LES GRIOTS FONT L'HISTOIRE
Les Sénégalais même très éloignés de leur histoire n’ont pas besoin des éclairages d’un professeur aussi éminent que M. Thiam pour savoir que des tirailleurs qui ont défendu la France au prix de leur vie ont été, à leur retour au Sénégal, massacrés
Une actualité en chasse une autre et le plus important des sujets passe inaperçu. Les allégations d’Idrissa Seck et les nombreux tirs qu’elles ont suscités ont atténué la détonation du coup qui a emporté Fallou Sène. Et après avoir pleuré au campus les 15 et 16 mai, les étudiants ont dansé au palais et clos le dossier du meurtrier qui coure toujours. Discutée à l’Assemblée nationale, la question du pétrole et du gaz se trouvant à la frontière du Sénégal et de la Mauritanie, qui avait pris le relais de la cacophonie, a été très vite rangée aux oubliettes. La prestation de Moustapha Niasse qui s’est rappelé au bon souvenir de ses années universitaires, n’a pas réussi à détourner l’attention des Sénégalais sur ce qui passe pour être un énorme préjudice que Macky Sall a fait causer au Sénégal pour contenter son homologue Mouhamed Ould Abdel Aziz. Mais, c’était sans compter sur la grande capacité de diversion du régime de Macky Sall. Alors que les questions autour de cet accord pour le moins énigmatique entre les deux pays allaient bon train, la loi sur le parrainage a refait surface. L’Assemblée nationale fait oublier les menaces proférées par son président et engage une nouvelle polémique autour d’une loi dont l’adoption a fait sué tout un peuple. Et maintenant que Macky Sall, qui chante l’émergence est acculé, accusé d’avoir mis en faillite un Sénégal incapable de payer ses dettes intérieures, un ASP se signale et focalise toutes les attentions.
C’est cette frénésie qui a tiré les propos scandaleux de Macky Sall sur les tirailleurs sénégalais du devant de l’actualité. L’exaltation de l’héritage colonial à laquelle le leader de l’APR s’est adonné n’a pas seulement suscité l’indignation des Sénégalais. Au-delà de nos frontières, c’est le même sentiment prévaut. L’idée d’un Sénégal, porte d’entrée de la France en Afrique, est plus que jamais confortée par un Macky Sall, fervent défenseur du franc CFA et bourreau des activistes. Le président Sall n’a pas fait de bourde, il ne s’est pas non plus trompé. Bien qu’improvisés, les propos qu’il a tenus cherchent à relativiser les conséquences néfastes et funestes de la colonisation. C’est justement parce que c’est une conviction que le président Sall n’a jamais cherché à y revenir. Pour le conforter, c’est le professeur Iba Der Thiam, qui ne se déplace plus sans une canne, qui est tiré ce dimanche de son lit. Les Sénégalais même très éloignés de leur histoire n’ont pas besoin des éclairages d’un professeur aussi éminent que M. Thiam pour savoir que des tirailleurs qui ont défendu la France au prix de leur vie ont été, à leur retour au Sénégal, massacrés. Mais Iba Der Thiam a tenu qu’à même à intervenir sur le sujet. « Macky Sall improvisait et il manipulait des concepts historiques qui sont extrêmement chargés pour certains », commence par observer l’historien. Il enchaîne : « Je pense par conséquent que c’est un prétexte de dire qu’il a émis un jugement de valeurs, de dire qu’il a été condescendant vis-à-vis de telle ou telle catégorie. Je ne veux pas juger ceux qui l’ont dit parce qu’ils sont libres d’avoir leur opinion. Et ceux qui l’ont dit sont la plupart du temps des hommes politiques. Mais, je considère que c’est un tout petit peu passer à côté de ce que le chef de l’Etat cherchait. C’est-à-dire nous articuler à notre passé et essayer d’établir un lien entre ce qu’il était en train de faire et l’héritage sur lequel il s’est appuyé ». Et le professeur d’histoire de conclure en ces termes : « pour moi donc, il ne s’agit pas d’une bourde. Il ne s’agit pas non plus d’un mépris, il n’y a pas de jugement de valeurs ». Seulement, Iba Der Thiam ajoute : « Tout le monde sait que quelqu’un comme Macky Sall n’a pas de mépris, il est d’une simplicité, d’une modestie, d’une humilité, d’un effacement tel qu’il n’a vis-à-vis de personne de la haine ou un sentiment de supériorité ». Avec ce postscriptum malvenu, Iba Der Thiam cesse d’être historien et s’improvise griot. Et c’est là que cela devient grave.
L’éminent professeur qui ne s’est visiblement pas départi du dithyrambe, a en charge la lourde et l’immense responsabilité de la réécriture de l’Histoire générale du Sénégal. L’historien, ancien syndicaliste, a été emprisonné à de nombreuses reprises sous le régime de Senghor. A son arrivée au pouvoir, Abdou Diouf le nomma ministre de l’Education nationale et l’incita à le soutenir politiquement. Ida Der tout satisfait lança le Mouvement « Abdou niou Doy ». Réélu, le président Diouf le limogea de son poste. Avec l’Alternance, le professeur s’approcha des arcanes du pouvoir. Il était si bien traité par Me Wade, qu’il dissout sa CDP/Garab-gui dans le PDS et devint un des plus farouches défenseurs de l’ancien président qui lui confia la CAP 21. Et, jusqu’à la chute du régime de Me Wade, Iba Der Thiam fit preuve d’une grande loyauté. Et c’est justement là où le bât blesse. Le professeur d’histoire a tendance à ranger son objectivité pour mettre en avant ses ressentiments. Pour plaire à Macky Sall qui manifeste de plus en plus son attachement à la France, que ne serait pas capable d’écrire le Pr Thiam ?
Pourtant, Iba Der Thiam est fermement attendu sur bon nombre de faits aussi importants que la question des tirailleurs sénégalais. Mais également, sur l’histoire de Cheikh Ahmadou Bamba et des autres fondateurs de confréries qui est à peine relatée dans les manuels scolaires. Ce que les Sénégalais savent de ces guides, c’est à travers des récits oraux discutables et exagérés qu’ils s’en sont imprégnés. Les pages de notre histoire ont été rigoureusement sélectionnées, occultant tout ce qui pourrait être exaltant. Les quelques leçons d’histoire du Sénégal enseignées à l’école sont bourrées dans la tête de collégiens loin de comprendre le début des enjeux. Des apprenants qui peinent à comprendre comment El Hadji Oumar Tall a pu disparaitre dans les falaises de Bandiagara. Nier l’œuvre de ces valeureux Sénégalais ne semble plus suffire. Faidherbe était un ange, raconte Golbert Diagne après qu’Augustin Sengor a souillé Gorée avec une honteuse place de l’Europe.
En niant, ou en falsifiant l’histoire d’une nation, on mine ses fondements et accentue la perte de repères de ses habitants. Et les Sénégalais qui se rendraient coupables d’une telle hérésie ne devraient pas être mieux traités que les collabos français au lendemain de la seconde guerre mondiale.