LES FONDEMENTS D’UN ENGAGEMENT POLITIQUE
La mort de mon jeune frère Amadou Diop, hospitalisé à l’hôpital Fann, m’a ouvert les yeux sur les inégalités criantes de notre société.Tous les sentiments qui naissent en moi tirent leurs sources des conditions miséreuses des masses
J’ai appris le sens de la dignité de la sagesse des paysans. Ils m’ont donné la force de vivre et de résister. Ce peuple, persécuté depuis des millénaires, souffre le martyre parce qu’il est toujours oublié et exclu. Ne comprenant pas sa condition miséreuse, il s’en remet le plus souvent à Dieu. Sans espoir, il vit et meurt dans la souffrance, se résignant dans la croyance que c’est le destin qui en décide ainsi. Au fait, tous les peuples dominés rencontrent cette conscience naïve qui les enfonce passivement dans la servitude. Quand je suis allé à l’école, j’ai compris les mécanismes matériels et formels par lesquels les puissants maintiennent nos peuples dans l’asservissement perpétuel.
Ensuite, je décidai d’œuvrer toute ma vie pour la libération de mon peuple. Je jugeai que le destin n’avait aucun rôle dans sa condition de souffrances : c’est l’homme qui asservit son prochain. Par conséquent, ce Peuple a besoin d’une prise de conscience de sa naïveté entretenue pour sortir de la longue nuit de la faim, de la maladie et de l’ignorance.
En vérité, il n’y a pas de processus révolutionnaire sans conscience critique. J’ai pris conscience de la souffrance humaine dans l’univers de mon adolescence. Dans mon enfance thiessoise, l’école primaire que je fréquentais dans le populeux quartier d’Aiglon portait le nom de Bilal.
Nos précepteurs nous apprenaient que Bilal, le fils de Rabah, était un esclave noir dont le propriétaire habitait La Mecque. Ils nous expliquaient ce que signifie l’expérience inhumaine de l’esclavage. Je découvrais l’injustice des hommes dans toute sa cruauté et sa bestialité. Plus tard, affranchi, Bilal deviendra le muezzin de la religion qui venait de naître dans l’Arabie désertique. Dès cette époque, il incarnait dans la religion musulmane toute la dignité de l’homme noir. De là est née ma vocation de porter la voix de ceux qui sont restés dans l’obscurité. Non, c’est plus qu’une vocation ! Je suis frappé par une sorte de fatalité : je suis condamné à l’engagement politique. Le 20 mai 2001, alors que j’étais étudiant en première année à l’Université, je découvris subitement la division de la société entre ceux qui peuvent se soigner et ceux qui ne peuvent pas se soigner.
La mort de mon jeune frère Amadou Diop, hospitalisé au centre Albert Royer de l’hôpital Fann, m’a ouvert les yeux sur les inégalités criantes de notre société. Ma mère révélât en larmes que son fils était mort parce qu’elle n’avait pas les moyens qu’on lui demandait pour l’envoyer en France. Ces larmes de ma très chère mère ont constitué aussi pour moi un grand moment d’éveil politique. Je sais aujourd’hui que des milliers de mères de famille pleurent tous les jours leurs enfants dans l’indifférence la plus totale.
Dans le fond, comment peut-il en être autrement si nos politiques laissent nos hôpitaux dans une décadence inhumaine tout en entretenant un marché de soins rattaché au privilège d’Etat ? Je suis né et j’ai grandi au milieu des souffrances populaires. Tous les sentiments qui naissent en moi tirent leurs sources des conditions miséreuses des masses souffrantes. Jamais une pensée ne m’a habité l’esprit qui n’ait son origine dans la situation de la communauté des victimes et des exclus. Je donnerais ma vie au service de ces pauvres, car j’ai l’audace de croire que les gens du Peuple doivent pouvoir assurer les trois repas quotidiens et éduquer leurs enfants dans la dignité.
La condition du Peuple d’en bas est le berceau de ma conscience politique. Depuis, je me suis juré de donner le meilleur de moi-même pour changer le sort des vies quotidiennes et ordinaires. Ainsi je suis devenu un insurgé contre l’ordre des inégalités, afin de faire entendre la voix des gens qui vivent dans la misère économique et sociale. En partageant les conditions de vie de la grande masse des anonymes, des exploités, des opprimés, des exclus et des pauvres, j’ai senti surgir en moi une grande lumière, comme un coup de force dans ma conscience. Ce sont eux qui constituent mon Peuple où qu’ils se situent. Depuis, un sacerdoce s’est logé dans mon cœur pour servir ceux-là qui sont restés dans l’obscurité. Je dois rappeler que je suis né au pays des paysans écrasés sous le fardeau de la vie. Je viens de ce Peuple qui a enduré et s’est endurci des souffrances longtemps contenues et ensevelies, qui aujourd’hui font éclater la terre. Je ne peux oublier la souffrance de ce monde abandonné pour me consacrer à une carrière exclusivement personnelle et égoïste.
En réalité, ce Peu - ple constitue ma vie, mon sang et ma dignité. Et pour cette raison, je me consumerais jusqu’au bout, comme une bougie, au service des gens ordinaires. J’ai une claire conscience de la mission historique de notre génération. C’est à nous de construire la cité future du travail et de la justice, de la dignité et de l’égalité. Notre action est écrite quelque part, pas dans un livre magique, mais dans la conscience de notre Nation depuis des générations. Nous devons conduire la révolution démocratique et ouvrir l’appétit de notre Peuple à la réalisation de l’impossible. Il nous faut un grand coup d’audace, car la vérité est que nous pouvons changer le destin des vies quotidiennes et ordinaires. Aujourd’hui plus que jamais, il existe dans le pays un désir ardent et profond de changement. Nous pouvons écrire ce qui n’a jamais été écrit : une révolution démocratique au service des pauvres et des exclus.
Le Sénégal vient du fond d’un fleuve qui a pour seule vocation d’accoucher une Nation. Notre histoire se confond avec celle de ce fleuve qui, depuis des millénaires, n’a cessé d’engendrer des mythes, des légendes, des civilisations, des Peuples, des empires, des révolutions, des héros, des martyrs, des humanistes et des saints. Je dois confesser que j’aime le Sénégal jusqu’à la dernière racine de son hameau le plus reculé. Ce bon et beau pays, source de paix, est le souffle de ma vie.
Dans cet espace national, j’habite nulle part et partout à la fois. Le Sénégal de ceux qui vivent dans l’obscurité est ma demeure. Et pour cette raison, je construirai ma maison dans le cœur des gens harassés de fatigue. Parce que, j’aime ce pays d’un amour très profond. Pour les jeunes et les femmes qui ont le courage et l’audace de croire que notre génération peut rendre possible ce qui a été jusqu’ici considéré comme impossible, le Sénégal est une terre de défi, d’espoir et de paix. C’est un honneur immense de me consacrer à ce sacerdoce.
En définitive, j’ai le Sénégal en feu dans la poitrine. Cette terre de mes ancêtres, je l’aime comme j’aime le visage de ma mère sous la lampe, à l’heure de la prière du soir. C’est pourquoi j’appelle à plein cœur toute la jeunesse de mon pays à un engagement politique au service exclusif des intérêts de notre peuple.