continent en matière de savoir et de connaissances, d'innovation et de création sont immenses. Ils ne pourront être comblés que par une nouvelle génération de recherches au sein d'équipes et réseaux pluridisciplinaires et internationaux. Loin de conduire à « la fuite des cerveaux », de tels réseaux en faciliteront la circulation et la mobilité, les échanges ouverts et les flux des esprits et des idées.
Pris ensemble, ce devenir planétaire de la question africaine et son corollaire, l'africanisation de la question de la Terre (ou de la planète), constitueront certaines des grandes interrogations philosophiques, politiques, esthétiques et économiques du XXIe siècle.
Afin de répondre à ce nouvel environnement et son corollaire, la demande d'intelligence neuve, les Ateliers de la pensée de Dakar en association avec le Consortium des instituts pour les humanités (CHCI) mettent en place une école doctorale internationale dont l'objectif premier sera de contribuer au renouveau empirique, méthodologique et de l'imagination théorique en matière d'étude de l'Afrique et, plus généralement, des dynamiques de transformation dans des contextes d'instabilité et d'incertitude.
Une école doctorale ouverte au monde
Lieu d'apprentissage intensif, l'école doctorale se veut une plateforme interdisciplinaire consacrée à la formation des nouvelles générations de chercheurs et chercheuses, à l'interface entre les sciences humaines et les sciences du vivant, l'étude des technologies, de l'environnement et de l'habitat, les sciences de la santé et les disciplines de l'imagination (littérature, musique, et cinéma).
Elle se propose en particulier d'introduire les participant(e)s aux débats transnationaux et contemporains sur les nouveaux savoirs et les enjeux planétaires, à partir d'une perspective africaine continentale et diasporique. Ces débats ne concernent pas seulement les questions théoriques, mais aussi épistémologiques, pédagogiques et méthodologiques.
Le thème de cette première session est « Nouveaux savoirs et enjeux planétaires : épistémologie, pédagogie et méthode ».
Chaque année, l'école réunira une trentaine de participants originaires des pays suivants : Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie, Sénégal, Côte d'Ivoire, Burkina Faso, Niger, Guinée, Togo, Benin, Cameroun, Congo, République démocratique du Congo, Gabon, République centrafricaine, Tchad, Rwanda, Burundi, Madagascar, Île Maurice, Haïti, La Réunion, Martinique et Guadeloupe.
Un nombre limité de places sera réservé à des candidat(e)s non africains. La langue de travail de l'école est le français.
Une bourse est allouée aux candidat(e)s africains et afro-diasporiques les plus méritant(e)s. Elle couvre les frais de transport, de logement et de nutrition.
Les enseignements pour l'année académique 2019 sont assurés par : Yala Kisukidi (université de Paris-VIII), Souleymane Bachir Diagne (Columbia University), Françoise Vergès (Collège des études mondiales), Hourya Benthouami (université de Toulouse), Elsa Dorlin (université de Paris-VIII), Felwine Sarr (université Gaston-Berger), Yash Tandon (Seatini, Kampala) et Achille Mbembe (University of the Witwatersrand).
Achille Mbembe est historien, politologue et philosophe