LES IMMIGRÉS ET L’ARGENT QUI DORT
L’argent des immigrés est actuellement dans un sommeil profond et il va être très difficile de le réveiller.
Les associations sénégalaises en France apparaissent en général dans les communautés d’immigrés relativement homogènes, structurées autour d’un fort attachement à leur communauté d’origine à laquelle ils sont liés par des réseaux sociaux solides.
Dans le département de Matam et de Bakel, plusieurs ressortissants de ces villages se sont constitués en association loi 1901 à but non lucrative pour soutenir le développement de leurs villages d’origine. Il est important de comprendre que chaque migrant est obligé de cotiser des sommes qui peuvent atteindre 200 000 F CFA par an.
Cette obligation est un contournement de la loi 1901 qui indique : «les membres d’une association doivent adhérer librement aux statuts qui leur sont proposés». Le refus de paiement se traduit souvent par des sanctions qui peuvent aller jusqu’à la mise en quarantaine. C’est un «impôt communautaire» solidaire auquel chaque salarié en activité ne peut se soustraire.
Les récalcitrants ne pourraient pas bénéficier d’aide ou de soutien lorsqu’ils rencontrent des difficultés particulières. Il est aussi prévu dans les statuts que des sanctions peuvent aller jusqu’au refus de participer aux différentes cérémonies organisées par ces derniers : mariage, baptême, etc. Malgré quelques entorses à la tradition, notamment au niveau des jeunes, qui refusent manifestement de s’inscrire dans cette dynamique, le système survit néanmoins et contribue au financement de multiples structures villageoises : forages, postes de santé, écoles, bibliothèques, mosquées…
Cette manne financière contribue également au rapatriement des corps. Actuellement, beaucoup d’associations de ressortissants de ces villages installés en France, disposent de fonds énormes qu’ils thésaurisent dans des banques, voire dans des valises, car tous les besoins de leurs villages en termes d’infrastructures sont presque tous réalisés. Certains villages disposent de centaines de millions de francs CFA dont ils ne savent pas quoi faire. Un ressortissant d’un village «Soninké» m’indiquait que leur association a une réserve de 250 000€ (163 000 000 CFA environ). Il y a eu un timide investissement dans la pierre, selon lui, mais toute tentative d’investissement dans des projets générateurs d’emplois et de revenus, se trouve confronter à des blocages psychologiques, inhérents à leurs difficultés à entreprendre, donc à prendre des risques.
Au mois de mars 2021, une fédération d’associations composée de 7 villages a pris la décision de partager 35 000 000 CFA, parce qu’aucun consensus n’a été trouvé pour financer un projet générateur de revenus ou d’accorder des prêts aux membres qui la composent. Rappelons aussi que beaucoup d’immigrés, notamment issus de la première vague, (qui tient encore les «cordons de la bourse»), ne sont pas instruits et refusent systématiquement d’entreprendre collectivement afin de soutenir l’économie locale et d’en tirer des bénéfices.
Malgré plusieurs tentatives, l’Etat sénégalais n’a pas pu convaincre la diaspora de France, constituée en associations, d’investir dans des projets créateurs d’emploi et générateurs de revenus. Benjamin Franklin, écrivain et un des pères fondateurs de la constitution américaine, disait : «Le seul intérêt de l’argent, c’est son emploi». L’argent des immigrés est actuellement dans un sommeil profond et il va être très difficile de le réveiller.